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Gilles de Richemond (AccorHotels) : « notre dogme est l'usage »

Gilles de Richemond (AccorHotels) : « notre dogme est l'usage »
Gilles de Richemond, récemment arrivé chez AccorHotels, reste un partisan des méthodes agiles, de la culture itérative et de l’humilité face aux réalités terrain.
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°161 !
La transformation numérique n'est pas un vain mot

La transformation numérique n'est pas un vain mot

Mettre l'IT au service du business, assurer l'alignement stratégique de l'informatique, mettre en oeuvre une gouvernance IT alignée sur le business... Vous avez entendu mille fois ce genre d'injonctions. Même si celles-ci peuvent paraître surannées, elles n'en demeurent pas moins des nécessités....

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Nouveau DSI d'AccorHotels, Gilles de Richemond doit relever un certain nombre de défis techniques et business, toujours en fonction des usages réels, à l'heure où la répartition traditionnelle entre SI local hôtelier et SI central est remise en question. Le successeur de Laurent Idrac rapporte à Maud Bailly, CDO du groupe, dont le périmètre de compétence est très large, incluant l'IT aux côtés du marketing et de la relation client. La volonté expresse d'AccorHotels est de privilégier l'expérience client, le « Feel welcome » signature du groupe. Cette approche sera au coeur de la future logique de plate-forme.

PublicitéCIO : Vous avez quitté Voyages-SNCF, depuis devenu Oui.SNCF, pour devenir CIO groupe d'AccorHotels. Pourquoi ce choix de carrière ?

Gilles de Richemond : J'ai passé près de six ans chez Voyages-SNCF en tant que DG de Voyages-SNCF Technologies (VSCT). Auparavant, j'ai été DSI de la compagnie aérienne Transavia (groupe Air France) durant presque cinq ans. C'était donc un bon moment pour changer.
AccorHotels est à un moment particulier de sa transformation digitale. Les défis posés, avec l'IT au coeur des enjeux de l'entreprise, sont passionnants. Et il y a un cousinage évident entre l'industrie du voyage et celle du tourisme.

CIO : En termes d'organisation, comment vous répartissez-vous les rôles avec Maud Bailly, CDO du groupe ?

Gilles de Richemond : Le titre de Chief Digital Officer renvoie à des réalités très variables selon les entreprises. Maud Bailly, à qui je rapporte, est ainsi en charge aussi du marketing que de la relation clients et, donc, de l'IT au sens le plus large. Cette organisation amène une grande cohérence entre la stratégie et l'exécution. L'IT est au coeur de la stratégie, motorisant la transformation digitale du groupe.

CIO : Toujours en matière d'organisation, comment l'IT est-elle répartie en fonction despays ou des marques, et avec quelle autonomie par rapport au groupe ?

Gilles de Richemond : L'organisation IT du groupe est basée sur une logique de plaques géographiques, pas sur les marques. Pour la relation client, le SI est centralisé mais, à l'inverse, pour l'exécution, la gestion des hôtels est parfois très locale. Il y a donc besoin d'articuler les deux dimensions, locale et centrale, avec une grande agilité entre les enjeux locaux (opérations dans les hôtels) et les enjeux groupe (fonctions supports, distribution, expérience clients...).
La question de l'autonomie est traitée selon des considérations très pratiques et opérationnelles. Ma conviction est qu'il faut donner une autonomie IT maximale pour les opérations mais tout en gardant une cohérence globale de l'IT pour que l'expérience client soit optimale. Un client qui passe d'un hôtel à un autre, d'une marque à une autre, d'un pays à un autre, doit expérimenté le même Feel Welcome, signature du groupe.

CIO : Votre profil est nettement plus technique que votre celui de votre prédécesseur. Etes-vous un DSI technicien ?

Gilles de Richemond : L'expérience client et l'IT sont mélangés. Évidemment, j'apporte une composante technique. Mais j'ai besoin d'aller au delà de la seule technologie. Un DSI ne peut pas être un simple expert technique délivrant de la technologie.
Dans une équipe pluridisciplinaire agile, les développeurs ne doivent pas que coder mais aussi contribuer au projet. C'est autant vrai au niveau des managers, lorsque je travaille avec Maud Bailly, que pour les équipes opérationnelles.

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CIO : Depuis maintenant un certain nombre d'années, le groupe AccorHotels est très orienté cloud public. Allez-vous poursuivre sur cette voie ?

Gilles de Richemond : Il existe évidemment une certaine différence entre l'existant et le futur que l'on projette. De même, il y a une question évidente de timeline, de priorisation. Alors, oui, nous utilisons beaucoup le cloud mais la question cloud/pas cloud n'est pas le sujet central quand nous choisissons un partenaire.
Notre SI est fondamentalement hybride. Nous utilisons le cloud lorsque c'est pertinent mais nous tenons compte de l'existence du Legacy qui n'est pas nécessairement aisément migrable ou dont la migration n'a pas de pertinence. Un passage à du IaaS, plus simple, n'a pas beaucoup d'intérêt, c'est de la quasi-infogérance, ce n'est pas ainsi que le cloud délivre de la valeur. Le IaaS n'est pas une rupture.
Le terme de cloud est à la base ambiguë car il peut renvoyer à une famille de technologies déployables en interne. Et il peut renvoyer à une manière d'acheter de l'informatique quand on souhaite externaliser. Nous, nous optimisons notre infrastructure pour harmoniser on premise et cloud, par exemple pour déborder dans le cloud externe en cas de saturation de nos capacités, lors d'un pic de charge, sans avoir à la surdimensionner en continu.
Typiquement, le TARS (The AccorHotels Reservation System) n'est pas dans le cloud, même si son exploitation et sa maintenance ont été externalisées pour cinq ans il y a trois ans.

CIO : Quelle est la trajectoire technique que vous souhaitez impulser ?

Gilles de Richemond : L'enjeu est clair. Dans beaucoup de secteurs, le SI est central ou peut l'être. Pas dans l'hôtellerie où il y a un SI d'hôtel (avec son matériel) et un SI central, par exemple le TARS chez nous. Historiquement, le SI local est très important, chaque hôtel avait le sien. Internet a apporté une capacité à centraliser, à disposer d'une plate-forme centrale pour des services décentralisés.
L'enjeu est donc de passer du tout-décentralisé à une architecture centralisée où les hôtels utilisent les services de la plate-forme centrale AccorHotels sans avoir nécessairement une infrastructure locale.

CIO : Ce qui suppose des accès Internet de qualité dans tous les hôtels partout dans le monde...

Gilles de Richemond : Nous ne sommes que des préconisateurs pour que le service soit bien rendu et que le personnel puisse travailler. Un hôtel franchisé garde ainsi une certaine marge de manoeuvre. Nous travaillons bien entendu à des optimisations tarifaires via des massifications d'achats, ce qui constitue une valeur du groupe. Nous allons vers un modèle de délivrance de services à des hôtels, qu'importe qu'ils soient managés ou franchisés.
Depuis peu, AccorHotels a d'ailleurs séparé la possession des murs (AccorInvest) et l'opération hôtelière managée et franchisée (AccorHotels). Mais ça n'est une nouveauté qu'en Europe : c'était la règle à peu près partout ailleurs. Cette séparation procède de la même logique.



CIO : Au sein d'un groupe hôtelier comme AccorHotels, Booking reste-t-il un gros mot ?

Gilles de Richemond : Notre secteur a connu deux ruptures spécifiques en lien avec le numérique. La première a été la naissance de sites comme Booking ou Expedia. La deuxième a été l'arrivée d'AirBnB et de ses homologues.
Mais, historiquement, les agences de voyages ont toujours été des apporteurs d'affaires prenant une commission. Les services en ligne de réservation sont dans la même logique. Nous ne sommes pas concurrents mais partenaires et Booking nous amène beaucoup de clients. Ce n'est donc ni un gros mot, ni un problème : il nous faut simplement nous adapter. Il n'y a pas, dans notre secteur, de transfert massif de valeur faisant disparaître d'anciens acteurs. Du moins, ce n'est pas ce que produit la transformation digitale sur AccorHotels.
Les clients qui viennent par Booking arrivent de la même façon que tous les autres chez AccorHotels et restent des clients qui doivent expérimenter le même Feel Welcome que les autres. Booking est un canal d'acquisition comme un autre. Notre intérêt est ensuite de fidéliser ces clients là aussi.
AccorHotels a acquis One Fine Stay, une sorte de AirBnB avec des lieux de haut standing et des services de type hôtelier. C'est bien la preuve que le secteur de l'hospitality est plus vaste que la seule hôtellerie. Nous vendons plus de services que des chambres d'hôtels traditionnelles.
Tout ce foisonnement d'offres développe le tourisme. Le gâteau global croît et cette croissance bénéficie à AccorHotels.

CIO : Avec la multiplication de ces partenaires, vous êtes amenés à ouvrir votre SI. Comment, dans ce cas, garantir sa sécurité ?

Gilles de Richemond : Le sujet n'a rien de nouveau car le multi-canal ne date pas d'hier. Notre SI était déjà connecté aux agences de voyages, aux GDS, etc. L'ouverture du SI est un acquis. Cependant, ce qui change, c'est l'ampleur de la sollicitation qui s'est beaucoup accrue. En effet, aujourd'hui, notre SI est directement sollicitée par le grand public, avec volumes de consultations qui n'ont plus rien à voir avec les anciennes pratiques. Les volumes ayant explosé, notre enjeu est notre capacité à tenir la charge. Notre architecture a donc évolué en conséquence.
En matière de sécurité, il ne faut jamais faire le malin et je ne vais évidemment pas rentrer dans les détails. Mais elle est évidemment fondamentale car elle est le socle de la confiance des clients qui nous confient des données personnelles sur leurs déplacements. La sécurité est clairement une question d'expérience client.
Ma conviction est qu'il ne faut pas opposer ouverture et sécurité. Cela fait en effet bien longtemps que la sécurité ne s'obtient plus avec des murs.



CIO : Puisque l'on parle de sécurité et d'expérience client, qu'en est-il en matière d'IoT, par exemple pour ouvrir les chambres avec un smartphone ?

Gilles de Richemond : L'IoT est en effet un élément pour améliorer l'expérience client mais qui ne se limite pas à la question de l'ouverture des portes. Il faut certes fluidifier le parcours client mais la relation humaine entre l'hôtelier et son client reste essentielle. Le nomadisme peut permettre d'accueillir dans le lobby, grâce à une tablette ou un smartphone, sans guichet. C'est un vrai apport à l'expérience client à l'ère digitale. Il faut enrichir l'interaction humaine avec le digital, pas la remplacer.
Concernant l'IoT, nous l'utilisons par exemple pour l'interaction avec le téléviseur, le groom-service ou bien la domotique de la chambre.

CIO : Vous avez parlé de la logique de plate-forme. Où en êtes-vous exactement et, surtout, pourquoi ne répéteriez-vous pas l'échec du précédent service aux hôteliers indépendants ?

Gilles de Richemond : Pour l'instant, nous en sommes aux premières itérations. Vous savez que l'approche agile est quelque chose qui me tient à coeur. C'est notre initiative et nous la testons auprès des hôteliers. Nous avons le dogme de l'usage.
Cela dit, il n'y a pas d'innovation sans risque. Nous lançons beaucoup d'initiatives et nous savons les arrêter. Savoir arrêter ce qui ne marche pas est un signe de maturité. Je n'appelle pas cela des échecs. Avoir une culture itérative, c'est l'inverse d'annoncer deux ans à l'avance ce que l'on va exactement faire. C'est savoir, avec humilité, recevoir le feed-back des utilisateurs. Notre culture de projet le permet.

CIO : Quels autres enjeux avez-vous sur votre feuille de route ?

Gilles de Richemond : Clairement, savoir intégrer les marques ou les hôtels rachetés, vite et bien. Nous devons proposer une expérience client homogène avec un programme de fidélité commun.

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