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Hubert Tournier (Ramsay GdS) : « nous voulons centraliser la gestion de l'informatique plus que l'informatique elle-même »

Hubert Tournier (Ramsay GdS) : « nous voulons centraliser la gestion de l'informatique plus que l'informatique elle-même »
Hubert Tournier a quitté la grande distribution (le Groupement des Mousquetaires) pour la santé, avec des contextes techniques et des enjeux très différents.
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°160 !
Métiers, que la force de l'IT soit avec vous !

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Aligner l'IT sur le métier, base d'une bonne gouvernance de la DSI, est un principe connu depuis des années. Bien. Mais il ne faudrait pas oublier que le métier bénéficie de la valeur de l'IT, que l'IT est un outil important et, plus encore, une source d'innovation, de changements dans les...

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Hubert Tournier, DSI de Ramsay Générale de Santé, premier groupe d'hospitalisation privée en France, doit gérer un SI sensible à l'heure du RGPD.

PublicitéCIO : Votre groupe est international et possède de multiples établissements, souvent issus de rachats. Comment se structure le groupe ?

Hubert Tournier : Le DSI et le RSSI de Ramsay Australie jouent aussi le rôle de DSI et RSSI groupe et ils supervisent les activités au niveau monde mais la France reste très autonome sur son système d'information. En effet, notre secteur étant très réglementé dans chaque pays, il n'y a pas de partage réel de SI entre implantations nationales. Nous avons donc un important dialogue, des échanges mais pas d'héritage.
Par contre, l'Australie est pour nous un endroit très intéressant (et vice-versa d'ailleurs). Avec neuf heures de décalage horaire, il pourrait être pertinent de partager la supervision de certains éléments d'infrastructures. Nous allons y travailler.

CIO : Et au niveau français, entre le siège et les établissements ?

Hubert Tournier : Le siège comprend des directions transverses délivrant des services aux établissements : DRH, immobilier, finances... et DSI. Notre DSI comprend une soixantaine de collaborateurs au niveau groupe et à peu près autant répartis dans les établissements. Les études et l'assistance maîtrise d'ouvrage comme l'essentiel des déploiements et des opérations sont gérés au niveau siège. Il reste cependant un peu d'opérations au niveau des établissements (nous allons y revenir).
La répartition entre établissements et siège est pour beaucoup liée au poids de l'histoire. Il y a un point très important à souligner -et qui me change beaucoup par rapport à mon poste précédent-, c'est la grande progicialisation de notre système d'information. Or les progiciels étaient, au départ, généralement conçus pour gérer un seul établissement par implémentation. En plus, le secteur a besoin d'une disponibilité totale : impossible de ne pas pouvoir accéder à un dossier patient alors qu'il va bénéficier d'une opération chirurgicale ! Aujourd'hui, les réseaux se sont améliorés mais il reste tout de même des incidents. L'autre matin, un établissement a ainsi vu sa fibre et sa fibre de secours coupés par un coup de pelleteuse... Gênant si le SI est hébergé dans le cloud...
Notre but est donc davantage de centraliser la gestion de l'informatique plus que l'informatique elle-même, qui pourrait rester en partie sur les différents sites.



CIO : Quels sont les domaines du SI hébergés dans chaque établissement ?

Hubert Tournier : Ce que j'indique est l'état actuel du SI mais nous menons en ce moment une réflexion et des évolutions. La première partie du SI à être gérée localement est la gestion administrative des patients, notamment l'admission. Le dossier patient informatisé (DPI) est également sur place. Cela implique que l'essentiel des données personnelles médicales ne circulent pas, ne sortent pas de l'établissement, ce qui est plutôt rassurant à l'heure du RGPD.
Au siège, nous gérons le Portail Ramsay Services qui permet de réaliser la « pré-admission » et la réservation de services additionnels tels qu'une garde d'enfants ou d'animaux de compagnie, une aide ménagère, la livraison de repas... Nous disposons également d'une app mobile qui permet, par exemple, de savoir en temps réel le temps d'attente dans un de nos services d'urgence, de trouver des médecins ou nos hôpitaux... Rien d'extravagant mais de l'utile.
La paye, la comptabilité, etc. sont en évolution en ce moment : nous constituons un centre de services partagés pour s'en occuper. La comptabilité sous Sage n'a pas de particularité à mentionner mais la paye utilise un progiciel spécifique au secteur car il existe des spécificités qui ajoutent une grande complexité à la fonction. En particulier, nous avons recours à beaucoup de vacataires, très temporaires par nature, avec donc beaucoup d'entrées/sorties dans nos effectifs.
Le support de proximité et la bureautique sont gérés localement mais avec des effectifs limités. Il en est de même d'applicatifs très spécifiques, par exemple pour gérer les parkings, les caméras de surveillance, etc. La messagerie est centralisée.

PublicitéCIO : Pourriez-vous envisager un recours à une bureautique dans le cloud(Office365, Google for Work...) ?

Hubert Tournier : Même si, normalement, personne n'est censé véhiculer de données de santé par la messagerie ordinaire, on évite de sortir ces fonctions du groupe et les serveurs concernés sont hébergés chez un hébergeur agréé pour les données de santé. Et, à partir d'une certaine taille en effectifs, c'est de toutes façons moins cher de le gérer en interne.

CIO : Quelles conséquences y-a-t-il à avoir ainsi un SI très progicialisé ?

Hubert Tournier : Déjà, au contraire de ce que j'ai vécu au sein du Groupement des Mousquetaires, la DSI comporte peu de développeurs. Nous n'en disposons, pour l'heure, que pour le portail. Mais il nous faut malgré tout faire dialoguer des applications et assurer leur intégration à un SI global. Cela implique de faire faire des développements de « demi-interfaces » par chaque éditeur de progiciels, avec des mises en production impliquant une mobilisation de tout le monde.
Nous allons donc conserver les équipes issues du développement du portail et les accroître. Nous aurons ainsi des ressources pour améliorer le traitement des données. Beaucoup de traitements seraient pertinents et ne sont pas réalisés aujourd'hui. Nous pourrions ainsi analyser les données administratives mais aussi, un jour futur, créer des aides au diagnostic grâce à l'IA. Pour l'heure, nous réalisons quelques expérimentations mais avec des données quantitativement insuffisantes.
Acheter des logiciels tels que des outils de Master Data Management, c'est vite tomber sur des nécessités de développement. Surtout, les données ne sont pas toujours très propres ou très contrôlées, c'est à dire respectant strictement des nomenclatures et des normes. Traiter ces données suppose de réaliser des traitements préparatoires parfois sophistiqués. Nous pensons pouvoir le faire à moindre coût avec des développeurs en interne. Ceux-ci pourraient travailler sur nos référentiels de données (établissements, praticiens y compris ceux de l'écosystème, et patients). Si l'ASIP Santé, l'agence française de la santé numérique, a parfaitement modélisé la plupart des données de santé relatives aux établissements et aux praticiens, elle ne l'a pas encore fait pour les données patients.



CIO : Comment procédez-vous pour échanger des données avec votre écosystème, comme les médecins de ville ?

Hubert Tournier : Les logiciels de médecins de ville ne sont pas connectés à notre SI même si cela pourrait être pertinent. Mais il y a une telle variété de logiciels que ce serait un cauchemar d'intégration. Pour l'heure, nous n'en faisons pas une priorité car le futur DMP [Dossier Médical Partagé, aujourd'hui géré par la CPAM, NDLR] pourrait résoudre le problème et être la meilleure solution. N'oublions pas que le temps passé par le praticien doit être optimisé au profit du patient, pas pour saisir des données informatiques.

CIO : Du coup, quels sont vos enjeux ?

Hubert Tournier : L'intégration des solutions applicatives. Le Dossier Patient Informatisé ne contient pas, contrairement, à ce que l'on pourrait imaginer, la totalité des données des patients. Chaque logiciel de spécialité (anesthésie, radiographie, gestion de bloc opératoire...) possède ses compléments. Or disposer d'une information circulant bien entre ces applications (comme une allergie médicamenteuse par exemple) est un facteur d'efficacité opérationnelle et d'importance pour la santé des patients.

CIO : A l'heure du RGPD, vous gérez donc un très grand nombre de données personnelles...

Hubert Tournier : Toutes les données de santé sont évidemment des données personnelles très sensibles. Or la réglementation nous demande, d'un côté, de garantir une stricte sécurité et, de l'autre, de permettre aux intéressés un accès global à leur données, prochainement de permettre leur portabilité ou leur oubli... Si on ne veut pas traiter les demandes d'accès manuellement, il est souhaitable de proposer un portail de mise à disposition accessible via le Web, ce qui revient à mettre tous ses oeufs dans le même panier, tout en tentant de protéger fortement celui-ci ! Ce qui n'est pas si facile...
Pour l'instant, la plupart de nos logiciels ne sont pas accessibles par Internet. Chez Ramsay Générale de Santé, nous sommes tous bien en phase sur un refus catégorique de prendre des risques avec les données de santé. Nous prenons beaucoup de précautions comme par exemple des enquêtes sur les pratiques sécuritaires de nos fournisseurs potentiels, des tests d'intrusion, des analyses de vulnérabilité, parfois des audits de code, etc. Notre ouverture est faible.



CIO : Anonymisez-vous des données avant de les analyser ?

Hubert Tournier : Pour les programmes de recherche, nous anonymisons les données, en effet. Mais peut-on vraiment les anonymiser à 100% ? J'imagine qu'il doit y avoir des cas compliqués, comme par exemple des images de fond d'oeil. Le tout c'est de les dissocier totalement de l'identité des personnes correspondantes. Les données, de plus, appartiennent au patient. Les praticiens ne les partagent pas sans le consentement des intéressés.
Il va sans doute, dans les mois à venir, y avoir des encouragements au partage de données à fins de recherche, ne serait-ce que pour permettre la montée en capacités d'analyses des IA, notamment pour faire des détections précoces de maladies. Pour l'instant, nous pratiquons très peu ce genre de valorisations précisément parce que c'est compliqué. Nous étudions la possibilité de recourir à un tiers de confiance extérieur pour que les patients acceptent un tel partage.

CIO : Le groupe Ramsay Générale de Santé dispose d'un programme de travail avec des start-ups, Prevent2Care Labs. De quoi s'agit-il ?

Hubert Tournier : Ce programme est géré par la Fondation du groupe. La DSI y contribue, pour la sélection de la dizaine de start-ups retenue, mais ne le dirige pas. Le programme permet d'incuber et d'accompagner des start-ups, et d'accroître leur notoriété. Les start-ups ont été sélectionnées d'abord sur le critère de l'intérêt du patient, notamment en matière de prévention. La DSI apportera également aux start-ups du conseil en IT, surtout quand les équipes des entreprises incubées n'intègrent pas suffisamment ces compétences.
Mais, dans le domaine de la santé, même les éditeurs de progiciels bien installés sont encore souvent des petites structures pas encore « passées à l'échelle » au contraire de ce qui s'est passé dans les autres secteurs. J'ai donc régulièrement l'impression de travailler avec des start-ups !

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