La 'révolution' des réseaux sociaux n'est pas achevée
La « Big Commutation » se propage à vive allure. Mais cette 'révolution' est-elle seulement d'ordre technique ? N'est-ce pas plutôt celle de l'accès à l'information pour tous, celle du lien, alors que le réseau n'en est que le socle numérique ? Face à cette ubiquité et omniscience permanentes, quels sont les vrais enjeux auxquels les sciences peuvent contribuer ? Si les chiffres atteignent le seuil symbolique du milliard pour les réseaux sociaux, alors que le million servait d'étalon pour le monde des PC, quel est le nécessaire changement de regard que le manager, et la DSI en particulier, doivent avoir à ce point d'inflexion stratégique ?
PublicitéSelon L'Expansion.com avec AFP , « Facebook revendiquait au total fin mars 1,11 milliard d'utilisateurs actifs » et de titrer « le réseau social dit avoir un million d'entreprises qui sont des annonceurs actifs. Facebook a enregistré 1,25 milliard de dollars de recettes publicitaires au premier trimestre ».
Dix petits commentaires s'imposent :
1 - Le domaine des services numériques est en effet en pleine transformation. A en croire les chiffres, plus d'un milliard de contributeurs apportent gratuitement des contenus numériques de toutes sortes sur le réseau social le plus fréquenté actuellement dans le monde. Soulignons ici que « le sondage Ifop réalisé en décembre 2012 pour Psychologies magazine indiquait : « 71% des Français, y compris chez les 18 à 24 ans, estiment que la place prise par les écrans dans la vie quotidienne «nuit à la qualité des relations » (Source : TGV Magazine, juin 2013, article signé Olivier Cirendini). Le marketing (et non plus la Direction des Systèmes d'Information de l'entreprise numérique qui se trouve cantonnée aux applications 'classiques') fait des 'choux gras' de cette affaire (« Facebook, c'est un million d'annonceurs pour un milliard d'utilisateurs »). Le défi consiste à construire une réputation en s'appuyant sur l'avis de la Masse. Par exemple dans le domaine des loisirs et du voyage, les comparateurs (comme tripadvisor.fr/, liligo.fr, easyvoyage.com, etc.) ont le vent en poupe car ils ont su créer un segment d'activité complémentaire dédiée à la multitude des besoins en privilégiant « l'avantage coopératif », c'est-à-dire en peignant l'ensemble des offres en ligne. En effet, l'acte d'achat du particulier s'appuie trois fois sur quatre sur la consultation des avis de proximité numérique (forums, réseaux sociaux, ...), ces espaces numériques devenant incontournables et en même temps contributeurs d'une valeur d'image et d'une réputation d'entreprise.
2 - La démonstration est faite que la rupture et la « révolution » ne sont pas d'ordre technique mais elles sont liées à « l'accès » démocratisé à l'information numérique (comme vu dans L'âge de l'accès, la nouvelle culture du capitalisme, Jeremy Rifkin, La Découverte/Poche, publié en 2000) mis à la disposition des hommes redevenus nomades. Les directions générales de ces entreprises numériques ont compris que le déplacement des rivalités sur le terrain des réseaux peut mettre à contribution des travailleurs volontaires sans contrat, toute la question portant sur les « ressorts de l'engagement » permettant de les amener à nourrir ces espaces numériques au profit de quelques uns. Aucun syndicat ni aucun comptable n'y mesure le temps de 'travail' puisqu'en y cliquant, on agit à la vitesse de la pensée, on se fait plaisir puisqu'il s'agit d'un jeu, et on y partage du plaisir.
Publicité3 - Les projecteurs sont braqués sur les quelques réseaux sociaux les plus connus en Occident Facebook, LinkedIn, Viadéo, ...). Mais une grande discrétion règne sur le fait que des pays comme la Russie, l'Ukraine, la Chine et l'Iran ont des réseaux « alternatifs » :
- La Russie et l'Ukraine : « VK (В Контакте en russe, (fr) - En Contact) est un réseau social russe similaire à Facebook. Il est le réseau social le plus utilisé en Russie et d'après Alexa Internet, c'est le site le plus visité en Biélorussie, le troisième en Ukraine et le cinquième au Kazakhstan. Il se situe au 25e rang des sites les plus visités dans le monde ». (source : (http://fr.wikipedia.org/wiki/VKontakte - 5 juillet 2013 17 h).
- La Chine : « Alibaba est la plus grosse plate-forme de commerce en ligne en Chine, et Sina Weibo est le premier site de microblogging chinois et donc le plus gros réseau social du monde avec un demi-milliard d'abonnés ». (source : http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20130503-chine-alibaba-investit-reseau-social-weibo, 5 juillet 2013 - 17 h)
- L'Iran : « Cloob.com est un réseau social en Persan, principalement utilisé en Iran. Suite au blocage du réseau social Orkut (populaire localement comme à l'international) par le gouvernement iranien, de nombreux sites et réseaux locaux ont fait leur apparition, dont Cloob, pour le remplacer ». (Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Cloob - 5 juillet 2013 17 h)
Ces pays ont donc leurs propres réseaux sociaux. Comme tout le monde le sait, compte tenu de l'évolution de la démographie mondiale, nous serons près 9 milliards d'habitants sur cette planète en 2050 dont la majorité des internautes ne sera pas européenne...
4 - Dans ce « global business processing » fondé sur internet qui souhaite s'appuyer sur « Big Commutation » pour créer de la valeur, peu de voix signalent qu'en même temps 65% de la population mondiale est encore déconnecté de la Toile comme le soulignent Frédérick Douzet et Alix Desforges dans L'Atlas du monde de demain (Ed.Le Monde/La Vie, p. 86). Aspirent-ils à être dans le camp des 'tous connectés » ?
5 - N'oublions pas cependant le fait que certains des « tous connectés » veulent volontairement pouvoir de temps en temps vivre déconnectés, lorsqu'ils le souhaitent, et surtout être non fichés. C'est ce que souligne Rémy Oudghiri dans #Déconnectez-vous : Comment rester soi-même à l'ère de la connexion généralisée (Ed. Arléa, 2013). L'accroissement de la puissance de la bande passante ne changera rien à ce choix de vie. Ce n'est donc pas le fait de passer du protocole IPv4 qui met à disposition quelques milliards d'adresses IP, au protocole IPv6 qui en proposera plusieurs centaines de millions de milliards d'adresses IP qui changera la donne. Un mouvement d'inertie est en train d'apparaître et qui se caractérise par exemple par des espaces publics qui présentent comme avantage compétitif le fait qu'il n'y a pas de connexion Wifi ni d'écrans et de connexion internet. Il existe également des logiciels comme Antisocial pour vivre une déconnexion voulue et maîtrisée afin de donner du temps au temps : « Antisocial est une extension gratuite pour le navigateur Internet Google Chrome qui vous permet de bloquer tous les plugins des réseaux sociaux visibles sur la majorité des sites Internet ». (Source : http://www.tomsguide.fr/ 5 juillet 2013 17 h)
6 - D'ailleurs, des chefs d'entreprise s'inquiètent de l'avalanche des SMS, tweets et mails et ils en arrivent à réglementer l'usage en mode multi-tâches des outils mobiles (Boyd vs Cope). Mais en même temps, la crainte de ne pas pouvoir saisir des opportunités fait revenir ces organismes vers ces espaces numériques dont nous sommes tous devenus techno-dépendants.
7 - Alors que l'Occident se plaint de ce trop plein d'informations numériques, les pays dits émergents (qui continuent à être qualifiés de la sorte alors qu'ils ne le sont plus) sont avides d'informations leur permettant de dominer le monde. Entre 1980 et 2012, les Bric montent de 5,5% à 32% du PIB mondial (comme indiqué dans L'Atlas du monde de demain, Le Monde/La Vie, de Laurent Carroué, P. 84) et la Chine devient la première usine du monde. Les milliardaires ne se situent plus seulement en Europe, Afrique ou aux Etats-Unis mais au sein de ces Bric. Ceci dit, les milliardaires du web se trouvent encore du côté des Etats-Unis qui ont le monopole de la maîtrise de l'information planétaire.
8 - Les enjeux de l'entreprise numérique face à l'ubiquité, l'omniprésence et l'omniscience sont d'ordre stratégique, géopoliltique et éthique. Il nous faudra donc nous mobiliser autrement sachant que les technologies de l'information et l'internet nous présentent de fabuleuses opportunités de co-construire une nouvelle ère où le lien contextualisé selon les cultures soit la pierre angulaire de la « cogouvernance »®.
9 - De nouvelles utopies peuvent donc devenir réalité si on change de regard. Qui aurait cru du temps de « Madame Bovary » sur le rôle prépondérant de la femme dans la société moderne ? Qui aurait cru à la chute du mur de Berlin en 1988 ? Qui aurait cru que le Sud serait à la hauteur du Nord ? Qui aurait imaginé au XIXème siècle que l'être humain aurait pu vivre 150 ans grâce aux progrès de la génétique, de l'intelligence artificielle et des nanotechnologies ?
10 - La question des vrais enjeux se pose maintenant car le futur c'est maintenant. Quelle sera la contribution des sciences associées à l'internet pour trouver des solutions à l'énergie, l'eau, la nourriture, le climat, le bien-être, le mieux-vivre ensemble ? Nous sommes entrés en pleine « cogouvernance » de l'information numérique, mais il reste à le concrétiser au quotidien, ce qui est une autre affaire.
Article rédigé par
Gérard Balantzian, Auteur et conférencier
Pionnier dans le domaine du management et des systèmes d'information depuis 1982, Gérard Balantzian a initié en France le développement des schémas directeurs, de la cogouvernance® et des pratiques coopératives de transformation des systèmes d'information. Il a dirigé pendant plus de 20 ans l'antenne parisienne de l'Université de Technologie de Compiègne (IMI - Institut du Management de l'Information). Conférencier international, il est également auteur de nombreux articles dans la presse spécialisée.
Livres de Gérard Balantzian :
Aux éditions Masson : Les schémas directeurs stratégiques (1982, 1988, 1992) ; L'évaluation des systèmes d'information et de communication (1988) ; Aux Editions d'Organisation : L'avantage coopératif (1997) : Les systèmes d'information : art et pratiques (collectif) en 2002 ; Tableaux de bord pour diriger dans un contexte incertain, (collectif) en 2005 ; Aux éditions Dunod : Le plan de gouvernance du S.I. (2006, 2007, 2011) ; Aux éditions Hermès Lavoisier : Gouvernance de l'information pour l'entreprise numérique (2013).
Site de l'auteur : www.cogouvernance.com
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