Henkel mise sa stratégie sur l'IA générative verticale
Le géant allemand des biens de consommation Henkel a testé avec succès l'IA générative pour sa promotion des ventes. Mais il a des ambitions bien plus grandes pour la technologie. Il compte devenir un pionnier dans son secteur et se positionner en tant que tel dans les moteurs de recherche, en bâtissant et en entraînant ses propres LLM verticaux.
PublicitéAvec son siège social à Düsseldorf et plus de 50 000 employés, l'industriel est plus qu'une entreprise de produits de grande consommation. Sa branche B2B industrielle se concentre ainsi sur les adhésifs, comme Loctite, tandis que sa branche B2C possède des marques telles que Dial (nettoyage de la peau) et Purex (entretien du linge). Pourtant, il y a quatre ans seulement, le géant s'est retrouvé à la croisée des chemins. À l'instar de nombreux acteurs historiques de l'industrie des biens de consommation courante, cette entreprise de près de 150 ans a en effet tardé à s'engager dans une transformation numérique, creusant un fossé de plus en plus grand entre elle et ses consommateurs.
Henkel a alors rédigé une feuille de route stratégique sur cinq ans qui impliquait de remanier l'organisation informatique, de créer un nouveau service digital, de regrouper les investissements DSI et CDO sous une même ombrelle et de bâtir des centres d'innovation mondiaux dans des hubs géographiques tels que Berlin, Shanghai, Bangalore ou les États-Unis. Aujourd'hui, ces efforts portent leurs fruits, positionnant même Henkel parmi les entreprises pionnières de l'IA générative non seulement pour optimiser ses activités, mais aussi en tant qu'élément central de sa vision stratégique.
Premier enjeu, recruter des profils IA et data
« Nous devions absolument nous doter de davantage de capacités logicielles, de data et d'IA, insiste Michael Nilles, CDIO du groupe depuis ce virage. Et nous devions en premier lieu améliorer massivement les compétences internes en la matière et recruter des profils venus de l'extérieur. » Pour concrétiser sa stratégie digitale, l'industriel devait en effet recruter des datascientists, des ingénieurs data et des experts en IA. Une gageure dans un marché de l'emploi high tech ultra concurrentiel, pour un groupe dont l'activité n'attire pas forcément ce type de profils en priorité. « Certes, le super gourou de l'IA qui exerce dans les grandes entreprises de la technologie n'aura peut-être pas envie de nous rejoindre, reconnaît Michael Nilles, mais il n'est probablement pas non plus la bonne personne pour nous. Nous voulons des profils qui aiment résoudre des problèmes complexes et majeurs de l'industrie avec la technologie. »
Autre élément clé de la feuille de route : établir des partenariats stratégiques solides. L'industriel a par exemple choisi de renforcer sa relation avec son compatriote SAP en misant entièrement sur sa business technology platform (BTP) et en travaillant étroitement avec lui en co-innovation. Dans le cadre de cette collaboration, les deux parties ont mis au point deux outils enrichis par l'IA pour la gestion et l'optimisation de la promotion des ventes. Le Trade promotion management (TPM) et le Trade promotion optimization (TPO) sont en effet devenus clés dans le secteur des produits de grande consommation qui impliquent la gestion et l'optimisation de toutes les activités promotionnelles engagées avec les détaillants, depuis les remises jusqu'aux déductions et aux paiements. Les grandes entreprises du secteur comme Henkel dépensent des milliards de dollars pour la promotion des ventes. Son optimisation peut ainsi être source d'importants gains potentiels.
PublicitéL'IA générative, plus intuitive
« Pourtant, pendant de nombreuses années, rien n'a été fait dans ce domaine, car il n'y avait pas vraiment de logiciel standard disponible, regrette Michael Nilles. C'est un problème IT difficile avec un modèle de données très complexe qui nécessite beaucoup de puissance de calcul et une interface utilisateur vraiment intelligente. » Henkel a donc décidé de construire sa propre solution, dans le cadre de son partenariat avec SAP. Objectif : gérer une planification qui compte plus de deux milliards de noeuds. Le duo a commencé par créer un moteur de recommandation en machine learning, pour aider les utilisateurs finals à réaliser une TPO à la volée. « Dans ce processus, l'optimisation marginale a en effet un impact énorme à la fois sur le chiffre d'affaires et sur les résultats, » insiste Michael Nilles. Cependant, dans le même temps, SAP travaillait sur Just Ask, une fonction d'analytique search driven pour son Analytics Cloud qui utilise l'IA générative. Henkel l'a testée avec l'outil de TPO et a rapidement considéré cette technologie comme une des clés principales pour tirer tout le parti de ce logiciel.
« De nouveaux LLM verticaux vont émerger et peut-être même des micro-verticales spécifiques dans certains domaines, estime Michael Nilles, CDIO de Henkel. Disposer de ce type de LLM constituera un énorme avantage concurrentiel. » (Photo Henkel)
« La solution de promotion des ventes reste un animal compliqué, mais son utilisation est devenue beaucoup plus intuitive avec l'IA générative, estime Michael Nilles. Un gestionnaire de grand client ou un commercial peuvent désormais directement exploiter les données issues de la solution et en tirer des pistes de travail efficaces. Ce n'était tout simplement pas possible avec le machine learning, car ce n'est pas une forme d'IA accessible à des personnes qui ne sont pas au moins titulaires d'un doctorat en data sciences ! »
Michael Nilles rappelle qu'avant Just Ask, créer une campagne pour un produit avec les détaillants et en peaufiner tous les éléments comme les remises spécifiques par exemple pouvait durer des mois. Désormais, les gestionnaires de compte peuvent directement utiliser l'outil en langage naturel dans une réunion de préparation par exemple, explorer en quasi temps réel les options qui se présentent à eux et établir un plan final prêt à être partagé dès le lendemain. La campagne complète peut même être lancée en magasin à l'échelle nationale dès la semaine suivante.
Les LLM verticaux, pari stratégique
Mais si cette première utilisation de l'IA générative est un franc succès chez Henkel selon Michael Nilles, celui-ci estime aussi qu'elle peut jouer un rôle encore plus stratégique chez l'industriel. Ce dernier a par exemple travaillé d'arrache-pied pour adapter ses data de R&D sur les produits de grande consommation à un LLM (Large language model) qui sera, selon le CDIO, un accélérateur important dans le développement de nouveaux produits. Pour lui, à l'heure où l'IA générative bouleverse l'industrie, c'est aussi une opportunité pour Henkel de jouer un rôle central en la matière dans son secteur. « Nous pensons que de nouveaux LLM verticaux vont émerger et peut-être même des micro-verticales spécifiques dans certains domaines particuliers, poursuit-il. Et disposer de ce type de LLM constituera un énorme avantage concurrentiel. Si nous ne nous y attelons pas, nous serons sérieusement menacés par d'autres. »
Aujourd'hui, un consommateur intéressé par l'achat d'équipement de tennis par exemple peut se rendre sur un site Web spécialisé dans ce sport. Avec l'IA générationnelle, il pourrait simplement envoyer une requête dans un prompt dans un des médias sociaux de Meta ou Tencent, par exemple. Dans ce cas, celui qui a bâti le LLM que WeChat utilise par exemple pour répondre aura un réel avantage. « Si nous sommes l'un des premiers dans ce cas, espère Michael Nilles, nous participerons à définir le marché et nous acquerrons le droit de nous asseoir à la table des discussions lorsqu'il y aura une réorganisation de toute la chaîne de valeur. »
Article rédigé par
Thor Olavsrud, IDGNS, adapté par E.Delsol
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