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Elisabeth Humbert-Bottin (GIP-MDS) : « nous sommes des professionnels de la donnée »

Elisabeth Humbert-Bottin (GIP-MDS) : « nous sommes des professionnels de la donnée »
Elisabeth Humbert-Bottin, directeur général du GIP-MDS, se veut au service à la fois des adhérents du GIP et des entreprises.
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°154 !
Assurances : mettre le SI au service des métiers et des clients

Assurances : mettre le SI au service des métiers et des clients

Au même titre que les banques, les assurances et les organismes sociaux possèdent un lourd héritage de type Legacy. Et, de la même façon, la révolution numérique s'impose autant pour la relation client que pour le bon fonctionnement interne. Mais les particularités du métier se révèlent rapidement....

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Elisabeth Humbert-Bottin est directeur général du GIP-MDS (Groupement d'Intérêt Public - Modernisation des Déclarations Sociales). Créé pour gérer le portail Net-Entreprises.fr, cet organisme est aujourd'hui au coeur des échanges de données sociales entre les organismes sociaux, les entreprises et les administrations. Après le chantier de la DSN, qui a permis de restructurer les données de paye et de GRH en révélant les mauvaises pratiques, arrivent de nouveaux défis tels que le Prélèvement à la Source (PàS).

PublicitéCIO : Quel est l'objet du GIP-MDS (Groupement d'Intérêt Public - Modernisation des Déclarations Sociales) et quels organismes réunissez-vous ?

Elisabeth Humbert-Bottin : Nous réunissons les organismes qui ont besoin de déclarations de la part des entreprises... et qui le souhaitent. Notre objet est de faciliter la vie des entreprises tout en rendant service à nos membres en simplifiant la dématérialisation et en mutualisant les développements techniques. Notre financement est, pour l'essentiel, assuré par nos membres, comme pour tout GIP.

CIO : Quelles sont vos rôles, plus précisément ?

Elisabeth Humbert-Bottin : Nous en avons quatre familles. Le premier rôle, notre raison d'être historique, est la gestion du portail Net-Entreprises.fr. En 2000, il s'agissait de gérer des formulaires de saisie, aujourd'hui de gérer des API. Nous développons ainsi de nouvelles offres de services, comme l'authentification déportée qui peut se présenter sous deux formes. La DGEFP [Direction Générale à l'Emploi et à la Formation professionnelle] va proposer en lien avec notre bouquet de services certaines déclarations en utilisant notre authentification des déclarants. La CNAV-TS utilise déjà notre authentification des déclarants sous la forme d'une mire d'authentification pour le compte professionnel de prévention des risques professionnels [ancien « compte pénibilité », NDLR]. La CNAM-TS va bientôt utiliser nos services pour proposer aux entreprises l'envoi horodaté électronique des taux de cotisations pour les accidents du travail à la place des courriers postaux recommandés.
Le deuxième est la maîtrise d'ouvrage, maîtrise d'oeuvre et la coordination d'exploitation de la DSN (Déclaration Sociale Nominative). Jadis, chaque adhérent proposait sa propre déclaration pour ses propres cotisations sur le portail. Avec la DSN, la logique a été inversée. Toutes les déclarations sont désormais alimentées par les données de paye issues des logiciels de paye. La DSN a amené la normalisation stricte des données, d'où un certain nombre de difficultés sur lesquelles nous allons revenir.
Le GIP-MDS a également été désigné, par un décret, en lien avec la DGFiP [Direction Générale des Finances Publiques, NDLR], pour gérer la déclaration PàS [Prélèvement à la Source de l'Impôt sur le Revenu] et la PàSRAu [Prélèvement à la Source des Revenus Autres]. Cette désignation est simplement liée au fait que toutes les données nécessaires sont déjà incluses, pour l'essentiel, dans la DSN.
Enfin, nous allons utiliser les données collectées pour permettre aux organismes concernés de calculer les prestations sous conditions de ressources. Nous expérimentons ce principe autour du RSA [Revenu de solidarité active], géré par les caisses d'allocations familiales. Il est envisagé de le faire également pour les APL [Aide personnalisée au logement]. Dans ce dernier cas, cela permettrait d'être en phase avec la réalité quotidienne de l'allocataire en prenant des données de deux mois avant au lieu de deux ans actuellement.
En lien avec ces divers rôles opérationnels, le GIP-MDS a donc aussi un rôle de normalisation des données. Nous sommes des professionnels de la donnée et de ses échanges. Notre standard INTEROPS pour l'échange sécurisé des données sociales est d'ailleurs inclus dans le RGI [Référentiel Général d'Interopérabilité].

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CIO : Justement, beaucoup d'entreprises se sont plaintes de la mise en oeuvre de la DSN. Que s'est-il passé ?

Elisabeth Humbert-Bottin : Beaucoup de plaintes, c'est très relatif car, même au démarrage, nous avions 73 % de satisfaction. Mais, de fait, il y a eu un changement de paradigme par rapport aux modes précédents de déclaration. Tout le monde n'a pas compris ce que cela impliquait et tout le monde n'a pas non plus joué le jeu.
Le premier problème, c'est donc la compréhension de ce qu'est la DSN. Beaucoup d'éditeurs ont vu la DSN sous un angle purement technique d'un flux de données à envoyer. Ils ne l'ont pas toujours vu sous l'angle de la Data. Le GIP-MDS a créé une charte de qualité pour les éditeurs. En France, il y a 250 éditeurs de logiciels de paye. Seulement 150 ont signé la charte. Si une entreprise dispose d'un logiciel issu d'un éditeur qui ne se conforme pas à la charte, le logiciel ne permet pas de gérer convenablement la DSN, donc ça ne marche pas et donc l'entreprise n'est pas contente.
La DSN a révélé beaucoup de mauvaises pratiques. Par exemple, dans certains logiciels, un individu était en fait un contrat de travail. Donc, si quelqu'un avait plusieurs contrats successifs, il devenait plusieurs personnes différentes. Cette logique est mauvaise et, avec la DSN, elle aboutit à un rejet. Un même individu est évidemment susceptible d'avoir plusieurs contrats. De la même façon, une mutation n'est pas une fin de contrat suivie d'une réembauche. Les droits associés ne subissent pas de remise à zéro.
Bien entendu, en cas de rejet, nous émettons un code de retour, parfaitement normalisé, mais que les logiciels de paye ne traduisaient pas toujours correctement voire pas du tout... Avant, l'objectif des gestionnaires de paye comme des éditeurs était que « ça passe ». Maintenant, il faut une approche globale de la paye, orientée Data. Une même donnée peut avoir x usages et il faut donc qu'elle soit bonne dès le départ.
Il a aussi fallu également mener un véritable travail sémantique et de réflexion sur les données. Par exemple, le montant brut de salaire ou l'effectif n'avaient pas, pour tous, les mêmes définitions. Il existait ainsi 17 définitions différentes de « effectif » (en équivalent temps plein, en individus physiques, à une date donnée, en moyenne sur une période, avec ou sans les stagiaires et les apprentis...). Des données sans utilité étaient aussi parfois collectées. La normalisation des données amène de vraies simplifications. A partir de 2018, par exemple, leur effectif ne sera plus demandé aux entreprises : l'ACOSS le calculera directement à partir des données de la DSN. Et le chantier DSN a remis les choses au carré, autant côté entreprises que côté organismes sociaux. Certaines entreprises ont d'ailleurs clairement profité de la DSN pour rationaliser leurs données de GRH en donnant les moyens nécessaires, notamment via une modernisation des logiciels, aux gestionnaires de paye. Ces gestionnaires sont rarement bien dotés car ils ne sont pas vus comme des leviers de performance mais on oublie souvent le coût caché des corrections après coup.



CIO : S'il y a eu un premier problème, il y en a eu d'autres...

Elisabeth Humbert-Bottin : En effet. La deuxième série de motifs de mécontentement était relative à la sphère prévoyance / complémentaires (mutuelles, assurances, etc.). Dès 2012, nous avions prévenu ces organismes mais, en 2017, beaucoup n'étaient pas prêts. Des fiches de paramétrage étaient fausses, des contrats n'étaient pas pris en compte, etc. Et donc les entreprises se sont retrouvées à devoir continuer d'émettre les anciennes procédures pour gérer les complémentaires alors que la DSN était censée les remplacer.
La DADSU est par ailleurs à prévoir encore en 2018 pour un certain nombre d'entreprises. Lorsqu'une DSN n'est pas correcte, une DADSU peut être requise. De même, les DUCS, bien que réduite de l'essentiel vis-à-vis de l'ancien volume, restent en place mais pour d'autres motifs comme, par exemple, les cotisations des caisses de congés du BTP.
En tout, il reste encore une vingtaine de déclarations qui sont pourtant issues de la paie mais non encore en DSN et qui vont, petit à petit, disparaître. C'est seulement lorsqu'elles seront toutes remplacées que la DSN aura réellement atteint son objectif.

CIO : La prochaine disparition du RSI (Régime Social des Indépendants) vous impacte-t-elle ?

Elisabeth Humbert-Bottin : Tous les décrets relatifs à cette évolution ne sont pas parus. Le nom « RSI » disparaît mais les déclarations sociales associées (DSI et C3S) ne changent pas, a priori, en 2018. Donc, non, il n'y aura pas normalement de bouleversement pour nous.
D'autres caisses disparaissent ponctuellement, comme celle des VRP par exemple. Et puis les modes de calculs sont régulièrement modifiés, comme bientôt pour la CSG. Le tout est de prévoir une architecture technique qui soit capable de s'adapter à ces situations.

CIO : Puisque l'on parle de votre architecture technique, comment s'organise votre SI ?

Elisabeth Humbert-Bottin : Coeur de notre SI, le portail Net-Entreprises.fr est hébergé par un prestataire avec un appel d'offres tous les quatre ans. Longtemps, il a été hébergé par Prosodie, actuellement par Atos. La partie logicielle bénéficie d'une TMA. Le portail est en lien avec plusieurs services utilisés par ailleurs, comme par exemple le Répertoire Commun des Déclarants qui sert à l'authentification des déclarants et des SIRET déclarés. Cet outil gère aussi les tiers-déclarants comme tel expert-comptable déclarant pour telle ou telle PME.
En parallèle, la DSN est gérée en lien avec certains de nos membres. Lorsque nous l'avons mise en place, nous avons cherché à mutualiser, à partir de l'existant, des outils qui avaient fait leurs preuves comme la télédéclaration de l'ACOSS et celui de conservation des données de la CNAV. La téléprocédure DSN est donc hébergée et développée par l'ACOSS et la conservation des données développée et opérée par la CNAV.



CIO : Après la DSN, quels vont être vos prochains chantiers ?

Elisabeth Humbert-Bottin : La généralisation de la DSN pour traiter le cas général a en effet été opérée au 1er janvier 2017. Mais ce n'est pas la fin de son déploiement.
En 2018, les salariés vont pouvoir accéder, via un portail dédié, à leurs données personnelles issues des DSN dans le portail Mesdroitssociaux.gouv.fr qui va progressivement s'ouvrir à tous les droits.
En parallèle, on intégrera à la DSN les « contrats d'usage » (par exemple les contrats de l'hôtellerie). 2018 sera également l'année de la disparition du RSI, de l'évolution de la CSG... En 2019, la DSN s'étendra au secteur public. Elle permettra le PàS et le PàSRAu ainsi que le calcul complet et à jour des indemnités journalières (congés maladie) sur la base de tous les contrats, y compris en cas de multi-employeurs. Les éléments de salaire seront transmis aux Allocations Familiales pour le calcul des APL. La DOETH (Déclaration Obligatoire d'Emploi des Travailleurs Handicapés) sera également intégrée à la DSN.
La mutation automatique de régime social en fonction des données des DSN concernant un individu précis sera mise en oeuvre en 2020.
Au global, l'objectif fixé à notre feuille de route est d'achever l'intégration de toutes les procédures d'ici 2022. En filigrane, il y aura bien sûr la stabilisation de la DSN, qu'elle soit réellement industrielle sur tous les points.

CIO : Avec cette gestion centrale et « carrée » des données de GRH apportée par la DSN, sera-t-il encore nécessaire de conserver sans limitation de temps ses bulletins de paye ou, en entreprise, les données de paye ?

Elisabeth Humbert-Bottin : Cette question concerne en fait une réflexion globale à avoir sur la donnée, sa valeur et son sens, amenée par la digitalisation. Quand un texte réglementaire ou législatif se réfère à un bulletin de paye, ce n'est pas aux données DSN. S'il y a une erreur un mois donné sur un bulletin de paye, celle-ci sera corrigée dans la DSN du mois suivant mais, en général, un bulletin correct sera cependant émis, ce bulletin sera l'addition de deux DSN. Du coup, quelle est la donnée de référence à prendre en compte ? Ces fameux bulletins de paye que l'on garde précieusement peuvent également comporter des erreurs. Doit-on, du coup, conserver l'historisation des données, avec trace de leurs modifications, ou bien juste la bonne valeur ?
Côté compétences, au moment de la création de la DSN, nous avons beaucoup travaillé avec des éditeurs, des gestionnaires de paye, etc. Mais, aujourd'hui, le profil du gestionnaire de paye doit changer. Il doit devenir l'acteur de la donnée.

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