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La délicate évaluation des salariés IT à l'heure du digital

La délicate évaluation des salariés IT à l'heure du digital
Scott Bradley, CTO de Tyson Foods, considère que la nature du travail des salariés IT a changé et les DSI ont besoin d'outils pour les évaluer. (Crédit Photo : Tyson Foods)

La transformation numérique impacte aussi les équipes IT. Leurs manières de travailler changent en devenant plus agiles. Les DSI essayent d'évaluer les performances des collaborateurs et sont à la recherche d'outils pour cela. CIO.com a demandé aux responsables IT leur expérience.

PublicitéAu moment où les services IT sont écartelés entre l'amélioration des résultats de l'entreprise et la gestion des coûts, il est devenu plus crucial que jamais pour les DSI d'évaluer la productivité de leurs équipes. Comment Untel ou Untel se sont comportés dans la chaîne de valeur tout en livrant le produit X à l'entreprise ? Problème : les DSI ont longtemps manqué de mécanismes efficaces pour y parvenir. A l'ère du numérique, où les technologies permettent de gérer des voitures, de contrôler des lumières ou de classer les notes de frais depuis un smartphone, les DSI ne peuvent pas mesurer avec précision la productivité et la qualité des contributions des collaborateurs. Pour résoudre ce problème, certains DSI ont créé des outils maison, alors que des start-ups ont développé des outils de « workforce analytics ».

Au même titre que les responsables IT peuvent calculer le coût d'exploitation de chaque serveur ou baie se stockage par rapport à la valeur apportée, certains DSI cherchent un moyen pour analyser les performances des salariés comme s'il s'agissait des infrastructures IT, en les reconfigurant ou les redéployant en fonction des besoins métiers.

La transformation du travail IT

Etablir une comparaison entre performance des salariés et leur coût est un exercice mené par Scott Spradley, CTO de Tyson Foods, chaîne agro-alimentaire. Par exemple, la valeur varie entre un data scientist et un développeur, « il s'agit d'adopter une approche taxonomique de la valeur pour chaque maillon de la chaîne salariale », explique-t-il. Jusqu'à présent les approches pour quantifier le travail sont issues de la veille école. Les entreprises paient grassement des sociétés de conseil comme McKinsey, Bain & Co pour évaluer la performance des salariés. Des consultants suivent les employés pendant des semaines ou des mois, prennent des notes, rédigent des évaluations, établissent des recommandations et passent ensuite à une autre mission. Mais cette approche a été remise en question avec le digital.

Et surtout, la nature du travail dans l'IT a changé. Il y a dix ans, les entreprises développaient des logiciels avec un cycle en V pour aboutir à un produit final au bout de 18 à 24 mois. Aujourd'hui, les sociétés misent sur les équipes « agiles » capables de développer des applications en une à deux semaines. Les équipes en silos ont laissé la place à des structures interdisciplinaires comprenant des développeurs, des spécialistes de l'UX, des chefs de produits et des commerciaux. Cette vitesse et cette variété de personnel peuvent déconcerter les consultants les plus avisés. Les DSI ont donc besoin d'outils mesurant des résultats au niveau des processus opérationnels. « Il y a un besoin d'un style de gestion différent que celui mis en oeuvre », constate Bill Swanton, analyse chez Gartner. On utilise alors l'expression « Analytics Workforce ».

PublicitéDes modèles basés sur l'empirisme

Quand elle travaillait comme DSI d'Aflac (spécialisé dans l'assurance-vie), Julia Davis, a créé des mesures basiques pour mesurer la productivité, comme les tâches réalisées mensuellement par salariés à temps plein. Ces tâches vont des requêtes au help desk, la réparation des imprimantes à la modification du code. Davis a aussi commencé à analyser le développement d'applications, mais elle s'est heurtée à des difficultés pour mesurer les performances individuelles en mode agile. Avant son départ en 2018, la responsable avait opté pour une « auto-régulation » des équipes de développement.

La société TD Ameritrade, spécialisée dans le courtage en bourse, a utilisé pendant deux ans une méthodologie et un outil interne nommé Go Live. Ce dernier mesure la fonctionnalité métier générée par une équipe agile sur un sprint donné, explique Vijay Sankaran, DSI de TD Ameritrade. Initialement, Go Live mesurait le nombre de fonctionnalités générées pour chaque application, mais depuis il est capable d'évaluer la performance et la productivité de chaque développeur pour voir si elles s'améliorent avec le temps. Encouragée par les résultats, l'équipe de Vijay Sankaran étend maintenant Go Live pour mesurer les différents étapes d'avancement d'une application au cours de son cycle de développement en mode agile.

L'outil scrute l'application depuis sa conception jusqu'à sa mise en production. Dans un souci d'amélioration, l'équipe a créé une métrique baptisée OKR (Objectives and Keys Results) pour optimiser le cycle idéation-production. « Il y a tellement de leviers opérationnels différents à prendre en compte : qu'utilisez-vous ? Où sont les ressources optimisables dans une équipe agile et quel est le niveau d'investissement ? », interroge Vijay Sankaran avant d'ajouter, « Cet art a besoin d'être démystifié, mais il implique un grand changement culturel du côté des métiers ». Pour analyser la façon dont TD Ameritrade utilise les logiciels et les matériels, le DSI adopte le TBM (Technology Business Management) une méthode de plus en plus populaire pour aligner les coûts de gestion de l'IT sur la valeur métier.

En route vers le TBM

Les départements IT ont historiquement utilisés des tableurs pour effectuer leurs analyses, mais beaucoup abandonnent ce système au profit de solutions de TBM comme Apptio. Ces derniers s'attaquent à la problématique du contrôle des coûts du travail. Reconnaissant que les coûts salariaux représentent 50% de la structure de coût de la technologie dans une entreprise, Apptio a lancé en 2018, Agile Insights, une solution SaaS qui évalue plusieurs points (livraison, qualité et mobilisation des ressources). Les sociétés peuvent utiliser cet outil pour analyser les vérifications de code, les coûts par process et d'autres mesures générées par des sprints agiles au sein d'applications de gestion de projets comme Jira d'Atlassian et les comparer aux données financières dans les ERP, précise Sunny Gupta, CEO d'Apptio. « Il s'agit de sortir de l'anecdote et de prendre des décisions éclairées et quantitatives », glisse-t-il.

D'autres start-ups intègrent ce marché comme Fin Analytics. La société développe un logiciel aidant les entreprises à mieux comprendre comment les salariés accomplissent leurs tâches quotidiennes. Pour cela, elle propose un plug-in pour le navigateur Chrome enregistrant le déplacement de la souris, les clics et le comportement de navigation des employés, explique le co-fondateur Sam Lessin. La solution permet de suivre les usages des certaines applications comme le temps consacré à Slack ou pour réaliser une présentation. L'outil enregistre la vidéo et l'audio, créant un catalogue des différents process. Fin intègre ces informations dans des tableaux de bord mettant en évidence des mesures clés utilisables par les managers.

Des DSI dubitatifs et sceptiques

Une telle approche quantifiée de la main d'oeuvre pose des défis. Anna Frazzetto, DSI et en charge du digital chez Harvey Nash, rappelle les efforts déployés par les entreprises depuis 10 ans pour déterminer l'efficacité des développeurs. Il arrive que sur une même application un développeur puisse coder 1000 lignes et un autre ne mettra que 200 lignes. Comment calcule t'on l'efficacité dans ce cas-là ? Pour Anna Frazzetto, « à mon humble avis, ils n'ont pas réussi à résoudre le problème ».

Il est également difficile de comparer des équipes de personnes travaillant sur différents produits, souligne Bill Swanton, analyste au Gartner. Etant donné le degré de difficultés, un développeur UX travaillant sur un produit ne peut pas être évalué de la même façon qu'un développeur réalisant un autre produit. Idem pour quelqu'un qui élabore un algorithme d'IA, à qui un DSI demanderait « combien de lignes de code as-tu écrites aujourd'hui ? ». Le consultant constate que la mesure du rendement des salariés IT peut être perçue comme une récompense ou une punition et décourager le travail en équipe, pilier du mode agile.

L'analyste prône une évaluation basée sur chaque produit ou sur chaque équipe en fonction de la valeur créée ou des résultats commerciaux obtenus. « L'objectif de l'IT est d'améliorer le fonctionnement de l'entreprise. C'est la seule métrique qui compte », conclut Bill Swanton.

Article écrit par Clint Boulton/CIO.com, traduit et adapté par Jacques Cheminat

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