François Madjlessi (Université de Paris Dauphine) : « la transformation numérique doit partir de l'enseignement »


Transformer la DSI pour innover en business
Le métier veut du neuf. La direction générale veut de l'innovation. Mais le quotidien doit toujours être assuré. Le DSI doit donc à la fois servir l'innovation globale de son entreprise, en être un moteur, mais aussi savoir transformer l'organisation de son propre service. Démonstration au travers...
DécouvrirDistingué en 2014 en tant que DSI de la Ville de Vincennes pour avoir mis en place un accueil unique multicanal pour les citoyens, François Madjlessi, devenu DSI de l'Université Paris Dauphine, y met en oeuvre actuellement une transformation numérique globale. L'enseignement lui-même est transformé par le numérique. Au delà, c'est l'ensemble de la communauté universitaire qui connaît une révolution. Pour Djalil Chafai, mathématicien et Vice-Président de Paris Dauphine en charge du Numérique : « Paris-Dauphine est un établissement d'enseignement supérieur et de recherche avec une ambition et des moyens. Il offre la possibilité de faire de l'informatique au service d'un projet noble et qui fait sens. » Démonstration.
PublicitéCIO : Vous avez été DSI d'une grande ville. Vous êtes aujourd'hui DSI d'une université. Est-ce si différent que cela ?
François Madjlessi : Tout à fait. Dans une ville, il faut une certaine appétence des édiles pour l'acceptation du numérique et ainsi amorcer le changement. A l'université, les étudiants sont nés avec le numérique alors que, pour la plupart des chercheurs et des enseignants, moins jeunes, le numérique n'est pas en général naturel. Nous vivons ainsi une sorte de crise.
Le numérique remet en cause la manière même de réaliser des enseignements. Il faut par conséquent une transformation digitale de la pédagogie mais celle-ci doit partir de l'enseignement, du métier. Il ne s'agit pas de plaquer un enseignement sur des outils digitaux.
A ce jour 8800 heures de cours des matières telles que les mathématiques, les finances, sont enseignées en utilisant les salles informatiques,plus de 20 salles, 600 postes et une quarantaine de logiciels pédagogiques, comme Bloomberg, SAS, Reuters, Qlikview. Par ailleurs nous avons mené de nombreuses innovations dans ces salles pour faciliter le parcours pédagogiques : boîtier de partage de projection pour vision simultanée des écrans entre les étudiants et l'enseignant, prêt de portable, webconférence, espace de co-working avec mur digital, application de sondage en direct, ...
Nous avons des enjeux autour du BYOD et de l'interopérabilité des applications pédagogiques. Plutôt que de les réserver à des salles dédiées, il faudrait pouvoir les utiliser de manière ubiquitaire. Nous discutons avec des acteurs du cloud public pour y héberger les API de nos applications développées en mode SOA.
En amphithéâtres, les cours restent plutôt théoriques tandis que les TD sont, bien sûr, plus pratiques. Mais les étudiants demandent sans cesse qu'il y ait moins de théorie, plus de pratique et surtout plus d'interactivité. Et, pour cela, le recours à l'informatique est croissant.
CIO : Comment peut-on être interactif dans un amphithéâtre avec des centaines d'étudiants ?
François Madjlessi : Si un étudiant assistant à un cours a l'impression de lire un polycopié, il préfère rester chez lui à lire le polycopié. Développer l'interactivité en amphithéâtre, c'est mettre en place une plate-forme qui permette de poser des questions, ce qui est impossible oralement, mais aussi, par exemple, de réaliser des quiz pour vérifier la compréhension de ce qui vient d'être dit ou pour vérifier un état préalable de connaissances... A terme, dès que nous aurons résolu le problème du contrôle de l'identité, nous voulons aussi pouvoir réaliser des examens en ligne sur un modèle similaire.
Le digital est aussi un vrai enjeu pour le développement et les relations internationales de l'université.
PublicitéCIO : C'est à dire ?
François Madjlessi : Pour développer la présence d'étudiants étrangers, il faut mieux les accueillir et faciliter l'inscription (y compris à la sécurité sociale) depuis l'étranger. Et, après des échanges courts, il faut aussi éviter de les faire revenir en France juste pour passer un examen.
De la même façon, pour faciliter le départ de nos étudiants à l'étranger, il faut permettre de suivre des modules à distance car, parfois, il y a des problèmes de calendrier qui empêchent de valider un module avant un départ.
De plus, l'université possède des campus dans plusieurs villes à l'étranger (Londres, Tunis...). Mais nous manquons de professeurs à y détacher, les déplacements coûtent cher et prennent du temps. Le digital nous permet de délivrer des cours à distance grâce à des dispositifs de vidéo-conférence mobile simples à déployer, à base d'un kit Logitech et d'un vidéoprojecteur connecté à un PC. N'importe quelle salle peut ainsi devenir une salle pédagogique. Si la qualité de connexion est satisfaisante, nous utilisons Skype Enterprise. Sinon, Vydiio dont le codec permet de s'adapter en conservant la qualité du son et en diminuant le cas échéant la qualité de l'image.
Parmi les possibilités de développement à l'étranger, il existe d'énormes potentialités en Afrique. Nous avons des liens historiques liés à la francophonie. Mais il est souvent difficile d'ouvrir des lieux physiques. Notre idée est donc, comme Harvard, de pouvoir, via des plates-formes pédagogiques, délivrer des diplômes à distance en misant sur du 100 % en ligne, de la sélection initiale à l'examen final en passant par l'inscription, le paiement et le parcours pédagogique.
CIO : Le numérique facilite-t-il la collaboration au sein de la communauté universitaire ?
François Madjlessi : Il s'agit en fait de décloisonner entre étudiants, enseignants et chercheurs. Nous avons en effet 10 000 étudiants, 592 chercheurs et enseignants-chercheurs permanents et assistants, plus de 2000 intervenants extérieurs et 495 personnels administratifs.
Auparavant, il existait une possibilité de partager des documents au sein d'une communauté avec des droits d'accès gérés par la DSI. Il était donc impossible pour un enseignant de partager avec des étudiants ou avec des chercheurs externes. De ce fait, le recours au shadow-IT était très fréquent.
Depuis deux ans, nous avons choisi de basculer vers Office 365. Nous avons commencé par mettre en avant la collaboration avec des outils comme Sharepoint, Teams, Note... Nous avons mis en place des pilotes d'usages dans des communautés puis, de façon virale, 300 communautés se sont créées. Petit à petit, le shadow IT s'est résorbé car la solution officielle offrait tous ses avantages avec en plus la sécurité, grâce à un annuaire LDAP que nous gérons localement, et un pack bureautique complet. Grâce à un accord entre l'éditeur et notre ministère de tutelle, nous avons un accès gratuit. Nous pouvons donc, sans frais, offrir une adresse mail à vie à nos étudiants.
Et nous avons mis en place de l'e-learning pour 400 logiciels (Office, Photoshop...).
CIO : Au delà de la collaboration, qu'en est-il de la bureautique ordinaire ou des services numériques de base ?
François Madjlessi : La migration vient de s'achever. En tout, nous avons migré plus de 30 millions de fichiers. Contrairement à l'offre de Google, Microsoft a pu nous garantir que les données mises dans son cloud public étaient stockées en Irlande en attendant qu'elles ne le soient en France. Cela dit, il nous a fallu mettre à niveau nos infrastructures, notamment réseau (déploiement d'un wi-fi de qualité dans tous nos locaux) et postes de travail (avec bascule vers Windows 10).
Les étudiants, quant à eux, utilisent beaucoup de smartphones et de tablettes. Nos services doivent donc être autant que possible en responsive design. Nous n'avons pas encore mis en place de push s'il y a un problème de dernière minute (par exemple un changement de salle, une annulation de cours...). Nous avons créé un environnement numérique de travail sous Drupal, baptisé MyDauphine, pour offrir un bouquet de services.
Plusieurs projets existent pour développer notre offre numérique : une application pour faire le lien entre le calendrier des cours (sous Drupal) et les agendas personnels (sous Office 365), la géolocalisation indoor, une application de co-voiturage...
Tout ce que nous faisons s'inscrit au sein du pôle PSL (Paris Sciences et Lettres) qui fédère plusieurs établissements tels que, avec nous, l'Ecole Normale Supérieure, le Collège de France, l'Ecole des Mines, etc. L'idée est d'expérimenter des modèles qui seront ensuite réutilisés au sein des autres établissements du PSL.
CIO : Concrètement, qu'est-ce que cela a changé ?
François Madjlessi : Auparavant, chaque laboratoire de recherche avait en fait son propre SI. La DSI ne s'occupait en fait que des services administratifs. Désormais, les laboratoires travaillent avec la DSI qui opèrent donc pour l'ensemble de l'université.
Nous transformons d'ailleurs la DSI en Direction du Numérique pour appuyer une vision service. La Direction Numérique comprendra un pôle dédié à la transformation digitale, un autre aux business analysts opérant en co-construction (scolarité, RH, recherche...), un pôle d'intégration, u pôle de développement et un centre de services pour garantir la qualité de nos prestations et l'accompagnement des appropriations des nouveaux usages.
CIO : Récemment, il y a eu une crise politique autour d'APB, le logiciel d'admission post-bac de l'Education Nationale. Au sein de votre établissement, comment gérez-vous l'afflux de vos candidatures ?
François Madjlessi : L'Université de Paris Dauphine a quelques particularités que les outils mis à disposition par le ministère ne permettaient pas de gérer. De plus, nous voulions pouvoir dématérialiser tout le processus, y compris la gestion des commissions et le scoring.
Nous développons donc en mode agile une plate-forme qui sera mise en production en février 2018 pour gérer la rentrée de l'automne 2018 à base de technologies de type Java / Angular.js. A moyen terme, nous y ajouterons une GED Alfresco et du développement low code dans le BPM Bonitasoft pour gérer les processus métier des commissions.
Le choix du développement agile est une nouveauté dans les universités mais c'est absolument nécessaire pour ce genre de projets. Il en est de même pour le principe de capitalisation des développements antérieurs. Pourtant, amener les métiers et les informaticiens à adopter une démarche de co-construction, c'est une double révolution culturelle dans la communauté universitaire.
Même si le monde universitaire a sans doute un certain retard sur celui des entreprises, il y a une forte pression pour que nous rattrapions le privé. L'AMUES (Agence de Mutualisation Universités et Enseignement Supérieur), qui nous fournit la plus grande part de nos logiciels métier, est également en train de connaître une grande mutation qui devrait aboutir d'ici deux à trois ans.
CIO : Côté pédagogie pure, nous n'avons pas parlé d'outils très à la mode : les MOOC (Massive Open Online Course). En disposez-vous ?
François Madjlessi : L'Université propose en effet du e-learning avec Black Bird. Mais il y a un vrai problème de modèle économique car, normalement, et en tous cas au départ, les MOOC sont gratuits. Nous réfléchissons donc à des parcours mixtes, avec partage des documents de cours en ligne (dans Black Bird ou Sharepoint) grâce au déploiement du wi-fi de qualité dans nos locaux.
Il faut surtout adapter les cours pour que le passage au numérique leur donne une valeur ajoutée. Les repenser permet aussi de délivrer des formations tout au long de la vie et à distance avec des CES (certificats d'études spécialisés) sanctionnant des formations courtes.
L'Université de Paris Dauphine songe donc plutôt à développer des SPOC (Small Private Online Course). La différence consiste à passer de cours généraux à des cours sur mesure avec certification et personnalisation. Nous envisageons notamment d'en créer pour former notre propre personnel.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
Commentaire
INFORMATION
Vous devez être connecté à votre compte CIO pour poster un commentaire.
Cliquez ici pour vous connecter
Pas encore inscrit ? s'inscrire