Jean-Séverin Lair (DSI, Insee) : « informaticiens et data scientists ont deux métiers différents »


Adopter la bonne stratégie pour les métiers
Etre un stratège, c'est choisir. Etre un bon stratège, c'est donc faire les bons choix au bon moment. Et, le cas échéant, il faut savoir changer de choix si la situation évolue. Lorsque les métiers réclament une IT agile, c'est cela : une IT qui s'adapte à leurs besoins, même lorsque leurs...
DécouvrirL'Insee (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques) a comme métier de traiter de la donnée. Comment, dans ces conditions, être DSI ? Jean-Séverin Lair, DSI de l'Insee, revient sur ce défi. L'organisation de l'Insee est, en partie, une réponse dans un établissement public qui a su depuis toujours former ses propres talents et gérer leur carrière.
PublicitéCIO : Pour commencer, pouvez-vous nous présenter l'Insee (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques) ?
Jean-Séverin Lair : L'Insee a été fondée en 1946 et comprend 5000 collaborateurs dont 440 sont effectivement rattachés à la DSI. Mais, en plus de ces 440, 1500 sont en capacité à coder dans les outils self-services dédiés aux data-scientists. Notre établissement publique à caractère administratif a comme ministère de tutelle celui en charge des finances. Nous disposons d'une direction générale centrale, au siège, à laquelle est rattachée la DSI, et de directions régionales. Ces dernières ont bien sûr des missions à visée régionale mais aussi pour certaines une ou plusieurs missions à caractère national. La DSI dispose en région de centres de développement à Paris, Lille, Orléans et Nantes ainsi que de centres de production à Nantes et Metz.
CIO : Le métier de l'Insee est de traiter de la donnée. Dans ce cadre, quel est le périmètre de la DSI ?
Jean-Séverin Lair : Notre principal objectif est de mettre à disposition des statisticiens les moyens dont ils ont besoin. La DSI gère donc les applications à but statistique (entièrement faites maison), les moyens pour les statisticiens et les infrastructures. La DSI de l'Insee ne peut pas être une direction du numérique simplement parce que c'est tout l'Insee qui est une direction du numérique ! Par contre, la DSI a un devoir de veille, voire de stimulation, pour tous les sujets numériques.
CIO : Côté infrastructures, justement, quelles sont celles utilisées par l'Insee ?
Jean-Séverin Lair : A Metz, nous disposons d'un datacenter en conteneurs physiques. Dans le cadre d'un programme de transformation conforme à la politique actuelle de mutualisation, nous basculons vers un usage de centres interministériels, Osny (Douanes) et Toulouse (ministère de l'agriculture). Nous sommes en train de reconstruire une infrastructure complète et nous en profitons pour apprivoiser les technologies du cloud privé dans notre contexte particulier en réalisant des démonstrateurs. Par ailleurs, nous testons une infrastructure de secours hébergée sur Nubo, le cloud interministériel de la DGFiP, dans le cadre de la mise à niveau de notre PRA.
CIO : En dehors du recours aux outils interministériels, qu'est-ce que vous pouvez externaliser ?
Jean-Séverin Lair : Tout n'est pas encore tranché. Nous utilisons plusieurs SaaS, par exemples Jalios pour notre Intranet ou la gestion de nos formations (en cours d'appel d'offres). Par contre, comme l'a rappelé récemment la Dinum, il n'est pas question d'utiliser Office365. Notre bureautique est donc en client lourd LibreOffice.
PublicitéCIO : Côté applicatifs, justement, quel est votre stratégie ?
Jean-Séverin Lair : Nous utilisons les applications des fonctions support issues de l'interministériel (Chorus pour l'exécution budgétaire, SiRHius pour la GRH, etc.).
Nous avons en interne deux cents développeurs pour que nous réalisions nous-mêmes tous nos développements, essentiellement en Java et un peu de Python, surtout pour l'IA, ainsi que R pour le self-service des data scientists. Nous travaillons en mode agile (méthode Scrum) avec une gestion de la maintenance utilisant la méthode Kanban.
Par contre, nous n'utilisons pas SAFe car cette approche méthodologique n'a d'intérêt que lorsque l'on développe un système intégré, ce qui n'est pas le cas de nos applications métier.
Notre prochaine évolution, ce sera le DevOps.
CIO : Comment gérez-vous la relation avec le métier qui est, chez vous, composé de personnes travaillant en permanence avec l'informatique ?
Jean-Séverin Lair : L'informatique est un métier, la datascience est aussi un métier. Certains font des allers-retours entre les deux mais je considère qu'il s'agit d'une double-carrière. Informaticiens et statisticiens doivent chacun rester à leur place : même s'il s'y connaît en statistiques, un informaticien ne doit jamais prendre la main sur une demande métier et, inversement, un statisticien qui s'y connaît en informatique doit laisser sa maîtrise aux informaticiens.
La culture commune d'ingénieurs dans toute la maison avec un fort attachement à la factualisation, au séquençage, etc. est bien sûr un avantage.
CIO : Vous avez de forts besoins en calculs sur des données très sensibles. Du coup, avec la crise sanitaire, comment avez-vous géré le télétravail ?
Jean-Séverin Lair : En fait, ça a été tellement bien géré que ce n'était plus une question lors de mon arrivée en novembre 2020.
Nos ordinateurs professionnels ne peuvent pas démarrer sans un VPN forcé dès le démarrage (c'est la technologie DirectAccess de Microsoft). Ils ne peuvent donc pas se brancher autrement qu'au SI de l'Insee. Avec la bascule globale en télétravail, il a juste fallu mettre à niveau l'infrastructure réseau. Et tous les PC fixes étaient par ailleurs systématiquement remplacés par des portables depuis 2019.
Toutes nos applications sont centralisées. Aucun calcul n'a lieu sur le poste de travail mais tout (calcul, stockage...) a uniquement lieu sur des machines centrales avec une traçabilité totale des accès aux données. Certaines machines centrales sont sous Windows comme les postes de travail mais les capacités, même de RAM, n'ont rien à voir.
Nous avons mis au point une souche libre en Java, Javascript, Go et d'autres technologies pour réaliser du calcul distribué sans être informaticien. Notre produit, Onyxia, est d'ailleurs déposé sur GitHub. Et le fait que notre développement interne soit repris par des établissements homologues à l'étranger est évidemment un motif de fierté. Même dans le calcul statistique, on peut donc innover. L'Insee a sa pertinence dans tous les aspects de la datascience, même les nouveaux.
Et ce qui est bien, aussi, avec les statisticiens, c'est qu'ils ont une culture très forte de la sécurité et de la déontologie. Naturellement, ils ne font pas n'importe quoi et c'est bien sûr, du coup, très confortable pour la DSI.
CIO : Quels sont vos défis actuels ?
Jean-Séverin Lair : Tout d'abord, l'adoption du DevOps. Si le mur entre métiers et développeurs est déjà abattu, il reste celui entre les développeurs et les opérations.
Ensuite, bien entendu, les technologies du cloud doivent encore être apprivoisées pour notre contexte particulier.
CIO : Et pas les usages de l'intelligence artificielle ?
Jean-Séverin Lair : Nous en faisons un peu mais, véritablement, cela n'apporte pas autant de valeur ajoutée qu'on aurait pu le croire. Nous avons quelques cas d'usage pour de la codification automatique. Mais les données que nous exploitons actuellement sont très structurées avec moins d'intérêt de traitement par l'IA par rapport à des algorithmes statistiques. A voir dans l'avenir.
CIO : Le recrutement non plus n'est pas un défi pour vous ?
Jean-Séverin Lair : Dans la DSI de l'Insee, il y a 95 % de fonctionnaires ! Les 5 % restants correspondent à des profils très pointus, très compliqués à trouver, pour lesquels nous utilisons la Place de l'Emploi Public.
L'Insee dispose en effet de ses propres écoles d'ingénieurs prestigieuses membres du groupe des écoles nationales d'économie et statistique (GENES), l'ENSAE (École nationale de la statistique et de l'administration économique, sur le campus de Polytechnique à Palaiseau près de Paris) et l'ENSAI (École Nationale de Statistique et Analyse de l'Information, à Bruz près de Rennes). La première forme notamment les administrateurs de l'Insee, la seconde des attachés statisticiens, en plus des élèves non-destinés à une carrière dans l'administration.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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