Infogérance : choisir le bon scénario
Y a-t-il des formes d'infogérance qui se développent ? Où en est-on de la vague de fond que nous pressentions il y a un an, après ces méga-deals signés en France en 2004 et qui devaient déclencher le marché ?
PublicitéClairement, 2005 n'aura pas été une bonne année pour les signatures d'infogérance. Il nous semble toujours que, au plus haut niveau, les dirigeants d'entreprise cherchent à externaliser leur informatique. Mais en pratique, cette ferme volonté se transforme de moins en moins en opérations importantes ou durables. Nous voyons au contraire beaucoup d'opérations partielles, timides... et non pérennes. Pour expliquer cette quasi-régression du marché, il faut évoquer le nombre croissant d'échecs en matière d'infogérance. Nous avons dans le dernier numéro de CIO listé ces causes d'échecs et analysé les possibilités de les contourner. Remarquons qu'il ne s'agit pas d'échecs permanents, il serait plus juste de parler de difficultés anormales de démarrage pendant la première année ou plus. Des difficultés qui sont toutes parfaitement répertoriées, prévisibles et qui reposent d'abord sur la sous-estimation des chantiers à conduire, du côté prestataire comme du côté de l'entreprise. Admettons que les entreprises et les infogérants vont finir par retoucher terre. Admettons ensuite que les directions achats vont arrêter de rouler contre leur camp en demandant des niveaux de coût ou des niveaux d'engagement qui ne se rencontrent que dans des mondes imaginaires. Admettons, enfin, que l'infogérance sera à nouveau considérée comme un projet majeur d'entreprise, dûment préparé et piloté au niveau de la direction générale. Dans ces conditions, quelles sont les infogérances dont les entreprises auront durablement besoin, et que les prestataires sauront démarrer puis gérer efficacement ? Si l'on cherche à classer les infogérances gagnantes, le premier critère reste la taille de l'entreprise. Il faut distinguer trois grandes catégories : les PME, les grandes entreprises et les méga-entreprises. Le paramètre à prendre en compte est le budget informatique total (incluant les études, le réseau, voire la téléphonie). Sont ainsi considérées comme des PME les entreprises dont le budget système d'information est inférieur à 2 millions d'euros. Les grandes entreprises, elles, ont des budgets compris entre 4 et 100 millions d'euros. Quant aux méga-entreprises, ce sont celles dont les budgets système d'information dépassent les 200 millions d'euros. Certes, les bornes indiquées ne sont pas jointives pour laisser la place aux cas intermédiaires. De même, dans le cas des groupes, ce sont les budgets de chaque activité économique qu'il faut prendre en compte séparément (un groupe qui ferait de la banque, de la téléphonie et de la chimie aura toujours, dans les faits, trois systèmes d'information et trois budgets distincts). Et certains départements de grandes entreprises (recherche-développement, RH...) ont une telle autonomie informatique qu'il faudrait les considérer comme une PME interne. Face à cette segmentation, quelles sont les externalisations gagnantes ? Les PME attendent majoritairement des solutions ASP (Application Service Provider) qui consistent à mettre à leur disposition un progiciel, et les services associés d'exploitation, de support et de maintenance applicative. Dans ces conditions, 75 % de leur budget informatique pourrait être externalisés. La limite principale reste la médiocrité de l'offre ASP, mais elle évolue dans le bon sens, d'autant qu'il existe, et c'est une grande nouveauté, de plus en plus de progiciels "verticaux" adaptés à des secteurs économiques bien précis (vente sur le Web, immobilier, finance, courtage...). À l'opposé, les méga-entreprises ne recherchent pas à proprement parler d'infogérance. Généralement, elles disposent d'une DSI forte, avec ses propres équipes de management techniques et leurs méthodes, mais elles font largement appel à du personnel externe pour réaliser des tâches techniques d'exploitation ou de développement. Cette situation n'est pas gérable sur la distance du fait des risques de sclérose des équipes internes, ou de non-respect des lois sociales vis-à-vis du personnel externe. La solution qui émerge est, curieusement, baptisée "insourcing". Ce n'est surtout pas de l'outsourcing, mais cela y prépare. Cet insourcing consiste à confier à un prestataire la responsabilité d'une fonction technique, dans les locaux de l'entreprise, avec les moyens et méthodes de l'entreprise. Cela n'interdit pas, après un an ou plus, de demander au prestataire d'utiliser ses méthodes, ses bases d'expertise ou ses centres de télépilotage. Client et prestataire peuvent ainsi faire glisser le curseur qui va de l'insourcing à l'outsourcing. Toutefois, ces solutions sont encore réservées au monde de l'exploitation : 30 % de ce budget peut ainsi être externalisé. Les opérations de coentreprise entre client et prestataires sont souvent un habillage de ces insourcings, permettant plus de contrôles ou de réversibilité de la part du client. Certes, les gains immédiats associés à l'insourcing demeurent très limités, mais c'est la seule voie de passage "non destructive" vers une autre forme d'externalisation ultérieure, plus classique et qui apportera plus de gains. Pour le "paquet central" des budgets système d'information compris entre 4 et 100 millions d'euros, on se situe bien dans le domaine de l'infogérance. La DSI reste, et doit être réorganisée avec plus de pouvoir et nettement moins d'équipes, avec peu d'interventions dans le quotidien et de fortes implications dans les budgets, les relations MOA et les nouvelles applications. Le scénario le plus recherché, en tout cas en situation cible, est celui de l'infogérance "globale". C'est le scénario qui permettra d'externaliser la plupart des grandes fonctions techniques (exploitation des postes de travail, des serveurs et applications centrales, des télécoms, et de fonctions études de TMA et de qualification). Les aspects internationaux sont devenus tout à fait classiques. On externalise maintenant une fonction au niveau mondial (ou au minimum européen) en imposant une méthodologie et des outils uniques. Les infogérances d'exploitation, notamment des postes de travail, posent de moins en moins de problèmes puisqu'elles obéissent désormais à des règles du marché très précises en termes de natures et niveaux de service, de transformations préalables et de systèmes de facturation. Le nouvel enjeu majeur concerne l'infogérance des études (Application Management Services) qui va bien au-delà de la simple TMA, en intervenant aux niveaux intégration et qualification. La grande question est de savoir jusqu'où segmenter cette infogérance globale entre plusieurs prestataires. Nous voyons très nettement émerger la règle idéale dite "des trois prestataires" : trois lots, signés à des dates différentes de façon à consulter le marché au moins tous les deux ans avec des rectifications de périmètre à chaque renouvellement. Aucun de ces prestataires n'est "principal", c'est à la DSI d'arbitrer les éventuels conflits. Un des avantages de cette solution est qu'elle ne sombre jamais dans la routine ! Restent des cas où on est obligé de travailler avec un seul prestataire (ce qui est apparemment plus facile mais peut conduire aux dangers du monopole). C'est le cas des petits budgets (nettement moins de 10 millions d'euros, dont 50 % seulement seraient externalisables). C'est également le cas d'informatiques internes déjà filialisées ne permettant pas de nouveaux découpages. Parler d'infogérances partielles, sélectives, temporaires... montre souvent que l'on fait fausse route. On sacrifie à une mode, sans stratégie d'externalisation. En fait, on programme ses déceptions. Chaque entreprise devrait bâtir ou ajuster sa stratégie d'externalisation informatique globale à cinq ans. Compte tenu de l'état du marché et des évolutions en cours (les standards, l'offshore), le nombre de solutions cibles possibles est extrêmement limité. Les variantes dépendent de la taille du budget, du niveau de l'organisation déjà en place et des grandes transformations à conduire. À partir de cette stratégie, l'ajustement portera sur la vitesse d'atteinte de la cible. Une infogérance globale se construit par étapes, avec plusieurs partenaires.
Article rédigé par
Pierre Laigle, Associé du cabinet de conseil KLC
Associé du cabinet de conseil KLC, société de conseil à maîtrise d'ouvrage pour conduire des opérations d'eSourcing, Pierre Laigle est diplômé de l'Ecole Centrale de Paris. Il a été directeur technique en charge des services chez SG2, directeur général adjoint chez GFI en charge de l'infogérance. Il est l'auteur du dictionnaire de l'infogérance, paru aux Editions Hermès.
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