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Edito - Une informatique souveraine, un idéal souvent bancal

Edito - Une informatique souveraine, un idéal souvent bancal
Bertrand Lemaire est rédacteur-en-chef de CIO.

Le 14 juillet est le jour de la Fête Nationale en France. C'est sans doute le bon jour pour se pencher sur les rêves d'informatique souveraine.

PublicitéLes GAFAM, c'est le mal ! Cette affirmation un peu manichéenne est souvent entendue en France. Et c'est le prétexte pour relancer des solutions nationales. Les problèmes sont réels, ne nous en cachons pas. Il y a en fait deux familles bien distinctes de problèmes : d'une part un problème d'acteurs sur-dominants qui, volontairement ou non, profitent (voire abusent) de leur dominance, toutes considérations de nationalité mise à part ; d'autre part le problème de la nationalité américaine de ces acteurs et donc de leur soumission directe à des législations liberticides américaines à effet extra-territorial (Cloud Act, etc.).

Pourquoi ces acteurs sont-ils archi-dominants ? Il y a des raisons historiques et économiques à cela. Une véritable intégration européenne est finalement assez récente et, encore aujourd'hui, la barrière de la langue reste réelle entre les différents pays européens. A l'inverse, les Etats-Unis constituent un seul marché intérieur. Lancer un produit quelconque aux Etats-Unis bénéficie donc tout de suite d'un marché primaire important. De plus, l'usage du dollar facilite l'exportation, sans oublier que l'Anglais Américain est parlé à peu près partout dans le monde. Langue et monnaie ne sont donc pas des obstacles à l'exportation des services et des produits américains. Enfin, miser sur une aventure entrepreneuriale aux Etats-Unis, en acceptant des pertes durant des années, n'a rien d'incongru : Amazon a été déficitaire des années avant de permettre à son fondateur, Jeff Bezos, de devenir première fortune mondiale. Cependant, ces acteurs se heurtent aujourd'hui à d'autres acteurs, issus eux-aussi d'un vaste marché intérieur avec un soutien financier important : les acteurs chinois. La bagarre se joue à coups de milliards d'euros/de dollars d'investissements.

Face à eux, malgré quelques initiatives (comme autour du cloud, par exemple avec Gaia-X), il y a bien quelques acteurs français ou européens mais qui ne jouent clairement pas dans la même cour en termes de moyens comme de chiffre d'affaires. Si l'on se défend dans le IaaS avec des acteurs tels qu'OVH, Atos, Orange ou T-Systems, il n'y aucun acteur équivalent, en Europe, à Microsoft, Google, Facebook ou Amazon dans les services un peu sophistiqués, du PaaS au SaaS notamment. Personne ne peut aligner les milliards nécessaires. De ce point de vue, Qwant peut apparaître comme le contre-exemple, tout ce qu'il ne faut pas faire, l'équivalent numérique du SECAM.

Si le Minitel, aujourd'hui obsolète et pour cela trop souvent moqué, a été une indéniable réussite technologique qui a fait rentrer la France dans l'économie numérique très en avance par rapport à l'immense majorité des pays, le SECAM a été une technologie sans intérêt dès le départ. Cette technologie faisait la même chose que son concurrent international le PAL. Nous n'avons pas su vendre le Minitel, qui s'appuyait trop sur une concentration des acteurs para-étatiques que l'on ne rencontrait nulle part ailleurs qu'en Europe, le SECAM était invendable car sans intérêt. A quoi bon se différencier si l'on n'amène rien ? On perd en interopérabilité, en économie d'échelle, en richesse d'écosystème, en maîtrise des produits par les utilisateurs ou les intégrateurs... pour rien.

PublicitéPersonne ne peut aujourd'hui vendre un produit avec comme seul argument : « je suis Français ! ». Dans l'alimentaire, cela peut être une marque de qualité gustative, qualité qui est en fait une réelle différence ayant un intérêt, l'étiquette « France » n'étant qu'un argument pour la valeur ajoutée réelle. Dans l'informatique, rien de tel. L'étiquette « France » ne prouve rien, sauf que l'on ne sera (a priori) pas soumis à la législation américaine. Jusqu'à un rachat par un acteur américain souhaitant récupérer quelques contrats et ayant la capacité de sortir le chéquier pour cela.

Alors, est-ce perdu d'avance ? Non. Mais il faut juste que les acteurs français et européens soient conscients des nécessités du marketing. Aucun acteur français ou européen n'a la surface financière d'un monstre comme Amazon, Google, Facebook, Apple, etc. Aucun n'a leur capacité d'investissement. Ce sont là des faits qu'il ne sert à rien de nier.

Il est légitime de ne pas vouloir que la révolution économique du numérique laisse de côté notre pays. Il est légitime d'empêcher des acteurs étrangers de dominer notre économie. Mais il est absurde de tenter de défendre nos positions en copiant les dominants sans en avoir les moyens. La guerre est asymétrique et il faut en tenir compte. Ne pas le faire, c'est courir au désastre. Créer un moteur de recherche qui chante la Marseillaise et fait tout comme Google (mais en moins bien) n'a aucun sens.

Une informatique souveraine ne peut qu'être différente. Une informatique souveraine doit apporter une approche radicalement innovante et en rupture avec les acteurs installés. Une informatique souveraine doit obéir aux règles du marketing et de l'économie : jamais un suiveur ne bouscule un acteur dominant, tout au plus lui mord-il les chevilles en rognant les prix, limitant de ce fait sa capacité ultérieure d'investissement. La rupture peut être d'origine variable : technologique, sur les modèles de coût, sur les services utilisateurs, etc. Si l'on veut faire de l'informatique souveraine un machin sous perfusion d'argent public pour faire joli dans les discours de politiciens, ce serait vraiment là un échec national que l'on paierait durant des générations.

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