Hertz contre Accenture : quatre leçons à tirer d'un désastre IT

Analyser les projets IT qui ont échoué permet de récolter bien des informations utiles et des enseignements spécifiques. Nos collègues de CIO Etats-Unis ont extrait quatre leçons du procès Hertz contre Accenture, applicables à la majorité des contrats d'externalisation.
PublicitéLes projets réussis débouchent souvent sur des conclusions assez similaires, qui sont bien identifiées dans les organisations (comme la présence d'une équipe solide ou l'engagement d'un sponsor). En revanche, ceux qui tournent mal peuvent fournir d'excellentes occasions d'apprentissage.
Le procès Hertz vs. Accenture, intenté l'année dernière, fournit quelques enseignements très précieux. Ce cas, qui concerne une transformation digitale, nous apprend qu'il est important de connaître les bonnes pratiques pour engager la responsabilité des fournisseurs, en particulier quand vous cherchez à être agile sur grande échelle.
En s'appuyant sur toute l'information publiquement disponible, nos collègues de CIO Etats-Unis ont recensé ce qui n'a pas fonctionné dans le projet de Hertz et Accenture, et les raisons de cet échec.
Le contexte
La plupart des gens connaissent Hertz en tant que loueur de voitures, avec près de 10 000 agences dans le monde et un-demi-million de véhicules. En 2012, Hertz a acquis deux autres entreprises de location de voiture, Dollar et Thrifty. Malheureusement, en 2016, le cours de l'action avait chuté d'environ 85%. Hertz était en effet pris en tenailles entre trois forces différentes.
D'un côté, les acteurs de l'autopartage Lyft et Uber introduisaient un modèle de rupture sur le marché de la location de voiture. Un rapport a relevé que dans les dépenses des organisations, les frais liés à Uber et Lyft ont augmenté de près de 75%, alors que la location de véhicules a chuté de 23%. Dans le même temps, le prix des véhicules d'occasion n'a pas augmenté dans les proportions attendues par Hertz, l'un des cinq grands revendeurs. Avec un demi-million de voitures en stock, Hertz a subi un impact assez fort sur la valorisation de ce parc. Enfin, Hertz subissait une forte pression de sa concurrence. Au cours des deux ou trois années précédentes, Avis avait affiché des performances opérationnelles nettement meilleures, ce qui accroissait encore la pression.
Alors même que Hertz remplissait ses objectifs financiers, l'équipe de management était distraite. Des doutes circulaient sur la véracité de leur rapports financiers. A la suite d'une investigation de la SEC en 2014, Hertz avait été forcé de rééditer cinq ans de comptes financiers. Cela a finalement conduit au remplacement du PDG, suivi neuf mois plus tard par un nouveau remplacement, le premier successeur n'ayant pas convenu. L'entreprise avait en plus de tout cela vécu une restructuration de son organisation, déplacé son siège en Floride et externalisé son IT.
Tous ces facteurs mis bout à bout ont abouti à une situation dans laquelle l'entreprise était prête à changer, mais tout en ayant perdu beaucoup de son capital de connaissances, à la fois intellectuel et institutionnel.
PublicitéLe périmètre du programme
Le programme lui-même faisait partie d'un plan de 400 millions de dollars pour remplacer les systèmes existants de Hertz. Il s'agissait d'une transformation digitale assez classique du service frontal, centrée sur l'amélioration de l'expérience client et l'évolution vers un modèle davantage self-service. La pyramide technologique était elle aussi caractéristique de ce type de projet : des interfaces Angular2 au sommet, reliées via MuleSoft à une plateforme Adobe Experience Manager et à un back-office composé de près de 1 800 systèmes legacy, avec lesquelles il fallait tenter de s'intégrer.
Hertz avait une série d'exigences : le système conçu pour eux devait pouvoir être étendu à Dollar et Thrifty. Le design devait également être responsif, l'application devant pouvoir fonctionner aussi bien sur des postes fixes, des ordinateurs portables, des tablettes et des téléphones mobiles. Le programme lui-même était mis en oeuvre par Accenture en se basant sur des méthodes agiles.
Trois facteurs rendent ce cas unique, aussi bien d'un point de vue juridique qu'en termes de leçons à en tirer. D'une part, le programme utilisait une méthodologie agile sur grande échelle, et il est assez rare de voir de de tels programmes faire l'objet d'un procès. D'autre part, c'est un procès intenté à Accenture, et il en existe peu. Enfin, les montants en jeu étaient eux-mêmes faibles (NDLR : pour le contexte Nord-Américain) : seulement 36 millions de dollars de dommages.
La chronologie
En 2015, dans le cadre de sa transformation, Hertz a recruté un nouveau DSI hors de l'entreprise. Le groupe l'a accueilli avec un package de 6 millions de dollars, signalant qu'il avait l'intention de lui donner l'autorité nécessaire pour mener vers l'avant la plateforme technologique et la stratégie.
En 2016, Hertz a contractualisé avec Accenture pour l'aider à concevoir les grandes lignes de sa stratégie de plateforme, puis le groupe a finalement lancé un appel d'offre cette même année, à l'issue duquel Accenture a été retenu face à IBM. Toujours en 2016, Hertz a achevé l'externalisation de ses systèmes backend et de ses services de maintenance applicative auprès d'IBM. Cette évolution signifiait que bien des connaissances dont disposait Hertz sur ses systèmes legacy avaient disparu. En cours d'année, Hertz a annoncé qu'Accenture avait retiré du programme le responsable produit, pour des raisons indéterminées. Ce point est intéressant, car il révèle qu'Accenture, et non pas Hertz, était le responsable produit.
En septembre 2017, Hertz a signé un ordre de mission avec Accenture pour mettre en oeuvre la première phase du programme. Un mois plus tard, ils ont décalé le go-live jusqu'à décembre 2017. Fin 2017, Hertz a recruté un nouveau directeur marketing qui semble avoir été engagé sur le projet. C'est apparemment à partir de là que la situation a commencé à partir à la dérive. Le DSI a fini par démissionner. Le projet a été retiré à Accenture, puis IBM a été recruté pour le terminer. Finalement, en avril 2019, Hertz a intenté un procès à Accenture.
Les motifs du procès
Hertz poursuit Accenture pour deux raisons majeures. La première est la rupture de contrat, avec trois accusations portées contre Accenture : tout d'abord, ceux-ci auraient construit un système uniquement pour Hertz, difficilement extensible à Thrifty ou Dollar. Ensuite, ils n'auraient pas conçu un système responsif. L'application marchait sur le poste de travail et les téléphones, mais n'était pas adaptée aux tablettes. Enfin, Hertz estime que le produit n'a pas été testé en fonction des standards de qualité qu'ils attendaient.
La seconde partie de la plainte porte sur la violation de la loi de l'état de Floride en matière de pratiques déloyales et trompeuses. Du point de vue de Hertz, Accenture leur aurait fait de fausses promesses pour obtenir le contrat, en indiquant qu'ils allaient mettre la meilleure équipe sur ce projet pour les accompagner et qu'ils disposaient des compétences requises pour pouvoir mettre en oeuvre ce projet. Le procès se concentre notamment sur les connaissances d'Accenture sur un produit dénommé RAPID, qui est peu utilisé et qu'on peut considérer comme non standard.
Depuis que le procès a été intenté, il y a eu un certain nombre de développements. Le premier, sans doute le plus important, est le rejet par le juge de la plainte concernant la violation de la réglementation commerciale de Floride. Le juge a considéré que ce genre de pratiques s'inscrivait dans les stratégies marketing classiques d'enjolivement, et indiqué que Hertz aurait dû en être conscient.
Concernant les compétences et les capacités associées à l'outil RAPID, le juge a indiqué que Hertz n'avait pas fourni suffisamment d'information pour démontrer qu'Accenture avait réellement prétendu disposer de telles ressources. Si cette affirmation a pu être faite à l'oral auprès de Hertz, cela n'était documenté nulle part, or c'est l'une des conditions indiquées dans la loi sur les pratiques commerciales équitables.
Le rapport fourni par la cour indique également que près de deux millions de documents ont été examinés par les deux parties durant la phase de collecte de preuves (discovery), et qu'environ un demi-million seront probablement retenus comme preuves et utilisés pour l'instruction du procès. Accenture a mandaté une cinquantaine d'avocats sur cette affaire, mettant clairement toutes ses forces dans la défense de son organisation.
Comme l'on pouvait s'y attendre, Accenture a lancé une riposte judiciaire, accusant Hertz d'avoir rompu le contrat en n'ayant pas honoré le paiement qui leur était dû.
Parmi les dernières suites en date, l'une des plus intéressantes est qu'IBM est désormais engagé dans ce processus. IBM a affirmé que l'information qui doit être rendue disponible dans le cadre de la phase de discovery est couverte par des accords de confidentialité conclus avec Hertz. IBM a déclaré que la procédure de discovery ne permettait pas de revenir sur ces accords, demandant au juge de trancher. Ultérieurement, Accenture et IBM se sont mis d'accord indépendamment du juge pour rendre progressivement cette information disponible dans le cadre de la procédure, au cours des trois prochains mois.
A l'heure actuelle, le plan prévoit de porter tout cela devant la cour aux environs de septembre 2020. Mais si l'on se base sur le déroulement de bien des procès, cela sera probablement reporté à une date ultérieure. Cela peut durer des années. D'autres procès suivis par nos collègues de CIO USA ont typiquement duré deux ou trois ans, mais cette durée dépend fortement des montants financiers en jeu ou de l'existence de précédents. Le procès de Bridgestone contre IBM a duré près de 4 ans et demi, mais près de 600 millions de dollars étaient en jeu. Avec seulement 36 millions, la procédure Hertz/Accenture est bien moindre.
Les leçons à tirer de cette affaire
1. Mettez tout par écrit
Dans le cadre du processus de sélection, les équipes vérifient et évaluent leurs fournisseurs ou certains des produits qu'ils mettent sur la table. L'une des choses qu'Hertz a omises au cours de ce processus était de demander des documentations spécifiquement sur RAPID. C'est plus simple à dire qu'à faire, mais vous devez vous assurer de documenter le processus et les déclarations des fournisseurs dans le cadre du processus d'évaluation, d'autant plus s'il s'agit du choix d'un fournisseur clef.
2. Prenez le temps de connaître l'équipe
Hertz avait besoin de contrôler les compétences des collaborateurs mis à disposition par Accenture. Dans ce contrat, il s'agissait visiblement de mettre à disposition des moyens à plein temps, et dans ces situations, il est de la responsabilité du client de confirmer la qualité des ressources. Faites également une vérification croisée des compétences. Vous pouvez simplement passer en revue une équipe proposée par un fournisseur, mais vous devez aller plus loin et déterminer si cette équipe a déjà travaillé ensemble auparavant. Ses membres ont-ils collaboré sur un projet similaire au vôtre, ou est-ce que le fournisseur se contente d'aligner différents experts fonctionnels pour votre projet ? Dans l'idéal, les équipes qui ont déjà une expérience commune sont préférables.
3. Gardez la propriété du projet
Dans ce cas précis, Hertz a apparemment désigné Accenture comme responsable produit. Cela signifiait que la responsabilité de définir le périmètre de ce qui devait être livré revenait in-fine à Accenture, au lieu de désigner Hertz comme premier responsable et de déléguer à Accenture la responsabilité de la livraison. Hertz n'aurait pas dû abdiquer ce rôle de propriétaire du projet.
4. Rendez vos fournisseurs responsables des résultats
Les procès reviennent cher. Si aucune entreprise ne souhaite poursuivre les fournisseurs qui participent à leurs projets, la meilleure défense est de suivre en continu la performance de votre fournisseur et de les tenir responsables du déroulement et de l'exécution de vos projets.
Article de John Belden / CIO Etats-Unis (Adaptation et traduction par Aurélie Chandèze)
Article rédigé par

La rédaction de CIO Etats-Unis,
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