Stratégie

La feuille de route SAP ne passe pas auprès des utilisateurs

La feuille de route SAP ne passe pas auprès des utilisateurs
En annonçant cet été que SAP allait réserver certaines innovations aux clients de sa plateforme SaaS Rise with SAP, Christian Klein, le Pdg du premier éditeur européen, a pris la base installée à rebrousse-poil. (Photo : SAP / Feinkorn Photography)

Le projet du premier éditeur européen de ne proposer les futures innovations de S/4Hana qu'aux abonnés de son offre SaaS - Rise with SAP - crée un vent de révolte parmi la base installée. Dans les clubs utilisateurs, la pilule ne passe pas.

PublicitéDepuis que Christian Klein, Pdg de SAP, a déclaré aux analystes financiers en juillet que l'entreprise ne proposerait ses dernières innovations en matière d'IA et de comptabilité carbone qu'aux clients utilisant sa plateforme ERP phare S/4Hana par le biais de son offre Rise with SAP, basée sur le cloud et accessible uniquement par abonnement, l'entreprise est sur la sellette.

La démarche a logiquement été bien accueillie par les actionnaires ; Christian Klein leur assurant qu'elle entraînerait un passage à Rise, augmentant les revenus et réduisant les coûts de développement de SAP. Mais, pour la majorité des clients de SAP, qui utilisent encore d'anciennes versions de ses logiciels ou qui utilisent S/4Hana on-premise ou sur des environnements hébergés, il s'agit d'une gifle.

Lors de sa réunion annuelle en septembre, le groupe d'utilisateurs germanophones de SAP, DSAG, a demandé à SAP de faire des outils de comptabilité carbone une composante de tous les environnements SAP, et pas seulement de S/4Hana dans le cloud, et d'accorder plus d'attention aux clients qui utilisent encore son progiciel on-premise. Début décembre, c'est Paul Cooper, président du UK and Ireland SAP User Group (UKISUG), qui a axé son discours d'ouverture de la conférence Connect de l'organisation sur ce qu'il a appelé la « rupture de confiance », résultant de la manière dont SAP traite ses clients.

Les actionnaires d'abord ?

« Par le biais de nos abonnements, de nos licences et de nos frais de maintenance, nous avons clairement continué à investir dans SAP », a-t-il déclaré. « Cet investissement doit produire un retour équitable pour les clients comme pour les actionnaires. » Façon de dire que les deux catégories ne seraient aujourd'hui plus logées à la même enseigne.

En France, Gianmaria Perancin, le président de l'USF (l'association des utilisateurs SAP francophones) expliquait récemment dans nos colonnes : « Les utilisateurs veulent mieux comprendre la valeur métier de cette migration annoncée (vers le cloud, NDLR) et la manière dont ils pourront réduire le mastodonte de code spécifique qu'ils font tourner aujourd'hui ».

Voir l'interview vidéo de Gianmaria Perancin (14 min.) sur notre espace Grand Théma

SAP aurait dû se rendre compte que les clients concernés ne se contenteraient pas de se considérer comme une minorité et de se taire. Bien que l'entreprise ne publie pas de détails sur la proportion de ses clients qui sont passés à S/4Hana sur le cloud, les organisations d'utilisateurs le font, et les enquêtes menées auprès de leurs membres révèlent peu d'appétence pour Rise.

PublicitéLes utilisateurs du cloud restent minoritaires

Les membres de l'UKISUG qui utilisent S/4Hana le font en grande majorité sur site ou dans des environnements hébergés (soit la version on-prem déportée chez un prestataire), avec seulement 21% des utilisateurs de S/4Hana qui utilisent l'édition cloud privé ou public, a pointé Paul Cooper lors de Connect. Parmi ceux qui prévoient de passer à S/4, l'adoption du cloud sera un peu plus élevée, autour de 30 %.

Une étude DSAG, publiée en septembre, a également montré qu'outre Rhin, 79 % des entreprises membres du club utilisaient encore des anciens systèmes ERP de SAP, ECC et Business Suite, tandis que 41 % d'entre elles avaient commencé à déployer S/4Hana on-premise, 8 % dans un cloud privé et 3 % seulement sur un cloud public. La proportion d'utilisateurs de S/4Hana on-premise correspond à celle de l'enquête UKISUG.

En France, tout récemment, la filiale hexagonale de l'éditeur indiquait qu'entre 30 et 40 % de la base installée dans l'Hexagone a commencé la transition vers S/4Hana. En 2022, à l'occasion d'une enquête auprès de 250 de ses membres, l'USF évaluait à 7% seulement la part des organisations ayant terminé leur migration vers la nouvelle plateforme de l'éditeur allemand.

Renégocier les contrats

C'est donc une proportion importante de sa base installée que SAP s'emploie à contrarier, ce qui ne manquera pas de lui retomber dessus lors de la renégociation des contrats. Au moins une entreprise utilisant la version on premise de S/4Hana a déjà demandé une réduction de prix, mais jusqu'à présent, SAP a résisté, a expliqué Paul Cooper à CIO lors de la conférence Connect.

Il s'attend cependant à ce que ces demandes augmentent au cours des prochains mois, car les DSI ont des conversations difficiles avec leur PDG ou directeur financier qui voudraient bien comprendre pourquoi ils paient pour quelque chose qu'ils n'obtiennent pas. Dans cette position, les DSI ont beau jeu de se retourner vers SAP pour lui indiquer : « nous avons investi volontairement dans cette solution en sachant que nous bénéficierions d'un support plein et entier et que l'innovation nous serait amenée sans friction, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui », a résumé Paul Cooper.

Il peut s'écouler plusieurs années entre les premières études et la mise en oeuvre de S/4Hana, de sorte que les entreprises qui passent en production aujourd'hui n'avaient aucune idée, au moment où elles se sont engagées, du plan de Christian Klein visant à restreindre les innovations à un petit nombre d'utilisateurs. Cela les amène à remettre en question leurs projets futurs avec SAP, a ajouté le président du UKISUG.

L'innovation partout où c'est techniquement possible

C'est la dernière conférence de Paul Cooper en tant que président de l'association. L'année prochaine, il passera le relais à Conor Riordan, actuellement vice-président. Ce dernier a également demandé à SAP de regarder au-delà de ce qui est le plus rentable et de proposer des innovations partout où cela est techniquement possible, même aux clients qui n'ont pas basculé vers Rise.

Certes, il existe certaines innovations que SAP ne peut offrir qu'aux clients qui fonctionnent sous Rise, où elle a accès à leur environnement de production et à leurs données, « mais la majorité des innovations peuvent être offertes à n'importe qui », a estimé Conor Riordan.

Lorsque Christian Klein s'est exprimé lors de la conférence du DSAG en septembre, il a répété à plusieurs reprises le mantra : « Nous ne laissons personne de côté ». En réalité, les entreprises sont laissées pour compte, a taclé Paul Cooper, ajoutant qu'il connaissait des clients de SAP à qui l'on avait dit que Rise with SAP n'était pas approprié à leur cas, en raison de leur taille ou de la manière dont ils utilisent S/4Hana. Cela signifie que la stratégie d'innovation actuelle de SAP, axée uniquement sur le cloud, laisse effectivement certains clients sur le carreau.

Vers des recours juridiques ?

Les deux parties campant sur leurs positions, l'UKISUG cherche toujours un moyen de sortir de l'impasse par la négociation. À la question de savoir si les clients sont fondés à poursuivre SAP en justice, Paul Cooper répond que certains directeurs financiers pourraient examiner leurs contrats et les courriels échangés au cours du processus d'appel d'offres et d'achat.

Une bataille juridique pourrait être néfaste pour SAP et ses clients, mais faire l'affaire de tiers. « Nous savons qui s'enrichira dans ce genre de situation, a glissé Paul Cooper. Les avocats. »

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