Grand Théma DSI 2025, quand la DSI s'organise en mode produit
Pour se rapprocher des métiers et s'adapter aux architectures cloud, les DSI délaissent le mode projet pour s'organiser autour de produits numériques. Zoom sur cette tendance de fond avec notre émission Grand Théma où nous avons reçu la coopérative Maïsadour, l'Urssaf et la DSI de l'État.
PublicitéLa logique qu'embarquent les méthodologies agiles pousse les DSI à se réorganiser autour d'équipes gérant, en proximité avec le métier, la construction, les évolutions, mais aussi l'exploitation de solutions technologiques. Un virage que la rédaction de CIO a pu évoquer avec nos trois invités de notre émission Grand Théma, tournée dans nos studios fin 2024.
C'est en effet dans cette direction que lorgne Claude Perret, directeur de la gouvernance du SI de la coopérative agricole du Sud-Ouest Maïsadour (1,5 Md€ de chiffre d'affaires environ, 4300 salariés). Depuis juillet dernier, ce groupe est engagé dans une transformation de l'organisation de sa DSI, qui fait suite à l'arrivée d'une nouvelle direction il y a de cela trois ans. « Celle-ci a engagé une transition agroécologique et environnementale qui a embarqué toute l'entreprise. La DSI se devait d'accompagner cette transition en transformant sa façon de travailler », raconte Claude Perret.
Une organisation hybride le temps de la transformation
Dans cette nouvelle organisation, la DSI est structurée en 5 départements, l'un d'entre eux se consacrant entièrement aux relations avec les métiers, avec autant de responsables dans cette structure qu'il y a d'activités majeures au sein de la coopérative réunissant près de 70 sociétés. « Le rôle de ces responsables est de comprendre la stratégie des métiers et de la décliner en solutions technologiques, mais aussi de leur proposer des améliorations en se positionnant en anticipation, en stimuli des métiers. » Cette réorganisation s'accompagne de la création de nouveaux rôles au sein des métiers (Business Process Owners et Key Users). Objectif affiché par Claude Perret : « améliorer la conduite du changement chez Maïsadour ».
Visionnez notre émission consacrée à la DSI en mode produit (vidéo, 57 min.)
La gouvernance de l'ensemble est assurée par des comités transverses, rassemblant DSI et métiers. « Au sein de ces comités, nous ne discutons pas de run, mais bien de stratégie, de projets et de valeur. C'est aussi dans ces instances que sont pris les arbitrages. » Désormais, plus aucun projet n'est lancé au sein de la coopérative sans avoir l'approbation du comité ad hoc. « Auparavant, nous avions tendance à lancer trop de projets et à nous disperser », indique le directeur de la gouvernance.
Si cette réorganisation s'appuie sur les principes de l'agile et du mode produit - des approches qui étaient déployées avant même cette réorganisation au sein d'une des branches métiers de la coopérative -, Claude Perret n'en fait pas pour autant un dogme, privilégiant davantage une démarche hybride : « faire de l'agile alors que l'organisation de l'entreprise est en mode projet revient à consacrer beaucoup d'efforts pour peu de résultats. Pour se lancer réellement dans le mode agile, il faut changer l'organisation, ce qui prend nécessairement du temps. Le Big Bang n'existe pas dans ce domaine. » D'où le besoin d'en passer par une approche progressive, partant de l'identification d'un périmètre de test des nouvelles méthodes. « Et il faut une gouvernance pour gérer les deux approches en parallèle, ce qui est loin d'être évident », ajoute le responsable, dont c'est précisément l'une des fonctions.
PublicitéL'Urssaf passe en mode filière
Au sein de la DSI de l'Urssaf Caisse Nationale, Jean-Baptiste Courouble, le DSI, présente l'évolution vers une organisation en mode produit comme « une suite logique » de la mise en place d'architectures cloud et l'introduction des méthodologies agiles. Dans la logique cloud, le modèle d'organisation doit en effet s'aligner sur les principes du Devops ou du DevSecOps, intégrant les compétences en développement et en exploitation. « Notre objectif est de transformer une organisation horizontale en organisation verticale, intégrant les compétences de bout en bout », résume le DSI. C'est ce que l'Urssaf a baptisé le mode filière.
« Cette nouvelle organisation ne peut pas être déployée en Big Bang, la transformation sera conduite sur 18 mois à 2 ans, avec des étapes permettant un basculement progressif de modèle », tempère Jean-Baptiste Courouble, dans la droite ligne de Maïsadour. Avec une phase de rationalisation de l'organisation Legacy, suivie du lancement de filières pilotes, avant toute généralisation. L'Urssaf vient précisément de faire le choix de deux filières pilotes, aux périmètres plutôt simples à maîtriser selon le DSI, avant d'effectuer le basculement sur « une filière plus complexe ».
Jean-Baptiste Courouble, le DSI d'Urssaf Caisse Nationale (à droite) : « l'accompagnement des collaborateurs est la clef de voûte de cette transformation ».
« Nous aurons alors des questions d'architecture à trancher : transformer un Legacy en filières est tout sauf évident », souligne Jean-Baptiste Courouble, qui entend se baser sur une cartographie de ses SI pour construire les filières. « Y aura-t-il des systèmes transverses ? Des forks de certaines applications pour les placer dans des filières ? Autant de questions que nous devons étudier », indique le DSI.
Visionnez notre émission consacrée à la DSI en mode produit (vidéo, 57 min.)
Cette transformation progressive s'accompagne du lancement d'une direction à part, forte de plusieurs centaines de personnes, regroupant des profils spécifiques permettant de renforcer telle ou telle filière afin d'affecter des moyens supplémentaires sur de grands programmes en fonction des besoins.
« L'accompagnement des collaborateurs est clairement la clef de voûte de cette transformation, note le DSI de l'Urssaf Caisse Nationale. Et le chaînon des managers est essentiel pour y parvenir. » Un séminaire dédié aux 250 cadres de la DSI s'est d'ailleurs tenu fin 2024 au sein de cette administration. « Seuls les managers de proximité sont en mesure de remonter les situations spécifiques de tel ou tel collaborateur, situations que nous devrons prendre en compte », souligne Jean-Baptiste Courouble.
Une des 4 priorités du numérique de l'État
Ce besoin d'accompagnement de départements IT dont la culture reste marquée par la séparation entre études et production ainsi que par le mode projet figure également au coeur de l'intervention de nos derniers invités, Florian Delezenne, responsable du département opérateur de produits interministériels de la Dinum (Direction interministérielle du numérique), et Jérémie Vallet, adjoint à la directrice du numérique, chef du département appui, conseil et expertise de cette même DSI de l'État. L'organisation des services IT de l'administration en mode produit est clairement identifiée comme une des quatre priorités de la stratégie numérique de l'État. « L'objectif est de faire du numérique autrement en se focalisant sur l'impact que le numérique va avoir sur les usagers - concitoyens ou entreprises - ou sur nos agents, résume Jérémie Vallet. Le mode produit doit aussi nous aider à mieux valoriser nos actifs numériques, avec un investissement progressif et une amélioration continue des services rendus. »
Un virage que la Dinum elle-même a entamé il y a près de 10 ans au sein du programme Beta.gouv. « Celui-ci a permis d'expérimenter très tôt la manière dont le mode produit, qu'on retrouvait plutôt dans la sphère privée, pouvait s'adapter au monde public », explique Florian Delezenne. Selon ce dernier, cette organisation a été généralisée en 2023 sur l'ensemble des produits interministériels gérés par l'opérateur interne de la Dinum, soit Démarches simplifiées, France Connect, la Suite numérique ou encore Data.gouv. « Des produits qui sont aujourd'hui passés à l'échelle », souligne le responsable du département qui pilote ces solutions interministérielles. « Notre optique au sein de la Dinum, c'est qu'il ne doit pas exister de frontière entre un Legacy qu'il faudrait éviter de toucher et des produits, ajoute-t-il. C'est possible, même avec des services 24/7, en associant des sprints axés sur les nouvelles fonctions et d'autres, orientés sur du rattrapage de dette technique. Aucun périmètre ne nous semble hors de portée [du mode produit], pour peu qu'on parvienne à dessiner les bons contours. »
De gauche à droite, Jérémie Vallet, adjoint à la directrice du numérique, chef du département appui, conseil et expertise de la Dinum, et Florian Delezenne, responsable du département opérateur de produits interministériels de cette même Direction interministérielle du numérique.
Cette focalisation sur l'impact des solutions implique de repenser les KPI classiques. « Nous considérons que les métriques des initiatives doivent se concentrer sur la politique publique elle-même, et non sur des indicateurs comme le budget ou le temps, ajoute Florian Delezenne. Nous avons monté une méthode pour calculer cet impact et trouver les bons indicateurs. » Selon lui, en six mois, il est possible de trouver ainsi des métriques ancrées dans le réel et non dans la vie du projet lui-même.
Repenser l'audit des grands projets de l'État
C'est cette approche que la Dinum tente d'essaimer dans les DSI des ministères. « Tous les ministères développent des services en mode produit, assure Jérémie Vallet. Avec certains grands programmes qui se lancent avec cette approche, comme le SI de France Travail, qui associe une multitude d'acteurs. »
Cette transition implique également de repenser la méthode d'audit via laquelle la DSI de l'État émet un avis sur les grands projets numériques lancés par l'administration. « Nous avons travaillé à une évolution de notre méthode de sécurisation et d'audit des grands projets ministériels, nous faisons évoluer peu à peu la manière dont nous souhaitons que soit présentée la trajectoire d'une initiative, pour s'adapter au mode produit », indique l'adjoint de Stéphanie Schaer. « Nous allons nous attarder davantage sur l'organisation des équipes, sur la gouvernance et sur la progressivité de la dépense en fonction de l'atteinte des indicateurs d'impact. Nous allons demander aux projets de partir plus petit pour valider leurs hypothèses de départ et acquérir la certitude que la solution déployée répond bien au problème soulevé », avant tout passage à l'échelle.
De premiers grands projets, comme le SI APA (Allocation pour l'autonomie) porté par le ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités, sont en train de se réorganiser en fonction de ces orientations. En 2025, la méthode doit encore être testée sur un certain nombre de projets, Jérémie Vallet anticipant un changement officiel des textes et méthodologies également dans le courant de l'année.
Visionnez notre émission consacrée à la DSI en mode produit (vidéo, 57 min.)
Article rédigé par
Reynald Fléchaux, Rédacteur en chef CIO
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