La productivité, angle mort des projets numériques de l'Etat
Pour la Cour des comptes, les gains de productivité sont les grands oubliés des projets IT de l'Etat, les engagements des ministères sur ce terrain étant trop peu challengés par la Dinum notamment. Une piste à creuser selon l'institution, à l'heure où les premiers projets d'IA de l'administration donnent des résultats encourageants en la matière.
PublicitéAlors que les tronçonneuses sont de sortie en Argentine ou aux Etats-Unis, la Cour des comptes s'interroge sur les gains de productivité découlant des investissements de l'Etat dans le numérique. « Si la numérisation des services publics a permis de simplifier les démarches administratives pour les citoyens et les entreprises, elle avait aussi pour objectifs de gagner du temps et d'améliorer la qualité des services rendus, en d'autres termes d'augmenter la productivité », rappelle la Cour dans son rapport sur le sujet. Sauf que cette ambition a été largement perdue de vue.
D'abord parce que les objectifs affichés par les projets sont rarement liés à l'amélioration de la productivité. Et davantage tournés vers l'accompagnement de l'évolution des usages, l'intégration d'évolutions réglementaires ou la résorption d'une obsolescence technologique. « La valeur attendue des grands projets numériques de l'État devrait pouvoir être quantifiée, quand bien même l'accroissement de la productivité ne serait pas une visée première », fait valoir la Cour des comptes. Or, précisément, cette dimension ne bénéficie que d'un « suivi parcellaire » de la part de la Dinum, jugent les auteurs du rapport. En cause : des audits de la DSI de l'Etat (en théorie obligatoires au lancement de tout projet de plus de 9 M€) centrés sur les enjeux techniques et méthodologiques, autrement dit sur la sécurisation des initiatives. Et qui laissent les aspects productivité au second plan.
La Dinum veut se focaliser sur l'impact, donc la productivité
« Les gains attendus, et notamment ceux de productivité, ne font presque jamais l'objet de constats ou de recommandations dans ces avis. Par la suite, ils ne sont pas abordés non plus dans le panorama des grands projets numériques de l'État, qui est remis deux fois par an au Premier ministre, ni dans les audits que la Dinum est amenée à diligenter lorsqu'un projet dérive », regrette l'institution de la rue Cambon. Pour les auteurs du rapport, les calculs de retour sur investissement (suivant la méthode Mareva) présentés par les porteurs de projet à la Dinum ne sont pas accompagnés d'une étude précise permettant d'évaluer les gains attendus, l'exercice actuel de l'audit ne le prévoyant pas.
Notons tout de même que la Dinum prévoit de faire évoluer en 2025 son mécanisme d'audit des grands projets, en le recentrant sur l'impact attendu tant sur les usagers que sur l'administration elle-même (voir à ce propos notre émission Grand Théma avec les interventions de Florian Delezenne, responsable du département opérateur de produits interministériels de la Dinum, et Jérémie Vallet, adjoint à la directrice du numérique, chef du département appui, conseil et expertise de cette même DSI de l'Etat). Notons encore que les projets bénéficiant du fonds de transformation de l'action publique (FTAP), doté de plus d'un milliard d'euros depuis sa création en 2017, doivent, déjà, justifier des gains de productivité qu'ils engendrent, le fonds en ayant fait « un critère central de décision de financement ».
PublicitéDe la théorie à la pratique, un facteur 17
Là encore toutefois, la Cour des comptes estime qu'il s'agit de projections trop théoriques, souvent revues à la baisse une fois les projets passés en production ou confrontés aux services utilisateurs. Et de citer notamment le cas de la carte achat mise en place par l'Agence pour l'informatique financière de l'État (AIFE) afin de simplifier les démarches des ministères pour les achats inférieurs à 1000 €. L'étude préalable, basée sur les usages enregistrés dans le progiciel Chorus, aboutissait à un gain théorique de 893 ETP/an. « Néanmoins, entre l'élaboration du dossier de candidature et la signature du contrat FTAP, ces perspectives de gains ont été confrontées aux ministères qui auraient été amenés à les assumer. Ces estimations ont alors été fortement réduites », souligne la Cour. Réduites à 52,8 ETP, soit près de 17 fois moins !
Face à ces constats, la Cour des comptes recommande de confier à la DITP (Délégation interministérielle à la transformation publique) un mission d'appui « méthodologique ou opérationnel sur la réingénierie des processus métier, étape nécessaire pour tirer le meilleur potentiel d'un nouveau système d'information », tandis que la Dinum se focaliserait sur les aspects relatifs à la méthodologie de projets, à l'urbanisation des systèmes d'information, à l'interfaçage et à la mutualisation avec d'autres logiciels de l'État. Tout en voyant ses prérogatives renforcées lors des audits, « pour intégrer les enjeux méthodologiques et de productivité dès la phase de cadrage des projets ». Le rue Cambon imagine aussi associer la Direction du budget à cette procédure.
IA : un levier d'efficacité à approfondir
Signalons encore que, dans la lignée d'un précédent rapport sur les usages de l'IA à Bercy, la Cour des comptes consacre un chapitre entier au potentiel de cette technologie dans l'administration. Avec un mantra en direction des ministères : prioriser les cas d'usage débouchant sur des gains de productivité. « La situation des finances publiques et les arbitrages nécessaires entre projets numériques plaident pour que les administrations publiques priorisent les projets d'intelligence artificielle apportant des gains tangibles de productivité », écrivent ainsi les auteurs du rapport. Qui décèlent, parmi les premiers projets, des raisons d'espérer.
Comme c'est le cas avec le projet Foncier Innovant de la Direction générale des finances publiques (DGFiP). Ou avec le traitement automatisé de l'analyse prédictive (TAAP), porté par cette même administration, projet visant à réduire de 30 % le nombre de demandes de paiement contrôlées par les comptables tout en améliorant la détection des erreurs, en concentrant les analyses des comptables sur les pièces présentant les risques les plus importants. « Fin 2023, après trois années de déploiement, la DGFiP estime que les résultats sont positifs puisque l'objectif premier a été atteint avec un nombre de demandes de paiement contrôlées par les comptables en baisse de 31,9 % », souligne l'institution. Le tout avec une amélioration du taux d'erreurs détectées. Une piste à suivre pour le gouvernement Bayrou ?
Article rédigé par
Reynald Fléchaux, Rédacteur en chef CIO
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