Jean Baptiste Courouble (ACOSS) : « Rien ne se fait aujourd'hui sans les systèmes d'information »


Des process aux données, l'IT se réinvente au coeur de l'entreprise
C'est un lieu commun, un truisme, une évidence : aucune entreprise ne peut plus exister sans une informatique performante au service de son métier. Mais, concrètement, comment cela peut-il se traduire lorsque l'entreprise (ou l'organisme) se réinvente ? Comment adapter l'informatique aux exigences...
DécouvrirL'ACOSS est confrontée à plusieurs enjeux métiers impliquant la DSI. Intégration du RSI, évolution du poste de travail, analyse et ouverture des données, l'innovation, le cloud, le RGPD. Jean Baptiste Courouble, DSI de l'Acoss revient sur ces différents sujets.
PublicitéCIO : Comment est organisée la DSI de l'ACOSS ? Est-elle centralisée ou décentralisée ?
Jean Baptiste Courouble : L'ACOSS intervient sur plusieurs métiers : collecte des cotisations sociales via le réseau des Urssaf, gestion de la trésorerie du régime général de la sécurité sociale et également mise à disposition d'indicateurs économiques. Au-delà d'une fonction support, les SI sont véritablement la pierre angulaire de toutes les activités métier. 850 collaborateurs répartis sur 11 sites composent la DSI (sur un total de 1300 personnes à l'ACOSS et 13000 avec les URSSAF), effectif qui va évoluer dans les mois à venir vers 1000 personnes avec l'intégration du RSI au régime général. Nous travaillons également avec environ 600 prestataires en mode assistance technique et centres de service.
Sur le plan de l'organisation, il s'agit d'une DSI centralisée, mais depuis peu. En janvier 2018, nous avons opéré la fusion de 7 centres informatiques ainsi que de la DSI de l'URSSAF Ile de France, plus le siège, qui étaient auparavant des entités indépendantes sur l'ensemble du territoire. Aujourd'hui, il y a une structure juridique unique : l'ACOSS. La DSI n'est plus organisée par sites, mais par fonctions : études et développement, production, assistance, architecture technique, architecture d'entreprise, secrétariat général. Cette démarche avait été préparée depuis 2012-2013 avec notamment la mise en oeuvre d'une direction étude et développement unique pour plus d'efficience.
CIO : Cette unification a-t-elle été accompagnée par une consolidation du SI ?
Jean Baptiste Courouble : Cette unification répondait à un besoin de simplification de gestion, mais au-delà de cet aspect, il y avait une tendance de fond de consolidation. Quand je suis arrivé à la tête de la DSI de l'ACOSS, nous avions huit datacenters, maintenant il n'y en a que deux. Un en dual site (Lyon) et l'autre en dual room (Toulouse). Toutes nos infrastructures ont été changées, nous avions des mainframes au départ, puis nous avons consolidé sur de l' Unix avant de basculer sur du Linux x86. L'architecture est maintenant complétement virtualisée. Par ailleurs, nous avons créé sur le site de Paris un cockpit de supervision/hypervision lié à la production permettant de faire du préventif et des gestes de premier niveau. On travaille pour aller plus loin sur ce cockpit en exploitant des signaux faibles avec du Big Data ou l'analyse des réseaux sociaux. L'idée est de détecter en anticipation des dysfonctionnements. Cette initiative nous a permis de remporter un prix CTO organisé par le CRIP.
PublicitéCIO : Comment vous vous positionnez sur le cloud ?
Jean Baptiste Courouble : Il y a plusieurs fers au feu. Il faut rendre nos infrastructures et nos applications « cloudifiables ». Par exemple, la partie relation avec les cotisants soumis à des développements en mode DevOps pourrait aller facilement dans le cloud. Sur la partie SaaS, on utilise de plus en plus de logiciels et de progiciels en mode hébergé. Sur l'aspect plateforme, des études ont été menées avec les autres branches de la sécu pour réaliser un cloud Sécurité Sociale, mais il y a encore des discussions techniques. Le cloud de l'Etat reste très orienté Etat. Des réflexions ont été menées côté sphères sociale mais n'ont pas réellement abouti. Nous étudions également la possibilité de basculer certaines applications dans le cloud public pour la partie hors-production, mais il faut que je trouve un modèle économique viable. Nous avons environ 17 à 18 000 VM actives en permanence et il est indispensable de promouvoir une hygiène sur le bon usage des VM Notamment sur le hors production. La rentabilité d'une telle démarche passe par une grande rigueur dans l'administration et l'usage des infrastructures.
CIO : Au sein de l'ACOSS, il existe une direction digitale. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Jean Baptiste Courouble : Récemment, nous avons créé une direction du digital et de l'innovation qui n'est pas rattachée à la DSI. J'étais personnellement très favorable à cette création, car le digital ne se résume pas à de l'IT, La question n'est pas de « faire » du Digital mais de s'adapter à un monde qui se transforme et qui devient de plus en plus digital. . L'innovation n'est pas une exclusivité de l'IT et l'impulsion doit être donnée dans toutes les directions ainsi que les organismes du réseau. Cette direction existe depuis le mois de juin dernier et Carole Leclerc, nous a rejoint récemment avec toute l'expérience qu'elle a pu développer, notamment lors de son passage à Pôle Emploi. Elle a pour objectif de faire évoluer l'écosystème vers une logique d'intrapreneuriat, de développer l'innovation au sein des Urssaf, de créer des passerelles avec les start-ups. Du côté de l'IT, j'ai créé une structure pour pousser l'usage de l'agilité, du DevOps avec des orientations UX ou Big Data. Nous avions également mis en place un premier lab, « le Chaudron » avec l'aide d'une start-up « lechaudron.io », permettant notamment de rapprocher usagers, métiers, utilisateurs URSSAF et informaticiens dans un espace dédié à l'apprentissage et l'innovation. L'idée avec Carole Leclerc est maintenant de créer un véritable Lab pour aller plus loin dans l'innovation et en parallèle construire une fabrique digitale. Nous avons commencé à recruter des profils pour cela et adapter nos infrastructures en conséquence.
CIO : Quels sont le grands enjeux actuels pour la DSI de l'ACOSS ?
Jean Baptiste Courouble : Le premier constat est que rien ne se fait aujourd'hui sans les systèmes d'information. Les métiers sont très dépendants des SI. Nous sommes passés d'une production humaine assistée par l'informatique à une production automatisée avec intervention humaine si nécessaire. Les SI socles ont été créés au début des années 80 avec des couches de sédimentation réglementaire et opérationnelle, tout en modernisant l'infrastructure. Sur les enjeux, nous travaillons avec des schémas directeurs sur 5 ans en écho à une convention d'objectif et de gestion passée avec l'état, fixant les grands enjeux métiers et les moyens permettant de les atteindre. Parmi ces enjeux, on retrouve la transformation digitale pour un meilleur accompagnement des relations avec les cotisants. L'Urssaf est essentiellement vue comme un collecteur, mais de plus en plus elle propose un accompagnement des cotisants les plus démunis en matière de gestion administrative en fournissant des services complémentaires permettant de faciliter la tâche de petites entreprises ou associations (offres TESE, CEA et Impact Emploi) Mais aussi des micro-entrepreneurs, travailleurs indépendants et particuliers employeurs (CESU, PAJE). Cela implique le développement d'applications sur smartphone, d'avoir une approche Open Data vis-à-vis des start-ups, etc. Ceci existe mais nécessite d'être largement amplifié. C'est la feuille de route que les directions métier, la direction de l'innovation et du Digital et la DSI vont suivre dans les prochains mois.
Autre enjeu important, l'intégration de plusieurs régimes spécifiques comme ceux des marins, des artistes/auteurs, des VRP et bien entendu du RSI. Cette intégration peut également se traduire par une infogérance comme c'est le cas pour la caisse des cultes. Cette prise en charge dans les SI du régime général est loin d'être simple. Les projets sont complexes avec plusieurs facettes pour chacune des intégrations, il existe en général un volet RH (transfert des personnels), un volet relatif à l'implémentation des nouvelles fonctionnalités dans notre SI et un volet relatif au dé-commissionnement des applicatifs et des infrastructures côté « cédant ». Le coeur de notre SI recouvrement « SNV2 » est issu d'une conception datant de la fin des années 70. Nous avons en chantier un programme de rénovation (Cléa) et par ailleurs l'écosystème et les infrastructures ont pu évoluer pour être à l'état de l'art. Pour autant, le noyau profond du moteur de calcul de cotisations est resté sur la même architecture avec des technologies de type COBOL. L'intégration des fonctionnalités des régimes intégrés reste donc un exercice particulièrement délicat, Il faut faire face à une hétérogénéité technologique et aligner des règles de gestion parfois très éloignées.
S'agissant de l'ex RSI, la suppression totale est prévue pour 2020 avec une répartition des différents risques vers les caisses du régime général : maladie à la CNAM, retraite à la CNAV et cotisations à l'ACOSS. Un GIE a été créé avec l'ensemble des acteurs sur la partie IT pour gérer dans la durée le dé-commissionnement des infrastructures et applications du RSI, ce projet devrait s'étaler jusqu'en 2022.
CIO : Le prélèvement à la source est-il un enjeu pour vous ?
Jean Baptiste Courouble : Nous avons trois services : TESE destiné aux très petites entreprises CEA et impact-emploi pour les associations. Nous réalisons les feuilles de paie pour leur compte, nous devons donc intégrer le prélèvement fiscal à la source au même titre que n'importe quel éditeur de logiciel de paie. Pour les particuliers, Paje et Cesu, la bascule est prévue en 2020 avec un effort de modernisation pour proposer un service « tout en un », afin de rendre transparent l'ensemble des actes administratifs relatifs à la paie du salarié et les éventuels crédits d'impôt pour les employeurs. Ces offres demandent beaucoup de développement, avec une attention particulière sur l'ergonomie du site, et sur l'IHM qu'on va proposer sur tout type de plate-forme.
Il y a un travail complémentaire pour un bon accompagnement. En 2017, nous avons travaillé sur l'ergonomie, l'interface des applications notamment mobile. Cette année, nous nous focalisons sur les moteurs pour intégrer le paiement direct, le complément de mode de garde, etc.
CIO : Sur le DSN (déclaration sociale nominative), où en êtes-vous ?
Jean Baptiste Courouble : L'intégration du DSN est derrière nous. Le rôle de l'ACOSS est d'héberger le bloc 1, c'est-à-dire le frontal mis à disposition des entreprises pour collecter l'ensemble des DSN et les router vers les opérateurs concernés par la DSN (Agirc-Arcco, prévoyance, CNAV,...). La DSN fait évoluer notre façon d'analyser les données. Auparavant, seules les données agrégées (par type de salariés par entreprise) servaient de base au recouvrement. Avec la DSN, Nous disposons de données personnalisées permettant de fiabiliser le montant des déclarations. Ces données sont vivantes (rafraîchies tous les mois) et fines. Elles permettent des analyses très détaillées ou de masse suivant les attentes métier.
CIO : Comment travaillez-vous sur les données ? avec du Big Data et pour quels usages ?
Jean Baptiste Courouble : Nous avons du décisionnel traditionnel qui fonctionne bien. Avec l'arrivée de la DSN, la masse de données est devenue exponentielle. L'année 2017-2018 a été l'occasion de réaliser des PoC de Big Data et de maitriser la technologie en utilisant des distributions Open source. Nous sommes maintenant en phase d'industrialisation avec une distribution Hortonworks. In fine l'objectif sera de récupérer des données de la DSN, faire des requêtages sur du Big Data, puis créer des algorithmes pour dégager des tendances et des actions, sur les parcours cotisant ou différentes détections.
CIO : Ces données peuvent intéresser des sociétés externes, comment les mettez-vous à disposition ?
Jean Baptiste Courouble : Nous avons beaucoup de demandes de start-ups pour utiliser nos données. Cela nous demande de créer des API sur différents domaines : de la recherche d'emploi en région, de la détection de fraude, ...Nous avons par ailleurs mis en place une solution d'API Management avec Axway pour proposer un catalogue d'API.
CIO : Vous êtes engagés dans l'Open Data et aussi dans le RGPD, comment avez-vous géré ces deux thèmes ?
Jean Baptiste Courouble : Il y a plusieurs pressions réglementaires, à la fois le RGPD et la loi sur une république numérique imposant par exemple la mise à disposition de code source vis-à-vis de personnes qui le demanderaient. Il y a nécessité de vérifier ce code (raisons de sécurité) avant de le publier et le mettre ensuite sur une plate-forme de type GitHub. Concernant le RGPD, nous avons mis en place une structure décentralisée avec un DPO à l'ACOSS s'appuyant sur un réseau de DPO dans les organismes. On travaille aussi sur le security by design pour les applications, même si nous étions déjà soumis des contraintes spécifiques de la part de la Cnil. Le volet anonymisation est mis en oeuvre quand on communique avec des tiers ou des prestataires de services. Dans le même temps, nous sommes désignés comme un opérateur de service essentiel par l'Anssi avec des contraintes et de mises en conformité. Nous attendons de bien maitriser l'ensemble des contraintes avant d'envisager un plan d'action, notamment sur les applicatifs particulièrement exposés.
CIO : En interne, travaillez-vous sur l'évolution du poste de travail des agents ?
Jean Baptiste Courouble : Le « digital workplace » est un sujet que nous avons priorisé et il y avait une demande de changement. Nous sommes dans une phase de déploiement d'Office 365 dans le cloud. Auparavant, les agents utilisaient du LotusNote pour la messagerie et de l'Office 2007 pour la bureautique, Scopia d'Avaya pour la visioconférence,... Nous avons travaillé sur une intégration globale de la suite Office pour permettre des usages beaucoup plus collaboratifs. Nous allons déployer a messagerie au début de l'année 2019. On débute dans l'usage de Forms et de Teams. Nous disposons d'un RSE (réseau social d'entreprise) nommé Canopée basé sur SharePoint. Il y a donc une vraie stratégie sur le workplace sous le nom de code Horizon avec une orientation sur les usages et des évolutions comme le télétravail.
CIO : Sur la partie innovation, vous testez un voice bot. Quelle est votre vision sur l'IA ?
Jean Baptiste Courouble : Au sein de l'ACOSS, on s'intéresse à l'IA pour les relations avec les cotisants à travers des bots. Un appel à projet (AMI) géré par la DITP autour de l'IA a été remporté par l'ACOSS avec pour objectif la mise en place d'un Voice Boit pour aider les associations sur notre dispositif CEA . Par ailleurs nous menons diverses expérimentations autour du RPA (Robotic Process Automation). Nous observons avec évidemment avec grand intérêt tout ce qui se passe autour de l'IA
Article rédigé par

Jacques Cheminat, Rédacteur en chef LMI
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