La méthode ABC/ABM au service de la création de valeur dans un environnement incertain
Dans un environnement économique et opérationnel de plus en plus complexe et instable, les organisations privées et publiques doivent améliorer leur capacité de maîtrise des dépenses, d'anticipation et de pilotage à court et moyen terme. Apportant une vision par activité et par processus, la méthode ABC/M (Activity Based Costing / Management) complète l'analyse de coûts et de rentabilité traditionnelle et contribue ainsi à la prise de décisions stratégiques et opérationnelles centrées sur la création de valeur - à condition de respecter certaines règles...
PublicitéOn a pensé pendant des années qu'il existait un modèle unique de gestion et de répartition des coûts : celui incorporé dans les systèmes ERP, et par conséquent imposé implicitement par ceux-ci. Dans les années 1990, tout le monde - notamment les contrôleurs de gestion - a sincèrement cru que ce modèle allait permettre à la fois de faire du pilotage opérationnel d'activité, du pilotage stratégique de portefeuille de produits et de clients, de la simulation (externalisation de processus, changement d'organisation,...), de répondre aux contraintes de reporting réglementaire (comptable) et aux demandes des opérationnels, de la direction générale, des actionnaires... Aujourd'hui, cette croyance est largement érodée : dans nombre d'organisations, les directions générales nous disent qu'elles n'obtiennent pas, avec leur ERP, les moyens de mesurer et de piloter correctement la rentabilité de leurs activités, faute d'une approche complète des coûts par processus et d'une correcte allocation des coûts mutualisés et indirects. Les outils transactionnels en place ne leur permettent pas non plus de piloter leur entreprise avec l'agilité qu'impose un environnement dominé par l'incertitude et l'instabilité.
Le besoin d'une vision complémentaire
Le modèle de gestion intégrée des ERP est organisationnel, hiérarchique. Il repose principalement sur un découpage par direction et entité juridique. Croire qu'un bon système de comptabilité analytique structuré selon l'organisation (services, centres de coûts), pouvait répondre à toutes les questions susceptibles d'être posées par les opérationnels et la direction générale était une vue de l'esprit. Fondamentalement, les ERP sont structurés pour fournir une vue avant tout comptable qui ne répond véritablement qu'à un besoin : celui du directeur financier.
Depuis la grande vague de déploiement des ERP, les théories du management ont montré que la vision organisationnelle n'était ni la plus pertinente ni la plus efficace pour améliorer durablement la performance et l'agilité d'une entreprise. D'où l'émergence des modèles de costing - notamment l'ABC (Activity Based Costing) et l'ABM (Activity Based Management) - mettant en avant l'idée que les coûts et les revenus d'une organisation ne sont pas uniquement impactés par le produit ou le service vendu mais aussi par le comportement de ses clients, voire du canal de distribution utilisé. Apportant une vision transversale par processus, ces modèles qui permettent de savoir si toutes les tâches et activités réalisées au sein de l'organisation sont orientées vers le client, si elles créent de la valeur par rapport au produit, à la prestation ou au service vendu au client et de prendre les décisions appropriées pour accroître cette valeur.
Ne pas renouveler l'erreur du modèle de gestion à tout faire
PublicitéL'erreur, que certains ont faite à leurs dépens, a été de croire qu'il fallait abandonner le modèle d'imputation analytique des dépenses pour passer au modèle par processus et activités. Pourquoi était-ce une erreur ? Parce que, dans un premier temps, c'est toujours par l'axe organisationnel, que l'on raisonne, compare, rend compte et en outre que l'on établit les budgets. Pour tirer un réel bénéfice d'un modèle de costing ABC/M, il faut les appréhender comme des outils apportant une vision par processus et par activité, complémentaire de la vision purement organisationnelle.
Il est du reste tout à fait possible de mettre en place une modélisation par processus et par activité dans le cycle de gestion déjà en place et de le combiner avec une vision organisationnelle / hiérarchique classique. Ce n'est pas par hasard que les principaux éditeurs d'ERP ont racheté des entreprises spécialisées dans le décisionnel et la modélisation. Ils ont eux aussi fait le constat que les systèmes transactionnels ne pouvaient pas à eux seuls satisfaire la totalité des besoins et qu'il fallait y ajouter de nouvelles briques pour répondre aux demandes d'analyse et de simulation des directions générales, directions opérationnelles et demandeurs externes (autorités de régulation, actionnaires, etc.).
Si les entreprises et les administrations sont très demandeuses de cette vision complémentaire, c'est parce qu'elle est résolument orientée vers la prise de décision et qu'elle fournit des éléments permettant de mieux s'organiser et de gagner en efficacité et en rentabilité. Mais, bien que le besoin soit identifié et que la méthode ABC/M soit enseignée dans toutes les formations en management depuis plus d'une dizaine d'années, les directions générales ont du mal à passer du discours à la mise en oeuvre opérationnelle.
En nous fondant sur notre expérience, nous (...)
En nous fondant sur notre expérience, nous développons ci-après les quatre points sur lesquels elles doivent se montrer vigilantes pour réussir la mise en place d'un modèle ABC/M.
1. Fiabiliser le modèle d'imputation analytique de l'ERP - Le système d'imputation analytique de l'ERP ou du système comptable est la pierre angulaire d'une approche ABC/M. Il fournit des données indispensables pour alimenter le modèle de costing. Or, contrairement à ce dont est convaincue une grande partie des organisations, cette brique de base est loin d'être parfaite : une journée d'exploration suffit généralement pour démontrer aux intéressés l'existence d'incohérences et de problèmes de qualité de données dont personne n'avait réellement conscience. Comme le modèle de costing n'a pas vocation à remplacer le modèle d'imputation analytique de l'ERP mais qu'il s'appuie sur lui et utilise ses données, il est essentiel pour la suite de la démarche de travailler en parallèle à la fiabilisation de cette brique de base.
2. Organiser la synchronisation des données métiers avec les données financières - Pour faire fonctionner un modèle ABC/M, il faut faire se rencontrer des données financières avec des données métiers. L'objectif est de bannir les répartitions relevant d'a priori ou d'estimations - et qui économiquement ne reposent que sur de vagues estimations - pour s'appuyer sur des inducteurs de coûts ou métriques concrètes : nombre de factures, de visites clients, de postes informatiques, etc. tout ce qui fait la réalité de l'activité opérationnelle. La prise en compte de ces éléments factuels explique le bon accueil que réservent généralement les opérationnels à ce type de démarche. Mais en recherchant les éléments qui les aideront à prendre des décisions pertinentes - par exemple, d'augmenter ou non les ressources dédiées à un processus, il est nécessaire d'organiser la synchronisation des référentiels métiers avec les données financières.
Typiquement, les données utilisées par les opérationnels ne sont pas au même niveau de détail que celles utilisées par la gestion (fréquence d'analyse, granularité, référentiel, ...). Pour réconcilier les deux types de données et s'assurer de leur corrélation dans le temps, il faut donc synchroniser l'ensemble des référentiels de l'entreprise - financiers et opérationnels. Cette synchronisation est typiquement l'objectif d'une politique de gestion centralisée des référentiels de gestion (MDM : Master Data Management).
3. Ne pas minimiser les besoins de conduite du changement - Si la méthode ABC/M est de mieux en mieux connue, elle perturbe les grilles de lectures traditionnelles, tant des opérationnels que des financiers et de la direction générale. En effet, l'approche par les processus et les activités casse pour partie leur système de référence. Par exemple, lorsqu'on présente le coût total d'un processus administratif, la première réaction des intéressés est de dire que ce coût est faux parce qu'ils le ramènent spontanément à leur unité de compte habituelle, par exemple leur service. Il faut donc une phase d'explication et d'appropriation de cette nouvelle logique qui concerne non seulement les opérationnels et la direction générale mais aussi les contrôleurs de gestion car ce sont généralement eux qui vont devoir intégrer et faire vivre ce type de modèle dans l'ensemble du cycle de gestion de l'entreprise.
4. Utiliser des outils appropriés - Connaissant les principes du costing ABC/M, les équipes de contrôle de gestion peuvent être tentées de faire l'exercice dans un outil bureautique (tableur ou base de données). Celles qui s'y sont essayées ont dépensé beaucoup de temps et d'énergie pour un résultat souvent décevant. Il existe aujourd'hui des progiciels matures qui répondent totalement à ce type de problématiques et qui s'intègrent parfaitement avec un ERP. Ainsi, grâce à l'intelligence et aux bonnes pratiques qu'ils embarquent, ces progiciels permettent de sécuriser le projet, en allant beaucoup plus vite pour délivrer les premiers résultats, et donc d'assurer sa pérennité.
L'expérience montre qu'en matière de modélisation économique, il n'y a pas de vérité absolue. On peut y passer des années et tout remettre en cause continuellement. En travaillant avec un progiciel de costing, on évitera les erreurs les plus grossières et on pourra rapidement sortir une première version du modèle. Il faut s'attendre à ce que cette version soit contestée mais elle permettra aux parties prenantes de s'approprier le modèle puis de l'affiner rapidement en fonction des enjeux et priorités, sans tout reconstruire à chaque version. Il faut donc réaliser des projets en mode itératif.
Les trois apports clés d'un modèle ABC/M
Les trois apports clés d'un modèle ABC/M
Si les entreprises et les organismes publics se tournent de plus en plus vers ce type de modélisation, c'est fondamentalement parce que les outils de gestion et de comptabilité classiques ne répondent pas à leurs besoins de visibilité, de pilotage et de prise de décision. En outre, les entreprises opérant dans des secteurs régulés (jeu, téléphonie, énergie...) les adoptent parce que les autorités de régulation leur demandent aujourd'hui un reporting et des analyses orientées processus et activités.
Au-delà des questions de conformité réglementaire, mettre en place un modèle de costing ABC/M, c'est d'abord disposer d'une vision complémentaire des coûts et de la rentabilité : organisationnelle et par processus. C'est ensuite pouvoir articuler données opérationnelles et financières pour calculer des rentabilités par client, par produit et par canal de distribution.
C'est enfin pouvoir effectuer des simulations pour fonder des décisions opérationnelles ou des (re)positionnements stratégiques. La vision transversale et la simulation permettent par exemple de mesurer l'impact d'une modification organisationnelle sur des processus, d'étudier des scénarios d'externalisation/internalisation, de répondre à des questions telles que : faut-il continuer ou arrêter tel produit pour tel client ? Quelles activités développer ? Comment améliorer l'existant pour créer davantage de valeur pour le client ?
Véritable outil d'aide à la prise de décision, la méthode ABC/M ne l'est toutefois qu'à une condition : construire le modèle en pensant à l'utilisation que l'on souhaite en faire. On ne construit pas le même modèle ABC/M pour faire de la simulation, du pilotage opérationnel ou du pilotage stratégique. Il est donc essentiel de prendre le temps en début de projet de clarifier l'objectif principal ainsi que la granularité et la profondeur d'analyse souhaitée. De même qu'on ne peut pas tout faire dans un ERP, mieux vaut construire plusieurs modèles ABC/M que de chercher le modèle universel : il n'existe pas.
Article rédigé par
Olivier Rihouet, Associé - Keyrus Management
Olivier Rihouet, Associé Keyrus Management en charge de la compétence Costing, et expert des problématiques de tableaux de bord et d'élaboration budgétaire, a une expérience de 17 ans à la fois comme opérationnel en contrôle de gestion et comme consultant auprès des Directions Finance et Gestion. Olivier est diplômé d'expertise comptable.
Il intervient notamment dans le cadre de projets d'analyse et de pilotage de la rentabilité par les processus (méthode ABC/M), d'optimisation du Système d'Information de Gestion. Il a par ailleurs piloté plusieurs projets de mise en oeuvre d'ERP et de systèmes d'information décisionnelle (BI).
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