Hélène Brisset, d'Île-de-France Mobilités : « les communs numériques sont les garants de la cohérence des transports dans la région »
A la tête de la direction du numérique de l'autorité organisatrice des transports en Ile-de-France, Hélène Brisset détaille ses grands chantiers de 2025. La simplification des tarifs tout d'abord, achevée au 1er janvier, et surtout l'arrivée de la concurrence sur le bus, et demain sur les réseaux ferrés et de métro.
PublicitéArrivée en 2022 au sein d'Ile-de-France Mobilités, l'autorité organisatrice des transports en commun de la région parisienne, Hélène Brisset a mis en place une direction du numérique aux fonctions élargies par rapport à la DSI de l'ex-Syndicat des transports d'Île-de-France (Stif). A la tête d'un budget annuel désormais situé entre 150 et 200 M€, la directrice du numérique d'Île-de-France Mobilités revient sur les grands chantiers de son département : la mobilisation pour les JO de l'été dernier, la transformation des tarifs au 1er janvier 2025 et la prochaine ouverture à la concurrence.
Polytechnicienne, Hélène Brisset a passé la majeure partie de sa carrière au sein des départements numériques de l'Etat. Notamment au sein de la DSI de l'Etat, où elle piloté le programme Réseau interministériel de l'Etat et a été l'adjointe du directeur interministériel du numérique, puis au sein des ministères sociaux (Solidarités, Santé, Travail et Sports), en que DSI, puis directrice du numérique.
Depuis le 1er janvier, la tarification dite unique s'applique sur le réseau de transports en commun franciliens de métro, de trains, de tramway et de bus. Quelle a été l'implication de la direction du numérique dans ce chantier ?
Hélène Brisset : La simplification de la tarification est massive : nous passons de 50 000 combinaisons possibles... à 2 ! Cette simplification a été répercutée dans l'ensemble des algorithmes de calcul de tarifs embarqués dans nos logiciels. La mise à niveau s'est déroulée en plusieurs étapes et des équipes de la direction du numérique et des partenaires étaient encore sur le pont dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, pour effectuer les derniers tests et vérifier que les impacts utilisateurs étaient conformes à nos attentes. La prochaine étape, ce sera l'arrivée du Navigo Liberté+ (offre à l'usage, en post-paiement, NDLR) sur le canal mobile, au printemps.
Rappelons aussi que nous opérons une application mobile qui est notre frontal d'acquisition de titres sur le canal mobile, frontal relié à un ensemble de logiciels. Depuis la dématérialisation des titres sur iPhone au printemps dernier et les JO à l'été, les usages mobiles ont explosé, avec une application qui a vu son nombre d'utilisateurs grimper de 70% sur l'année 2024, tandis que le nombre de téléchargements a progressé de 110%.
Dans cette nouvelle politique tarifaire, l'app Île-de-France Mobilités apparaît comme centrale et devrait logiquement concentrer davantage d'usages. Comment avez-vous renforcé cette pièce de votre dispositif ?
Certes, la dématérialisation des titres participe grandement au périmètre fonctionnel couvert, mais l'app est bien construite sur deux piliers : l'information voyageurs et la recherche d'itinéraires d'un côté ; la billettique de l'autre. Et les JO de Paris 2024, notamment, ont bien mis en évidence l'importance du premier pan fonctionnel autour de la recherche d'itinéraires.
Un gros travail a été mené sur l'année 2023 et le début 2024 pour renforcer la résilience de cette application, afin d'en assurer tant les performances que la cybersécurité. Nous sommes parvenus à afficher 100% de disponibilité pendant toute la durée de Jeux, sur l'ensemble des services. On s'attache désormais à garder un niveau très élevé de performances, de gestion des capacités et de cybersécurité, puisqu'à mesure que notre trafic et que le volume de données notamment bancaires que nous enregistrons s'accroissent, nous devenons potentiellement une cible de plus en plus intéressante pour des cybercriminels.
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« L'application incarne la logique de la mobilité en tant que service : les modalités, comme le covoiturage, le parking relais ou la réservation d'un espace vélo, viennent progressivement enrichir les fonctionnalités. » (Photo : Bruno Lévy)
Les JO ont donc servi de levier pour renforcer votre application ?
Les Jeux olympiques et paralympiques ont été un accélérateur. Nous savions que nous allions être une vitrine planétaire, drainant de nombreux utilisateurs, mais aussi des tentatives d'accès malveillantes. Nous avons profité de cet événement pour revoir du sol au plafond l'ensemble des infrastructures et du code. Cette remise à plat fait aussi partie de l'héritage des Jeux.
Comment sont orchestrées les évolutions fonctionnelles sur cette application ?
Nous travaillons en développement continu, notamment sur le calculateur d'itinéraires. Nous sommes ainsi en cours de refonte du calculateur piétons. Pour les JO, nous avons également déployé des fonctionnalités complémentaires pour l'accès aux sites olympiques, avec une répartition des flux pour éviter les phénomènes de saturation. Ce qui a amené au développement de fonctionnalités très avancées sur le calculateur d'itinéraires, car il fallait que ces répartitions évitent de scinder des groupes ou des familles tout en garantissant la bonne répartition des flux. Prochainement, ces développements seront réexploités pour proposer des parcours différenciés, basés sur différents critères. Par exemple, afin d'éviter les parcours à forte affluence. Ce moteur multicritères est déjà en place ; il nous faut encore l'alimenter avec les données d'affluence sur l'ensemble du réseau. L'objectif est d'y parvenir dans le courant de l'année.
Comment les nouvelles mobilités - en particulier le vélo en plein développement en région parisienne - s'intègrent-elles dans ces développements ?
L'application incarne la logique de la mobilité en tant que service : les modalités, comme le covoiturage, le parking relais ou la réservation d'un espace vélo, viennent progressivement enrichir les fonctionnalités de l'application, qui a vocation à couvrir l'ensemble des mobilités franciliennes. Même si cela signifie des données à récupérer, des questions d'interopérabilité et, parfois, des services en marque blanche à intégrer à l'app. Sur la flotte de vélos Veligo par exemple, nous récupérons les données d'usage, issues de la géolocalisation, après application de fonctions de floutage pour protéger les données personnelles.
Cette app, pilotée en collaboration avec la direction de l'offre de services et du marketing, est gérée par une équipe de 5 collaborateurs, animant une communauté d'environ 120 personnes, dans une logique de plateforme connectant toute une série de services développés soit directement par Île-de-France Mobilités, soit par des opérateurs de transport, soit par d'autres partenaires. Par exemple, le service Live, portant sur l'information voyageurs sur le réseau ferré, est en cours de développement au sein de SNCF Gares & Connexions. Autre exemple : sur la base des données d'affluence - issues des caméras en entrée de tunnels -, tant la SNCF que la RATP ont développé un service permettant de présenter le niveau d'affluence dans les rames.
« Pour l'ouverture à la concurrence, une réflexion a été menée avec la RATP et Transilien SNCF Voyageurs pour définir les communs numériques à conserver, par exemple pour diffuser l'information voyageurs sur l'ensemble du réseau quels que soient la technologie et l'opérateur. » (Photo : Bruno Lévy)
Les missions d'Île-de-France Mobilités se sont étendues ces dernières années. Quelles conséquences cela-a-t-il sur le service que vous dirigez ?
D'abord, on ne parle plus d'une DSI, mais d'une direction du numérique (DNum), créée il y a trois ans, positionnée auprès de la Direction générale et qui est centrée sur l'accompagnement à la transformation de l'ensemble des métiers, avec aussi une interaction directe avec les usagers, via l'app, ou via le numéro unifié. Nous appuyons donc l'ensemble des missions d'Île-de-France Mobilités, définies dans la Loi d'orientation des mobilités, qui vont de la conception et du pilotage des transports en Île-de-France, de toutes natures, aux interactions avec les opérateurs en passant par un rôle de garant de la cohérence d'ensemble, raison pour laquelle notre marque apparaît sur l'ensemble des moyens de transports. Il s'agit donc d'un vrai changement de dimension par rapport à nos missions historiques, tournées vers le financement. On parle bien désormais d'une mission d'organisation très opérationnelle pour la 2ème plaque au monde en termes de transports, derrière l'agglomération de Tokyo.
En appui de ces missions, la direction du numérique travaille sur un certain nombre de socles communs numériques. C'est par exemple le cas de la plateforme Open Data, renfermant l'ensemble des données temps réel, opérée et pilotée par Île-de-France Mobilités et alimentée par les différents opérateurs. Dès 2025, les informations issues de ce socle Open Data, nativement disponibles sur l'app, seront aussi disponibles directement aux arrêts de bus, qui dépendent pour l'instant d'une chaîne de transmission plus ancienne. Cet outil et d'autres sont développés par nos équipes et mis à disposition de l'ensemble des opérateurs et réutilisateurs.
Quelle est l'ambition du numéro unifié que vous avez mentionné ?
En 2025, ce numéro, mis à disposition des usagers, va permettre un accès aux 106 numéros d'appel des différents opérateurs, via une plateforme unique. Le projet, ouvert en pilote sur les bus en grande couronne, repose sur une IA permettant d'interpréter les demandes des utilisateurs afin de les orienter vers le service le plus adapté pour traiter leurs demandes.
Quel est l'impact de l'ouverture à la concurrence pour la direction du numérique ?
C'est une transformation majeure qui soulève en particulier des questions d'interopérabilité sur des verticales existantes, notamment celles des opérateurs RATP et Transilien SNCF Voyageurs. Que doit-on conserver ? Quelle IT pourra embarquer un opérateur entrant, sachant que l'interopérabilité est indispensable sur l'information voyageurs et la billettique ? Notre conviction, c'est que l'IT doit toujours pouvoir rester une source d'innovations quel que soit le contexte. Une réflexion a donc été menée avec la RATP et Transilien SNCF Voyageurs pour définir les communs numériques à conserver, par exemple pour diffuser l'information voyageurs sur l'ensemble du réseau quels que soient la technologie et l'opérateur, ou pour remonter le positionnement des bus. Nous travaillons déjà depuis deux ans sur ce sujet avec la RATP et Transilien SNCF Voyageurs. La première échéance étant fixée en novembre 2025, pour l'ouverture à la concurrence sur de premières lignes de bus.
Pour organiser les transports en Île-de-France, il faut en comprendre les grandes évolutions et anticiper les mutations des usages. Comment la data est-elle exploitée pour ces projections ?
La direction prospective et études d'Ile-de-France Mobilités est chargée d'analyser et anticiper les évolutions d'usage des transports franciliens. Le Plan de déplacements urbains en Île-de-France (PDUIF), qui fait partie des documents stratégiques validés par le conseil d'administration d'Île-de-France Mobilités, pose ces anticipations pour les 5 à 10 ans qui viennent, alimentées notamment par un modèle de prévision de trafic. La Direction du numérique intervient également sur le sujet data, en particulier sur des données plus chaudes, issues des échanges avec les opérateurs comme les données temps réel de notre plateforme Open Data, les données de validation, de trafic... Des exploitations et analyses sont réalisées, par exemple sur l'influence de la météo sur la régularité, sur la qualité de fonctionnement de telle ou telle ligne ou encore sur le maillage territorial. Le travail de consolidation, de construction des tableaux de bord interactifs, voire de modélisation est ensuite piloté par notre département data, intégré à la DNum et dont l'activité est en très forte croissance.
« En 2025, plusieurs services d'IA seront déployés au bénéfice des utilisateurs, comme la proposition de parcours adaptés en réponse à une interrogation en langage naturel. » (Photo : Bruno Lévy)
Comment ces évolutions se sont traduisent-elles en termes de budget et d'effectif ?
Les missions de la direction du numérique s'inscrivent dans une continuité depuis trois ans, mais elles prennent corps, à une échelle de plus en plus grande, notamment sur la billettique. Les budgets, tout comme les effectifs de la DNum, sont donc naturellement en croissance. Les effectifs de la DNum ont déjà doublé depuis mon arrivée ; nous sommes plus de 50 en interne, appuyés par une importante communauté d'externes. Le tout en forte proximité avec les DNum des opérateurs, en particulier avec celles de Transilien SNCF Voyageurs et de la RATP, avec lesquelles nous partageons un cadre numérique commun. Nous sommes par ailleurs toujours en phase de recrutement, du fait de l'internalisation de fonctions clefs.
Quelles sont vos priorités pour cette année 2025 ?
Nous avons deux sujets majeurs : l'ouverture à la concurrence et l'IA. Arriver à faire tourner les services avec le même niveau de fonctionnalité et de performances en continuité avec de nouveaux acteurs est un objectif clef de cette année. S'il est appelé à se concrétiser au deuxième semestre, c'est le fruit d'un travail de longue haleine conduit avec la RATP et la SNCF, passant par la mise en place de socles communs. Tous les travaux ont été lancés côté IT, même si la feuille de route jusqu'en novembre reste chargée, avec un pilote sur le raccrochement des bornes d'information voyageurs à notre concentrateur, avec une dizaine de projets sur le seul sujet des bus ou encore avec des jalons majeurs sur l'information voyageurs sur le réseau ferré. L'enjeu, c'est d'atteindre des paliers de stabilité, apportant l'interopérabilité indispensable aux opérateurs entrants.
Sur l'IA, nous avons lancé un hackathon sur ses usages dans la mobilité en novembre dernier, afin d'accélérer un certain nombre de développements. Lors des JO, nous avions déjà déployé un certain nombre de fonctionnalités comme de la traduction multilingue. Tous les socles communs pour gérer l'IA dans l'application sont aujourd'hui en place. Sur ces fondations, en 2025, plusieurs services, notamment issus du hackathon, seront déployés au bénéfice des utilisateurs, comme la proposition de parcours adaptés en réponse à une interrogation en langage naturel, comme la compréhension et le routage des réclamations vers les opérateurs, comme la traduction d'un certain nombre de textes en Français facile à lire et à comprendre (FALC) ou encore comme la vocalisation de certains panneaux.
Article rédigé par
Reynald Fléchaux, Rédacteur en chef CIO
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