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La donnée au coeur de nos systèmes... mais à quel prix ?

La donnée au coeur de nos systèmes... mais à quel prix ?
Claude Molly-Mitton est Président de l'USF et Président du comité scientifique du Data Intelligence Forum 2016.

Les enjeux éthiques et économiques de l'âge des données sont considérables. Cette tribune fait le point sur le sujet. En particulier sur le délicat point, objet de conflits très forts entre utilisateurs et éditeurs de progiciels, des accès indirects.

PublicitéPlus besoin aujourd'hui de décliner des nombres plus vertigineux les uns que les autres pour illustrer le quotidien de notre environnement digital : personne ne conteste plus que nous sommes entrés de plain-pied dans la civilisation numérique, révolution au moins de même ampleur que la révolution industrielle du XIXème siècle.

Et dans cette nouvelle civilisation numérique, nous commençons à comprendre que la « Donnée » va prendre LA place centrale. Tout va tourner autour d'elle, de sa Variété, de son Volume, de la Vitesse à laquelle on y accède, mais aussi de sa Véracité, et plus encore de la Valeur de son usage (on parle souvent des 3, 4 ou 5 V pour caractériser le « Big Data »).

Certains comparent les données numériques au pétrole du XXIème siècle. Ce qui est certain, c'est que de nouveaux métiers sont en train d'émerger, des métiers tellement nouveaux qu'il n'existe pas encore de traduction française établie : le CDO - Chief Data Officer, dont le cabinet d'étude Gartner prévoit un développement exponentiel dans les entreprises dans les prochaines années, le data scientist, qui va être au coeur de la valeur de nos données, mais aussi le Data Protection Officer (futur « Délégué à la protection des données ») et bien d'autres métiers encore à inventer.

Beaucoup parlent avec enthousiasme de centaines de milliers de nouveaux emplois... pendant que d'autres, au contraire, expliquent que certains aspects de notre société numérique, comme l'intelligence artificielle (IA), vont en détruire des centaines de milliers, voire des millions, des chauffeurs de poids lourds aux informaticiens en passant par les standardistes. Un sondage récent publié par Evans Data Corporation indiquait par exemple qu'un développeur informatique sur trois craint de se faire remplacer par une IA. Qui a raison, qui a tort ? Et si tout le monde avait en fait raison et que nous étions tout simplement dans une phase de transition entre deux mondes ?

La révolution de la donnée est en cours, pour le meilleur et pour le pire !

Le règne de la donnée est bien ouvert, et elle entraîne avec elle autant de défenseurs que de sceptiques. Les plus optimistes y voient l'avènement de la société de la transparence et de l'accès à l'information pour tous, garante de plus de libertés et d'une nouvelle forme d'égalité entre les hommes. D'autres, à l'inverse, nous projettent déjà dans un futur aliénant, dans lequel le « Big Data » se muerait en « Big Brother », réduisant ainsi l'humanité à une vaste machine à consommer.

Sans tomber dans ces extrêmes, il est vrai que l'avènement de la « société de la donnée » n'est pas sans poser de nombreuses questions éthiques. En France particulièrement, le débat sur le fichage des individus est toujours sensible, et les géants monopolistiques du monde numérique s'attirent régulièrement les foudres de l'opinion.

PublicitéLa polémique sur le droit à l'oubli concentre d'ailleurs à elle seule cette posture culturelle contradictoire qu'entretient la France avec la notion de donnée. D'un côté, les autorités nationales (et européennes) légifèrent pour tenter de protéger le citoyen... parfois sans grand pouvoir puisque la donnée, ou plutôt, les serveurs qui la stockent, n'ont pas de frontière... De l'autre, les scientifiques, les historiens, les intellectuels, saluent la valeur historique du web, vecteur de transparence et de liberté d'expression, tout en opposant droit à l'oubli et devoir de mémoire.

Ainsi peut-on lire dans le rapport 2015 du Conseil National du Numérique (CNN) : « dans l'application du droit au déréférencement, il faut veiller à préserver l'équilibre entre celui-ci et la protection de la vie privée, la liberté d'expression, la liberté de la presse et l'intérêt du public à l'information ». En matière de données, tout est souvent une question d'équilibre, mais l'équilibre ici ne sera pas simple à trouver...

Et le débat sociétal devient à son tour un débat économique, quand, dans les entreprises, se pose la question de l'enrichissement de la base de données. Jusqu'où renseigner l'application de gestion de la relation client (CRM) et surtout, pour quelle utilisation marketing et commerciale ? Des sujets qui agitent aujourd'hui les directions métiers, alors que tous s'accordent, à l'instar du vice-président « Big Data » d'Oracle, Neil Mendelson, pour affirmer que les données sont « une nouvelle forme de capital » (cité par Les Echos).

Si la donnée vaut de l'or, encore faut-il savoir à qui revient le trésor !

Selon une étude récente du Cabinet IDC, le marché du « Big Data », qui agrège les dépenses d'infrastructure en logiciels et en services, pèsera près de 50 milliards de dollars en 2019, grâce à une croissance annuelle moyenne de 23 % entre 2014 et 2019.

Si les entreprises sont prêtes à dépenser tant d'argent pour récolter, structurer, et analyser leurs données, c'est qu'elles sont aujourd'hui convaincues que la donnée a une valeur pour l'entreprise, et sans doute plus à terme que les produits industriels de l'entreprise eux-mêmes ! Une valorisation qui va d'ailleurs croître de manière exponentielle avec la maitrise de plus en plus grande du « phénomène data ».

Et c'est ici que le bât blesse ! En effet, la notion de valeur entraine celle de propriété. Or, la propriété de la donnée a beau représenter un enjeu économique majeur, la loi a du mal à l'appréhender, si tant est qu'elle puisse le faire. Car comme pour le droit à l'oubli, il semble difficile de réguler à l'échelle nationale un concept intrinsèquement planétaire.

La donnée appartient à celui qui la génère, et non à celui qui la traite !

Là aussi il est intéressant de lire le rapport 2015 du CNN qui réclame « le droit de permettre la portabilité effective des données, tant d'un point de vue technique que juridique (licences de droits de réutilisation associés)... afin d'ouvrir la possibilité d'une réexploitation dans un environnement différent... et de maintenir des passerelles entre grands écosystèmes concurrents... en imposant l'abaissement des barrières techniques et contractuelles à l'interopérabilité... (consécration du droit fondamental à l'autodétermination informationnelle). »3

Ce débat, qui émerge dans le cadre global de la société numérique, est au coeur des discussions entre les éditeurs de logiciels, qui évoluent vers la fourniture de services à distance (Cloud Computing), et leurs clients. Des discussions sur ce sujet animent d'ailleurs depuis quelques mois la communauté des utilisateurs des solutions SAP, qui se plaignent de ce que l'éditeur veuille leur faire payer un droit de péage, dit « accès indirect », pour utiliser leurs propres données après qu'elles soient sorties des solutions SAP.

L'éditeur y voit une défense de son droit de licence. Les entreprises utilisatrices, elles, dénoncent une pression commerciale inappropriée, visant à compenser la baisse de marge que l'éditeur subit par ailleurs de par l'évolution structurelle de son marché. Cette situation pourrait paraître anecdotique pour qui découvrirait le sujet. Mais ce n'est pas le cas quand on sait que les enjeux se chiffrent en centaines de milliers, voire en dizaines de millions d'euros, selon la taille des entreprises concernées.

Dans ce cas, comme dans d'autres, le combat autour de la propriété et, par extension, de la valeur de la donnée, ne fait que commencer... Espérons seulement que nous n'entrons pas dans un monde où le kidnapping des données de leurs clients ramènerait plus d'argent aux éditeurs que le seul développement de leur solution !

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