Faut-il encore élaborer de 'nouveaux' schémas directeurs du S.I. ?
Elaborer de nouveaux schémas directeurs du S.I. est critiqué pour leur lourdeur et leur lenteur. Pourtant, cette élaboration a bien des avantages.
PublicitéVous avez entendu parler des schémas directeurs ? Peut-être en avez-vous élaboré vous-même ? Est-ce leur renaissance ou une continuité ? Je me pose cette question car entre 1995 et 2005, j'ai entendu des experts souligner leur lourdeur, leur lenteur et des DSI prendre leur distance avec ce type d'approche. Pour ma part, j'ai toujours conservé une constance, à savoir l'utilité des Schémas directeurs stratégiques (1992) en affirmant que même si l'environnement devenait de plus en plus incertain, il existait 3 invariants : a) savoir mettre les transformations en perspective ; b) se poser les bonnes questions au-delà des idées reçues et des effets de mode ; c) fixer un cap et s'adapter en permanence par rapport à l'improbable qui émerge au moment où on s'y attend le moins.
Il faut les comprendre car la tactique à court terme supplante de plus en plus la stratégie à une époque où l'entreprise se trouve dans un contexte incertain. Cette situation ressemble à une voiture qui roulerait de plus en plus vite dans le brouillard, où il faudrait changer le rétroviseur ou la boite de vitesse, chemin faisant, sans cependant manquer les multiples virages du changement continu, et en intégrant l'improbable (par exemple, les objets connectés, les nanotechnologies, les bases de données 'élastiques', etc.).
Les Métiers sont placés devant des solutions d'amélioration continues de leur S.I. Ces solutions innovantes leur sont suggérées soit par la DSI, soit par les prestataires externes auxquels ils ont directement accès. Lorsque ces Métiers se tournent vers la DSI centrale pour mettre en oeuvre ces solutions, il arrive que celle-ci soit confrontée à des contingences internes. Il se produit alors un goulot d'étranglement car de nombreux chantiers sont déjà en cours. La dictature de l'immédiateté engendre alors des tensions. Ce qui est alors étrange est le fait que la DSI soit alors taxée de freineur d'innovation, alors qu'il veut en être l'accélérateur et le moteur. On ne se comprend pas malgré les mêmes intentions présentes.
Les protagonistes décident alors d'arbitrer les priorités, en liaison avec les instances de gouvernance internes, et fixent des objectifs clairs. On compte alors sur un nouveau schéma directeur pour passer de l'heuristique du désordre à l'heuristique de l'ordre. Dans de nombreux cas, l'entreprise fait appel à un cabinet de consultants avisés ou une SSII. On lui demande de mettre le doigt sur 'ce qui fait mal' et de rapprocher les parties prenantes et les parties concernées autour du trait d'union reliant le S.I. et l'organisation d'aujourd'hui et ceux de l'entreprise en 202O. Une Feuille de route est alors établie avec différents scénarios où chacun a le tracé de sa trajectoire. Mais la compétitivité et la rentabilité ne sont pas forcément au bout de cet effort de remise en ordre et « d'alignement » des moyens technologiques sur les standards et « bonnes pratiques ». Mais, inversement, d'autres entreprises qui ont effectué la même démarche s'en sortent beaucoup mieux et renouent avec la croissance.
PublicitéQue faut-il comprendre de tout cela ? Quatre faits saillants tirés de mon expérience pourraient nous éclairer :
1 - Le schéma directeur trahit la maturité d'une organisation et des individus face au défi du numérique et le devenir de son S.I. Chacun y a ses représentations propres du S.I., et exprime ses besoins en matière d'orientation du S.I. et du business selon la portée et la maturité de son esprit et de son expérience (cf. mon analyse comparée de 15 schémas directeurs, Le Monde Informatique, novembre 1986). Le succès ou l'échec d'une organisation dans le contexte où nous nous trouvons dépend de sa capacité à devenir apprenante, de l'articulation dynamique, au bon moment, de la stratégie de l'entreprise et de l'innovation collaborative, et enfin de son audace. Mais c'est également l'orchestration de la transformation qui explique les bons ou médiocres résultats.
2 - Le numérique et les réseaux sociaux introduisent l'auto-organisation et l'autonomie d'action. Par conséquent, le contrôle et le pilotage statique des processus Métiers se limitent à ce qui est à la portée du manager dans l'entreprise fermée. Les indicateurs des tableaux de bord du contrôle de gestion ne peuvent alors cerner ce qui leur échappe (cf. la loi de Ross Ashby). L'économie de l'information n'est pas l'économie de l'informatique mais il existe quantitativement plus de travaux publiés sur le second et moins sur le premier (cf. « Les modèles de répartition des coûts dans les entreprises en France » - Deloitte, 2012). Ces éléments influencent les décideurs.
3 - La DSI veut être « moteur de l'innovation » à l'heure du cloud computing. Mais quel est le positionnement actuel de la DSI ? L'entreprise lui donne-t-elle les moyens pour réaliser cette ambition et est-elle soutenue au plus haut niveau ? Est-elle reconnue comme un référent du S.I. ? Quel est le périmètre de responsabilité du « gardien du temple » ? Peut-on attirer les jeunes générations dans une entreprise en leur refusant l'accès à Facebook ? Je me suis déjà exprimé sur cette question dans les colonnes de cet espace numérique.
4 - Les conditions sont-elles réunies pour passer de la DSI « centre de moyens » (type 1), à la DSI « centre de services » (type 2) et enfin à la DSI « partenaire de l'innovation collaborative » (type 3) ? Remarquons d'ailleurs que la maturité d'une organisation ne se réduit pas en ces 3 catégories car le spectre de la maturité repose sur une grande mosaïque culturelle et une grande variété d'expériences et de vécus différents. (cf. Plan de gouvernance du S.I., chapitre 4, 2006). De plus, l'ambivalence, que l'on évacue d'un revers de main, place le management devant ses propres paradoxes. Par exemple, l'hyperconnexion est appréciée et plus de la moitié des Français reste connectée en permanence à leur mobile. Ils affirment qu'il est impératif d'être joignable partout et à tout moment. Il paraît que « çà rassure ». Mais ils se plaignent de ne plus avoir de vie privée, ni de temps pour gérer les affaires, et revendiquent même un temps de déconnexion durant leur période de congé. N'est-ce pas une « rencontre des contraires » ? Certaines entreprises prennent des mesures pour réduire cette complexité en interdisant des mails la nuit entre leur établissement et leurs collaborateurs. Mais peut-on empêcher, à partir du centre, l'innovation collaborative qui échappe à l'entreprise et qui continue à fonctionner selon ses propres règles... sans schéma directeur ? (cf. le « vide » stratégique dans mon livre Gouvernance de l'information, 2013) ?
Dans le prochain article du 8 septembre sur ce même sujet, nous traiterons des deux points suivants :
- A quoi çà sert, un schéma directeur ?
- Un schéma directeur, à qui çà sert ?
Article rédigé par
Gérard Balantzian, Auteur et conférencier
Pionnier dans le domaine du management et des systèmes d'information depuis 1982, Gérard Balantzian a initié en France le développement des schémas directeurs, de la cogouvernance® et des pratiques coopératives de transformation des systèmes d'information. Il a dirigé pendant plus de 20 ans l'antenne parisienne de l'Université de Technologie de Compiègne (IMI - Institut du Management de l'Information). Conférencier international, il est également auteur de nombreux articles dans la presse spécialisée.
Livres de Gérard Balantzian :
Aux éditions Masson : Les schémas directeurs stratégiques (1982, 1988, 1992) ; L'évaluation des systèmes d'information et de communication (1988) ; Aux Editions d'Organisation : L'avantage coopératif (1997) : Les systèmes d'information : art et pratiques (collectif) en 2002 ; Tableaux de bord pour diriger dans un contexte incertain, (collectif) en 2005 ; Aux éditions Dunod : Le plan de gouvernance du S.I. (2006, 2007, 2011) ; Aux éditions Hermès Lavoisier : Gouvernance de l'information pour l'entreprise numérique (2013).
Site de l'auteur : www.cogouvernance.com
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