La DGA estime le vieillissement des avions militaires avec l'IA
Parmi ses missions, la DGA Techniques Aérospatiales a la charge d'estimer le vieillissement des avions militaires. Une opération réalisée aujourd'hui avec des modèles physiques, que le centre d'expertise du ministère des Armées tente d'optimiser avec un modèle conçu par IA, alimenté par des données collectées sur un Rafale d'essai.
PublicitéDéterminer la durée de vie restante d'un avion militaire est un enjeu à la fois de sécurité et de coût particulièrement important. C'est une des missions assumées par la DGA Techniques Aérospatiales (DGA TA), le centre d'expertise technique du ministère des Armées pour la sécurité des aéronefs, les agressions électromagnétiques, l'aérotransport, l'expertise des matériaux et la sûreté de fonctionnement des systèmes embarqués critiques.
Aujourd'hui, pour estimer cette durée de vie restante, la DGA TA s'appuie sur un modèle physique des aéronefs. Mais pour pallier l'absence de certaines données et rendre le processus plus rapide et productif, elle s'essaie désormais à la construction du modèle numérique du vieillissement d'un Rafale. Dassault, constructeur de l'avion de combat, ayant fourni un avion de test et son modèle physique, la DGA TA peut comparer son outil numérique à ce dernier.
Un calcul complexe basé sur de nombreux paramètres
Le calcul de la durée de vie d'un avion est loin d'être une mission simple. Une des sources de complexité réside tout simplement dans la compréhension du modèle de vieillissement de l'aéronef, qui dépend de très nombreux paramètres. Et nécessite donc la collecte, le stockage et le traitement des data nécessaires. « Le vieillissement mécanique des avions dépend d'abord du potentiel intrinsèque de leur structure [qualité des matériaux, procédés de fabrication, assemblages mécaniques, etc.] », comme l'a précisé Mickaël Duval, responsable aircraft fleet fatigue monitoring à la DGA TA, à l'occasion du Every day AI summit de Dataiku à Paris, le 25 septembre. « Ce à quoi il faut ajouter, pour les avions militaires, les charges externes comme les bombes, les équipements optroniques ou les réservoirs de carburant. Enfin, les avions militaires sont omni-vols, c'est-à-dire qu'ils réalisent plusieurs types de mission différents comme le transit, la reconnaissance, le bombardement ou le combat aérien. Et chaque type de vol a un impact différent ».
La méthode du modèle physique s'appuie sur la collecte de données de vol comme l'altitude, la vitesse, la masse, mais aussi sur l'intégration de métadonnées comme la configuration des avions ou les missions réalisées, et de data externes comme celles provenant des industriels aéronautiques. « En sortie, on obtient un état du vieillissement et une durée de vie restante, ainsi que des indicateurs de sévérité des vols [impact sur le vieillissement en fonction de la mission], et des séries temporelles de déformation locale de la structure enregistrée en continu, par exemple ».
L'importance cruciale de la data brute
Pour exploiter les data et obtenir des résultats, la DGA TA s'appuyait sur un développement Python. La solution Dataiku qu'il a déployée lui fournit d'une part des API d'accès direct aux data et un outil de visualisation, mais aussi le stockage, l'agrégation, l'exploration et le traitement des data brutes, ainsi que l'automatisation de certains processus. En sortie, la DGA TA obtient des statistiques sur les données de vol, les vitesses de vieillissement et un reporting sur mesure. Elle dispose ainsi d'un modèle data based du Rafale en lieu et place de son modèle physique, qui va servir à entraîner le réseau de neurones.
PublicitéReste une étape indispensable en amont, comme l'a rappelé Mickaël Duval : « ce dont nous avons principalement besoin, c'est de data brute et donc de vols instrumentés. Et quand nous n'en disposons pas, nous devons la générer ». La DGA AT travaille ainsi depuis près d'un an sur un Rafale prêté par son constructeur Dassault, accompagné de toute la documentation de configuration et de son modèle physique. De quoi comparer ensuite le modèle créé par l'IA. « Nous avons équipé ce Rafale d'essai avec des capteurs, comme une jauge de déformation sur 6 voies de mesure qui collecte un total de 32 paramètres de vol. Une opération qui requiert à elle seule entre deux et trois semaines, car il faut respecter les contraintes de navigabilité, de sécurité, etc. Mais l'intérêt de disposer d'un avion d'essai, c'est aussi de réaliser des vols aux profils variés, en basse ou haute altitude, à faible ou grande vitesse, etc., pour collecter les données associées. Depuis le début du projet, il y a environ 10 mois, le Rafale a effectué une soixantaine de vols. Nous voudrions arriver à 300 en 3 ans. Au-delà de ce que la valorisation de la donnée brute, cette dernière porte une valeur en soi, car quand on ne l'a pas, elle est difficile et coûteuse à collecter ».
Tests de nombreux modèles de machine learning
La DGA TA a conçu son modèle d'IA basé sur les données avec Dataiku en quatre étapes. « Pour commencer, il faut importer la data dans la solution et alimenter régulièrement avec de nouvelles données. Ensuite, il faut synchroniser en base SQL, puis préparer, filtrer, calculer les regroupements. Nous n'avons, par exemple, que peu de données de vols à grande vitesse en basse altitude, il faut donc les repérer pour s'assurer qu'elles sont bien prises en compte. Enfin, nous avons déployé la visualisation pour obtenir une cartographie rapide et efficace. » Une fois cette préparation terminée, la DGA TA a travaillé sur l'entraînement du modèle de machine learning. En définissant et en paramétrant d'abord un jeu de données d'apprentissage, en choisissant les features à retenir en entrée, en sélectionnant les modèles d'apprentissage et en automatisant l'entraînement avec des batchs de nombreux modèles.
« Pour la sélection et la configuration des modèles d'apprentissage, nous avons établi un plan d'expérience large avec le plus grand nombre de modèles de paramètres possibles, a raconté Mickaël Duval. Avec le Visual ML de Dataiku, qui permet de tester des modèles existants ou personnalisés, sans code, nous avons pu expérimenter et choisir une sélection d'algorithmes, avec un plan riche et automatisable ». La DGA TA a ainsi automatisé l'entraînement des modèles, évalué ceux qui marchaient, ceux qui donnaient de bons résultats. Il a regardé pourquoi ces résultats étaient obtenus et pourquoi une variable, comme la masse par exemple, avait spécifiquement été retenue.
Un process qui reste complexe, même avec l'IA
« Cela reste un process complexe et le modèle IA ne sera jamais aussi bon que le modèle physique, a rappelé Mickaël Duval. Avec cette solution, nous avons gagné en rapidité et en productivité. Nous aurions pu faire la même chose en Python. Mais nous sommes des ingénieurs métiers, même si nous avons des compétences en data science. Avec Dataiku, nous nous concentrons sur notre métier, pas sur le développement. » Avec un autre bénéfice, lié à la pénurie de compétences disponibles dans le domaine. « Nous sommes 4 personnes sur ce projet. Et il y a beaucoup de turnover à la DGA TA. Si quelqu'un s'en va et que le développement n'est pas bon, tout est perdu. C'est un autre problème que l'on résout avec la nouvelle solution ».
Article rédigé par
Emmanuelle Delsol, Journaliste
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