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Information numérique circulante : qui est le vrai propriétaire ?

Information numérique circulante : qui est le vrai propriétaire ?

Qui gagne quoi et comment dans la monétisation des données personnelles ? Le sujet est au coeur des préoccupations tant des entreprises que des consommateurs.

PublicitéUn étudiant américain vient de lancer une initiative consistant à vendre « ses données personnelles en ligne pour deux euros la journée » (1). Les traces numériques que chacun d'entre nous laisse sur la Toile ont-elles de la valeur ? Faut-il rendre marchands ces traces ? S'il est devenu possible de « traquer et de collecter ses propres données », faut-il pour autant les monétiser systématiquement ? Combien les web-marketeurs doivent-ils payer aux propriétaires de ces données ? Peut-on envisager un paiement qualitatif (visibilité, réputation, réciprocité de service,...) ? Peut-on décider du destinataire de ces données (exclusivité ou non) dès lors que l'information numérique est en ligne (donc reproductible et manipulable) ? Quelle « éthique comportementale » doit-on adopter collectivement ?

Le client est « un filon »

Le CIGREF vient de publier en juin 2013 un ouvrage qui s'intitule « Entreprises § culture numérique » (2). Je lis en page 23 le chapitre dédié à « la primauté de l'expérience client ». La première phrase  « le marketing pré-numérique considère avant tout le client comme un filon, une source d'enrichissement et ce dernier le sait parfaitement » est d'autant plus juste qu'elle prend sa source dans l'Histoire de l'économie contemporaine. Inutile en effet de développer une longue théorie sur la monnaie et l'argent. Il suffit de se tourner vers Joseph A. Schumpeter qui énumère dès le début du XXème siècle les fonctions de la monnaie, à savoir être « un étalon d'une valeur d'échange, un intermédiaire des échanges et une réserve de valeur ». Tout le monde sait depuis la crise de 1929 que l'argent rapporte des intérêts puisque si je dépose 1000 euros à ma banque, mon banquier n'hésitera pas à les  « réutiliser » par exemple pour des crédits à la consommation sans demander mon avis. Le dépositaire de mon argent (la banque) devient en même temps mon prêteur -interlocuteur-créancier si je m'adresse à lui pour acquérir une automobile à crédit. Un système complexe s'est d'ailleurs mis en place pour couvrir sous forme de prime les risques encourus si une dette n'est pas payée. La banque peut aussi placer mes 1000 euros selon l'offre du marché et récolter les intérêts. Elle peut également prêter de l'argent aux PME PMI. Il faut reconnaître la justesse du propos ci-dessus qui affirme que le client est un vrai « filon »...

Un nouveau rapport au monde marchand...

Notes

1 - « Un étudiant américain vend ses données personnelles en ligne pour deux euros la journée. Et si tout le monde devenait le maître de ses traces numériques? » SOURCE : http://www.atelier.net/trends/articles/vente-de-donnees-personnelles-amenee-changer-industrie-de-publicite_420789

Publicité2 - Entreprises § culture numérique, Préface de Pascal Buffard Président du CIGREF, Juin 2013, Edité par CIGREF Réseau des Grandes Entreprises, p. 23



Un nouveau rapport au monde marchand

Le même ouvrage du CIGREF signale que « le consommateur  découvre une nouvelle relation au monde marchand ». C'est d'autant plus juste que le monde marchand vient vers lui et... l'encercle. L'économie numérique basée sur l'information a adopté en réalité le même modèle que l'exemple bancaire ci-dessus, mais avec de nouveaux principes et procédés. Lorsque je dépose des contenus numériques sur les réseaux sociaux, des vidéos, des images, des confidences, ou tout simplement lorsque je tape les mots « tarte aux myrtilles » sur mon clavier, j'y laisse donc une empreinte numérique sans le vouloir, mon moteur de recherche préféré vient de comprendre mes goûts, mes inclinations, mes tendances et mes préférences. Cette empreinte enrichit mon moteur de recherche et la communauté en général.

Le mot « myrtilles » prend de la valeur si nous sommes plusieurs millions à l'apprécier. La valeur créée est donc liée à la valeur d'échange. Les web-marketeurs en sont friands. Paul constitue à son insu une richesse informationnelle et une « réserve de valeur » (on parle aujourd'hui de « coffre-fort numérique ») qu'il met, en qualité de consommateur / acteur, à la disposition des autres. En réalité, qui donne, qui partage, qui prend, qui reçoit et qui perçoit ?

Qui donne, qui partage, qui prend, qui reçoit et qui perçoit ?

La question posée semble décalée. Elle est pourtant au coeur du débat. En effet, je mets cette « réserve », par le biais de « big data », à la disposition des marchands et des utilisateurs de toutes sortes. Le problème est d'autant plus nouveau que face à l'abondance des données, on ne sait plus très bien qui donne, qui reçoit et qui prend. On ne sait plus précisément qui est encerclé et qui encercle. En revanche, on devine qui perçoit... Voilà un schéma inédit pour la DSI et cette rupture lui « tombe littéralement dessus ». Elle ne pourra ni se satisfaire des théories statistiques, ni de probabilités, compte tenu de la courbe d'évolution de cette abondance et des risques de saturation du cerveau humain. La machine prendra donc de nouveaux pouvoirs pour soulager ce dernier (réalité augmentée, web sémantique, ...). Nous y reviendrons plus loin.

Il ne faudra pas m'étonner si dans les prochaines navigations sur internet, l'écran de mon smartphone se remplit de publicités prétendues 'singulières' de tartes de toutes sortes, avec des offres promotionnelles, ou lorsque je me promène dans les galeries marchandes d'un grand centre commercial, un système de géolocalisation y capte ma présence et me 'provoque' pour m'inciter à m'arrêter dans la pâtisserie à proximité qui effectue une offre promotionnelle de ces délicieuses tartes. D'ailleurs, l'internet n'est pas le seul territoire numérique où nous laissons des traces. On peut également citer les cartes de fidélité de la grande distribution, le paiement en ligne ou au distributeur automatique de billets, les bornes des autoroutes, des parkings, les objets connectés au sein d'une maison, lesquels sont reliés aux fournisseurs afin de réapprovisionner automatiquement un stock de produits de consommation ou de chauffage atteignant son seuil minimum, les agendas partagés, etc..

Un robot peut prendre le contrôle de l'action pour promouvoir des offres singulières dès lors que l'individu est « fiché ». De son côté, l'internaute client-consommateur- acteur d'informations et de contenus numériques est le principal contributeur de ce « fichage ». Nous sommes « tous fichés » comme l'affirme Jacques Henno (3), et le « capitalisme cognitif » (4) dans un monde qui se digitalise en tire les meilleurs profits.

Le défi de la DSI : la réforme de la pensée et du regard...

Notes

3 - Tous fichés, Jacques Henno, Edition Télémaque, 2005

4 - Le capitalisme cognitif, Yann Moulier Boutang, Multitudes/Idées Editions Amsterdam, 2007



Le défi de la DSI : la réforme de la pensée et du regard

La question de l'investissement informatique ne se mesure donc plus uniquement avec les mêmes étalons de mesure qu'hier dans ce monde hyper-connecté. La Direction des Systèmes d'Information et ... de Communication (DSIC) est contrainte d'adapter son discours devant les instances de gouvernance. En effet, jusqu'à présent la justification des investissements informatiques s'effectuait dans une logique de continuité en faisant référence à des ratios connus comme le budget informatique / chiffre d'affaires, etc. Aujourd'hui de nouveaux étalons apparaissent comme par exemple le volume de l'audience / capitalisation boursière, etc. Nous vivons une rupture qui est le résultat de l'accumulation conjointe de l'égalité de l'accès à l'information + la facilité d'usage des technologies populaires de plus en plus puissantes et nomades + la massification des flux + l'ouverture au monde + les nouveaux risques et menaces + les nouvelles opportunités liées à cette ouverture + la libre circulation de l'information et des idées. C'est la raison pour laquelle ce sujet est devenu brûlant et dépasse largement la dimension technique (www.cogouvernance.com). L'argumentaire à la direction générale a changé. Les tableaux de bord de la DSI traditionnel n'ont plus a même portée et le même impact sur la prise de décision et le système de business intelligence à l'heure du « Cope » (Corporate Owned Personnaly Enabled ) et a fortiori du « Byod » (Bring Your Own Device). Une réforme de la pensée s'impose !

Mais qu'est-ce que cette réforme ? L'un de mes confrères m'a raconté récemment l'histoire de la 'poule de Kircher' (5). Cette célèbre poule est en effet sidérée par le cercle tracée à la craie autour d'elle. Littéralement hypnotisée par ce cercle fermé, le comportement de la poule aussi étrange qu'elle puisse paraître consiste à respecter les limites du trait de craie sur le sol. Elle ne sort pas du périmètre du cercle. Ce modèle ressemble à celui des anciennes organisations encore pérennes, en quête d'une compétitivité qui n'arrive pas, où le trait de craie se limite à la limitation de l'innovation qui les caractérise. En revanche, les acteurs de l'entreprise devenue poreuse grâce en particulier au numérique et la mondialisation qui l'accompagne, devront restaurer les relations endogènes et exogènes en réformant sa propre pensée créatrice de valeur et son propre regard sur la culture. En effet, la réforme en question est à la fois structurelle et culturelle.

Notes

5 - Le philosophe et la poule de kircher, Jean-Pierre Cometi, L'éclat

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