Tribunes

Edito - La Grande Guerre

Edito - La Grande Guerre
Bertrand Lemaire, rédacteur en chef de CIO

La grande guerre entre CMO et CIO tient parfois de la guerre de tranchées, parfois de la trêve de Noël, et aboutit à la création d'états tampons.

PublicitéSans doute mes lecteurs n'ont jamais été en mesure de faire le test -sauf si certains sont des vampires ou d'autres immortels- mais gageons que, en 1914, dire à l'un de ses amis bien français qu'il était comme un Allemand, avec deux bras, deux jambes, une tête, un estomac, un cerveau et un coeur, cela pouvait mal finir. Pourtant, le fait avancé aurait été biologiquement incontestable. Aujourd'hui, les Allemands sont les meilleurs amis des Français (sauf quand la chancelière prend le président en exercice pour une réincarnation de Louis de Funès ou que quelques points de déficit budgétaire excédentaires viennent brouiller les relations).
Je ne sais pas si vous serez d'accord avec moi mais j'ai l'impression que les relations entre CIO et CMO (en Français, respectivement : directeur des systèmes d'information et directeur du marketing) sont assez proches des relations franco-allemandes. La GRC (gestion de la relation client) est un peu leur Alsace-Lorraine. Un coup, je te la verrouille parce qu'il y a des données sensibles et interdiction d'y introduire quelque modification que ce soit avant un délai de dix-huit mois et un cahier des charges détaillé ; un coup, je te l'embarque dans le cloud, en SaaS, loin des datacenters sécurisés, avec toutes les données personnelles des clients.

La condition honteuse de manager IT

Et, tout comme notre franchouillard de service refusait en 1914 d'admettre qu'il avait le même nombre de doigts de pieds qu'un Allemand, le CMO se refuse à voir qu'il est devenu un manager IT même si son budget numérique (ne pas dire informatique) devient supérieur à celui du CIO.
Ah, condition honteuse que celle de manager IT ! Comment un stratège du marketing pourrait-il s'abaisser à ramper dans les tranchées boueuses pour tenter de faire en sorte qu'un système soit opérationnel ? Comment pourrait-il vivre où grouillent des fournisseurs qui ne pensent qu'à grignoter le rata budgétaire dès que le CMO a le dos tourné ? Comment pourrait-il accepter d'être au front tandis que sa douce amie la clientèle virevolte à l'arrière (ou plutôt à l'avant, en fait) au son du jazz omnicanal et du cancan ubiquitaire ?
Dans la tranchée d'en face, le CIO a l'habitude de tout cela. Il creuse. Il s'enterre. Il fait face aux attaques chimiques des directions métier. Et pourtant, il doit continuer d'avancer, de faire fonctionner la machine de guerre. Comme dans toute guerre, il y a des morts, par exemple quand une attaque de puces vient sucer les budgets à cause d'une mauvaise lecture des contrats de licence en hébreux archaïque.

La douce volupté de la défaite

Pour éviter de devoir retourner dans les tranchées, la défaite peut être une bonne idée. Bon, finalement, gérer la GRC en SaaS, c'est peu stratégique. Et puis, entretenir les ponts sur le Rhin et la Meuse pour relier la GRC au reste, ça coûte cher et c'est compliqué. Alors, refiler le bazar au CIO, finalement, ce n'est peut-être pas une mauvaise idée.
Le tout, c'est de pouvoir continuer à grignoter un peu de SaaS au marché noir, discrètement. Tant pis pour le rationnement budgétaire et la récupération officielle de toute l'IT par le CIO. Enfin, il suffit de céder aux sirènes des acteurs du cloud débarquant sur les plages. Ils offrent des chewing-gums et des tas de goodies qui valent bien les bas en nylon.

PublicitéLes états-tampons, garantie de la paix ?

Pour éviter que les confrontations ne dégénèrent, la stratégie millénaire a toujours été de créer des états-tampons, garants de la séparation géographique des belligérants. Ainsi, entre la France de Louis XIV et le Saint-Empire Romain Germanique, surgirent diverses principautés. En 1830, la création de la Belgique fut considérée de la même façon. On peut ajouter au nombre aussi bien le Luxembourg que la Suisse.
Entre CMO et CIO, on trouve également de ces territoires à la pérennité ou à la neutralité peu garanties. Utilisant des outils numériques mais opérant dans la communication, le Community Manager est typiquement un état-tampon entre CIO et CMO. Plus récemment est apparu le CDO (Chief Digital Officer). Là, bizarrement, CIO et CMO se sont sentis comme la belette et le petit lapin face au chat de la fable de Jean de La Fontaine. Peut-être, en Belgique, Bruxelles allait-il mettre d'accord Berlin et Paris.
Il était temps, sans doute, de passer à de nouvelles relations.

Les meilleurs amis du monde

Vous avez lu l'histoire du Directeur Informatique, comment il vécut, comment il est mort. Ça vous plu, hein ? Vous en demandez encore. Eh bien, écoutez l'histoire du CMO et du CIO.
Ils ont fini par comprendre qu'ils avaient intérêt à travailler ensemble. Une belle stratégie omnicanale a besoin d'une belle technologie pour être opérationnelle. Est-ce pour autant la fin de la guerre ? N'en soyons pas si sûr. Gageons que quelques dépassements budgétaires ou les importations de SaaS en shadow-IT continueront de semer une certaine brouille. Mais, globalement, CMO et CIO forment désormais un beau couple.

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