Stratégie

Jacques Marzin (DISIC) : « nous voulons mettre en place l'Etat Plateforme, un socle de partage interministériel »

Jacques Marzin (DISIC) : « nous voulons mettre en place l'Etat Plateforme, un socle de partage interministériel »
Jacques Marzin, directeur de la DISIC (Direction interministérielle des systèmes d'information et de communication)
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°87 !
Relations clients, relations citoyens : la révolution numérique incontournable

Relations clients, relations citoyens : la révolution numérique incontournable

Que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé, les clients au sens le plus large, c'est à dire les utilisateurs du service final rendu par l'organisation, doivent être au coeur de l'activité. Clients, utilisateurs, citoyens, usagers ou mille autres termes désignent des cibles toujours...

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Après le décret du 1er Août 2014, le principe d'un SI unique de l'Etat est acté. Jacques Marzin, directeur de la DISIC (Direction interministérielle des systèmes d'information et de communication) nous en explique toutes les conséquences et les limites en complément des déclarations du secrétaire d'Etat Thierry Mandon.

PublicitéCIO : Le 1er août, un décret est paru qui renforce les prérogatives de la DISIC. Concrètement, qu'est-ce que cela change ?

Jacques Marzin : Rien. Il s'agit simplement d'une suite logique d'un travail collectif lié à une prise de conscience : il n'y a toujours eu qu'un seul SI de l'Etat. Le décret de 1986 était dépassé. On ne peut plus dire que chaque ministre est responsable du système d'information de son ministère. A l'époque, les systèmes étaient des silos qui crachaient du listing et les usagers prenaient le papier qu'on leur donnait pour le porter d'un guichet à un autre.
Aujourd'hui, l'attente des citoyens est celle d'une mise en cohérence dans un contexte où la quasi-totalité des processus (à l'exception peut-être des impôts) est interministérielle. Les citoyens attendent de l'Etat un service sans couture. D'où, par exemple, l'initiative « Dites-le nous une fois » où le principe est qu'un usager n'ait pas à fournir à l'administration une information qu'elle détient déjà.
Et, depuis la mise en oeuvre du programme Chorus, chaque ministère n'est d'ailleurs déjà plus responsable de son SI financier puisque tout est mutualisé sous la responsabilité de l'AIFE donc du Ministère des Finances. De la même façon, le RIE (Réseau Interministériel de l'Etat) ) est opéré par les services du Premier Ministre.

CIO : Est-ce que cela signifie que la DISIC va tout de même prendre un certain ascendant sur les DSI ministérielles ?

Jacques Marzin : Nous n'avons aucune volonté de dessaisir les DSI ministérielles de leurs applicatifs métiers. Ni de leurs capacités à innover. La DISIC est et demeure une DSI "groupe" stratégique pour l'Etat. Nous avons deux tâches essentielles dans ce cadre.
La première est de concevoir une architecture de l'ensemble du système d'information de l'Etat pour améliorer le service rendu aux citoyens et aux entreprises.
La deuxième est de fédérer les compétences des environs 18 000 informaticiens sous 80 statuts différents. Ces informaticiens produisent des travaux remarquables mais qui sont méconnus et, en tous cas, pas assez partagés.

CIO : Qu'entendez-vous exactement par la définition d'une architecture partagée entre tous les ministères ?

Jacques Marzin : C'est un très gros sujet de travail en commun depuis plusieurs mois entre tous les DSI ministériels et leurs architectes. Nous voulons mettre en place une stratégie d'Etat Plateforme. Nous fournirons dans les semaines à venir un socle agnostique destiné à accueillir des api sécurisées de différentes natures (principalement fournies par les administrations) qui elles-mêmes serviront à bâtir des applications multicanales à destination des usagers.
Nous voulons favoriser l'intrapreneuriat au sein même des administrations et que telle administration et même tel expert s'engage à réaliser un projet précis répondant à des besoins exprimés au cours d'un débat ouvert.
Nous travaillons également à une nouvelle version du RGI (Référentiel Général d'Interopérabilité) qui va s'appuyer sur les standards du web. Les briques de base de cette architecture seront développés et mis à disposition via une forge (ou « place de marché ») unique qui permettra de les retrouver très rapidement. Ces différentes ressources seront en accès ouvert, et donc destinées aussi bien à la sphère publique qu'aux entrepreneurs du web.
Seulement, pour que ces API soient déployées et que l'information circule, l'Etat Plateforme devra s'appuyer sur une gestion unique de l'identité du citoyen, et de l'agent pour garantir la continuité entre les services en ligne et les guichets.

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CIO : Cette identité unique est-elle possible face aux contraintes, par exemple, issues de la Loi Informatique et Liberté ?

Jacques Marzin : Nous voulons mettre en place un « France Connect » pas plus compliqué à utiliser que le « Facebook Connect ». Mais nous apportons une attention évidemment importante à la maîtrise des données qui le concernent par chaque citoyen. Chacun contrôlera et autorisera (ou non) tel ou tel circulation d'information entre administrations. Ce sera un système répondant au principe de « Privacy by Design ».
Ce travail sera mené avec une consultation publique et en collaborant avec la CNIL, dans le respect des nouvelles contraintes européennes en la matière. Le socle de « France Connect » devra en effet permettre, comme l'exige l'Union Européenne, d'accepter un identifiant issu d'une carte d'identité belge puisqu'un citoyen belge doit pouvoir recevoir en France des services de l'Etat comme un Français doit pouvoir recevoir des services de la Belgique lorsqu'il est sur le territoire de ce pays.
« France Connect » peut être vu comme un fédérateur d'identités. Et, comme le demande la CNIL, l'architecture retenue ne devra pas permettre les rapprochements de fichiers non prévus par les textes.
Un tel service est, pour les citoyens, sans doute plus démonstratif de la modernisation du SI de l'Etat que le déploiement du Réseau Interministériel de l'Etat.

CIO : Malgré tout, si les maîtres mots sont la mutualisation et le partage, il y a eu de mauvaises expériences comme l'ONP (Office National de Paye), un échec. Quelles leçons ont été tirées ?

Jacques Marzin : L'ONP ne créait pas une nouvelle mutualisation. Depuis plus de trente ans, la DGFIP (Direction Générale des Finances Publiques) paye tous les agents de l'Etat (à l'exception des militaires).
Mais il visait à renouveler cette mutualisation avec un calculateur unique connecté à un grand nombre de SIRH. En fait, c'est l'absence d'une mutualisation de la supervision globale des projets de SIRH et du projet de nouveau calculateur qui est sans doute une des causes de l'échec. C'est une tâche difficile sur ce type de chantiers qui s'échelonnent, tous ministères confondus, sur près de dix ans.
Cela dit, il reste des éléments qu'il ne faut pas mutualiser. Le fonctionnement des forces militaires projetées sur un théâtre extérieur et celui de l'éducation nationale resteront évidemment profondément différents. Le SI d'Etat est donc condamné à rester complexe. Certaines mutualisations peuvent même être contre-productives en imposant des systèmes cumulant les obligations de tous les systèmes qu'ils remplacent.

CIO : La mutualisation des infrastructures va-t-elle se poursuivre au delà du RIE, par exemple avec un « Cloud d'Etat » bâti sur l'expérimentation de la DILA ?

Jacques Marzin : Le RIE (Réseau Interministériel de l'Etat) est de fait devenu le réseau destiné à tous les ministères. Mais un « cloud d'Etat » ne pourrait être, au stade ultime, qu'une fédération de diverses capacités, parmi lesquelles celles offertes par la DILA. La DISIC n'a pas vocation à devenir un opérateur de cloud.
Même si l'expérimentation de la DILA a donné entière satisfaction, elle est aujourd'hui suspendue. En effet, nous n'avons pas atteint -pour le moment- le nombre suffisant de clients ministériels qui permette d'atteindre le seuil de rentabilité du service.
Pour atteindre ce seuil critique, il n'est pas impossible que nous soyons amenés à nous appuyer sur une infrastructure proposée par des acteurs privés en attendant que le nombre de machines virtuelles justifiant un « cloud d'Etat » soit atteint. Imposer aujourd'hui aux ministères une migration vers cette infrastructure serait imposer des travaux donc des coûts. Globalement, l'opération resterait déficitaire. La migration se fera par conséquent au fur et à mesure des projets.
La DISIC est le seul endroit qui a vocation à fédérer tous les intérêts de l'Etat et à offrir une vision de l'intérêt global, pour la nation, des mutualisations.

CIO : Enfin, en mai dernier,a été annoncé la création d'un poste d'administrateur général des données (CDO, Chief Data Officer) de l'Etat. Où en est-on ?

Jacques Marzin : Les données publiques constituent en effet le patrimoine fondamental de l'Etat et il faut quelqu'un pour en piloter la gouvernance, notamment en vue d'une ouverture pertinente dans le cadre d'une démarche d'open-data.
La DISIC poursuivra, au regard des priorités d'ouverture, totale ou partielle, proposées par l'administrateur général des données, son travail d'amélioration de la production et de la mise à disposition de ces données pour des usages nouveaux, internes ou externes à l'administration.

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