Gilles Lévêque (ADP) : « le SI est critique pour le fonctionnement d'un aéroport »


La performance business conditionnée par celle de l'IT
Toutes les entreprises reposent de plus en plus sur leur système d'information. Ce fait est reconnu depuis longtemps. Mais il en résulte une conséquence souvent négligée : la performance business est intimement liée à la performance du système d'information. Développer cette performance est donc...
DécouvrirGilles Lévêque, DSI du Groupe ADP (ex-Aéroports de Paris), pilote un SI où la première règle est la robustesse et le premier enjeu la digitalisation du parcours passagers sans accéder à beaucoup de données individuelles. Une prochaine étape sera la mise en oeuvre d'un jumeau numérique de l'aéroport.
PublicitéCIO : Le groupe ADP gère plusieurs aéroports et filiales. Comment la DSI est-elle organisée et le SI structuré ?
Gilles Lévêque : Globalement, il y a un système d'information par aéroport, opéré localement à chaque fois. Pour Paris, il n'existe qu'un seul SI, le deuxième plus gros au monde en nombre de passagers gérés, derrière Atlanta. La DSI du groupe opère en direct le SI des plateformes Parisiennes et supervise, audite et conseille les SI des autres aéroports du Groupe.
Le système d'information se divise en quatre domaines : la gestion générale au sein du « SI entreprise » (Finances, RH, Achats...), le digital (communication, marketing, relation clients...), la gestion aéroportuaire (applicatifs métiers) et enfin le « SI industriel » (gestion des automates, trieurs bagages, balisage des pistes...). Ce dernier est géré par les opérations, les trois premiers sont sous la responsabilité directe de la DSI. La DSI devant garantir la cohérence de l'ensemble et consolider la vision cible du SI.
CIO : Comment ces différents domaines sont-ils mis en oeuvre ?
Gilles Lévêque : Notre principale obligation se définit par un terme : la robustesse. En effet, le domaine SI aéroportuaire est critique pour le fonctionnement d'un aéroport. De ce fait, nous gérons nous mêmes les infrastructures pour l'essentiel. Sur Paris, chaque aéroport doit fonctionner de manière indépendante et est en mesure de suppléer les autres aéroports en cas de problème. Il y a une redondance totale.
Pour les domaines moins critique nous avons une architecture hybride intégrant des des briques pouvant être hébergées en externe, y compris le cas échéant en mode SaaS. Compte tenu de la grande diversité des métiers d'ADP (plus de deux cents métiers), notre SI doit intégrer pas moins de 600 applications. Dans certains métiers, nous pouvons recourir à du progiciel et dans d'autres, c'est impossible car il y a trop peu d'aéroports de notre taille pour qu'un éditeur puisse développer un produit standardisé. Dans ce cas-là, il nous faut souvent développer en interne ou assembler des briques technologiques pour construire une solution cohérente et adaptée.
CIO : Par nature, une plate-forme aéroportuaire doit fonctionner au sein d'un écosystème, avec la DGAC (Direction Générale de l'Aviation Civile), les compagnies aériennes, etc. Comment est-ce que cela fonctionne ?
Gilles Lévêque : Le contrôle aérien est assuré par la DSNA qui a son propre SI, totalement indépendant du nôtre. De la même façon, les compagnies aériennes disposent chacune du leur propre SI. Nous échangeons beaucoup d'informations, autour notamment du CDM (Collaborative Decision Making), permettant à tous les acteurs de collaborer et partager des données au travers d'un portail pour répondre en temps réel aux nombreux aléas auxquels nous devons faire face (météo, retards, pannes, bagages abandonnées...).
Nous déployons également le concept de « Smart Airport » qui vise à dématérialiser et digitaliser le parcours passagers en mutualisant les bornes d'enregistrement, les déposes bagages et les portes d'embarquement automatiques mises en oeuvre pour fluidifier le parcours des passagers.. Et en contribuant par exemple au déploiement du système Parafe [Passage Automatisé Rapide aux Frontières Extérieures, c'est à dire le contrôle automatisé des passeports, NDLR] basé sur la reconnaissance faciale, qui est sous la responsabilité de la police de l'air et des frontières.
PublicitéCIO : La taille d'un aéroport se mesure au nombre de passagers. Comment les passagers sont-ils intégrés à votre SI ?
Gilles Lévêque : Nous avons une logique B2B2C. En tant qu'aéroports, nos clients sont principalement des entreprises, au premier chef desquelles les compagnies aériennes. Mais nous attachons une importance primordiale à la fluidification des flux de passagers et à l'expérience clients. Mais, un de nos challenges est de capter la donnée clients car en dehors du parking, nous n'avons pas, de contact direct avec les passagers. Nous avons donc développé une application mobile en support de notre programme de fidélité et nous utilisons des clubs utilisateurs pour comprendre et améliorer l'expérience client sur nos plateformes.
Pour superviser les flux de passagers, nous disposons de plusieurs moyens comme par exemple des scanners de comptage aux étapes clés du parcours dans l'aéroport ou la triangulation Wi-Fi. Mais tout cela est anonyme. Nous recourons au Big Data pour croiser l'ensemble des données et comprendre les flux de passagers et l'expérience vécue par ceux-ci. Cela nous permet de réagir rapidement pour traiter les éventuels points de contention et améliorer la qualité des services offerts aux passagers. Nous organisons bien sûr, aussi, des enquêtes de satisfaction et nous opérons une veille sur les réseaux sociaux. Ces derniers nous permettent aussi de réagir ainsi que d'informer (bagage abandonné, retard...).
Concernant le Wi-Fi, nous disposons de deux réseaux totalement séparés pour des raisons évidentes de sécurité : d'un côté le réseau interne (géré par la DSI), de l'autre le réseau public pour les passagers (géré par notre filiale HubOne) avec au total plus de 1500 bornes Wi-Fi.
CIO : La digitalisation se manifeste-t-elle aussi autrement ?
Gilles Lévêque : En effet, c'est aussi la mobilité, pour permettre aux agents commerciaux et d'être sur l terrain au milieu des passagers, avec un bouquet de solutions sur des tablettes. Ils ont ainsi une vue augmentée de l'activité et peuvent informer les passagers et gérer leur territoire en signalant sur leur application les problèmes et évènements.
Nous avons également mis en place un « Innovation Hub », une structure centrale incarnant l'innovation et en fédérant un écosystème ouvert allant de l'idéation à la mise en oeuvre de solutions de nouvelles générations. L'Innovation Hub sert tous les métiers du Groupe ADP et est ouvert aux acteurs présents sur nos plateformes. La digitalisation est un sport d'équipe où tout le monde peut contribuer à la transformation numérique du Groupe ADP avec l'objectif de rendre le parcours passager plus fluide et plus sûr.
CIO : Et côté infrastructures, back-office aéroportuaire, avez-vous un rôle ?
Gilles Lévêque : Le Groupe ADP dépense de l'ordre d'un milliard d'euros chaque année dans ses infrastructures aéroportuaires, dans les pistes et les aérogares. Nous déployons le BIM [Building information modeling, modélisation informatique des bâtiments, NDLR] toujours dans le but de fluidifier et optimiser les flux. Le BIM est mis en oeuvre sur toutes les nouvelles infrastructures de manière systématique. Un des objectifs, à terme, est de disposer d'un jumeau digital de chaque aéroport en agrégeant les données opérationnelles avec les données infrastructures pour pouvoir simuler son comportement en cas d'incident. S'il y a un bagage abandonné à tel endroit, une panne de RER, etc. , comment l'aéroport va-t-il réagir ? Comment vont se transformer les flux de passagers ? Quelle réaction dois-t 'on adopter ? Ou encore quel est l'impact de la mise en service d'un nouvel équipement ou magasin ?
Aujourd'hui, la difficulté est aussi de gérer la coexistence des infrastructures BIM et celles « non-BIM ». Nous voulons déployer le BIM de manière à la fois sereine et résolue.
CIO : Et concernant la sécurité physique des aéroports ?
Gilles Lévêque : Les systèmes de vidéosurveillance sont sous la supervision technique de la DSI mais, pour l'instant, l'analyse des images des 14 000 caméras de notre parc est essentiellement humaine. Nous travaillons à la mise en place de solutions d'hypervision et d'intelligence augmentée pour signaler aux opérateurs humains les évènements qui qui nécessitent réellement leur intervention ou pour faciliter leurs recherche, comme par exemple la recherche du propriétaire d'un bagage abandonné.
CIO : Quels sont vos grands défis actuels ?
Gilles Lévêque : Notre grand défi reste d'être capable de faire face aux demandes grandissantes en solutions numériques à la fois des métiers, des passagers et des compagnies aériennes. Le numérique implique la mise en place de nouveaux services pour l'ensemble des utilisateurs qui reposent sur des infrastructures et des solutions gérées par la DSI. Nous devons donc améliorer notre capacité à faire tout en gardant le contrôle de notre SI et en garantissant sa cohérence et sa robustesse. Cela passe par des méthodes comme l'Agile mais aussi par des choix d'architecture comme l'utilisation du Cloud et l'« Apisation » de notre SI.
Cela doit accélérer notre capacité à commissionner et décommissionner aisément des briques logiciels. Par exemple, si nous mettons en place un chatbot dans une application, nous allons sans doute l'acheter et il nous faudra l'interfacer avec le reste nos propres applications Tout en garantissant l'intégrité et la sécurité des données. Car bien entendu, la cybersécurité demeure un enjeu constant sur lequel nous travaillons avec humilité et détermination. Egalement comme vous l'avez compris, la gestion d'un aéroport passe par la capacité à régler les aléas opérationnels rapidement et sans impacter l'expérience client, cela passe par la capacité à avoir des techniciens disponibles 24 heures sur 24 pour surveiller notre SI et intervenir sur le terrain pour corriger ce qui doit l'être.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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