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Edito : La faute de l'ordinateur

Edito : La faute de l'ordinateur
Bertrand Lemaire est rédacteur en chef de CIO

Depuis que l'informatique a fait son entrée dans les entreprises et administrations, elle est une excuse bien pratique.

PublicitéSi l'informatique n'existait pas, il faudrait l'inventer. Je ne parle pas des besoins de traiter des données, de réaliser de puissants calculs, etc. L'économie et la science s'en sont passées durant des millénaires. Mais sans informatique, quelle excuse pourrait être invoquée par quantité de services pour expliquer leurs dysfonctionnements et leurs échecs ? Car, bien entendu, c'est toujours la faute de l'ordinateur.
Allons plus loin : l'ordinateur est une machine. En tant que telle, elle a été conçue tant sur le plan matériel que sur celui de sa programmation, pour ne jamais vraiment prendre de décision de son propre chef. Quand on dit que « le système a décidé que... », par exemple de vous accorder ou non un prêt bancaire, c'est en appliquant un processus et un arbre de décision définis au préalable. Faute d'avoir croqué la pomme dans le jardin d'Eden (l'ordinateur n'a ni bouche ni dent), l'ordinateur n'a pas de libre arbitre. Donc l'ordinateur n'a aucune responsabilité. Par conséquent, ce n'est jamais sa faute. Si la saisie opérée par des agents humains, transmise et traitée selon des processus définis par des humains, a abouti à vous calculer un score de solvabilité médiocre, ce sont des humains qui, par l'intermédiaire de la machine, ont pris la décision de vous refuser un prêt. Ce sont les humains banquiers qui veulent revoir leur argent, pas l'ordinateur.

Les grands projets n'échouent (presque) jamais sur le plan informatique

Les grands projets informatiques qui coûtent des millions voire parfois des milliards d'euros pour rien sont eux aussi des échecs humains. Les limites physiques ou technologiques n'ont jamais été la cause d'un échec en informatique de gestion ou industrielle. On remarquera d'ailleurs que les échecs concernent souvent des projets qui concernent directement les humains. Par exemple, récemment, l'Etat a échoué sur deux grands programmes informatiques de gestion de la paye : l'un interministériel (celui de l'Office National de Paye), l'autre au Ministère de la Défense (programme Louvois). Dans les deux cas, le problème principal a été la trop grande complexité des mécaniques de paye que personne n'arrivait à modéliser correctement. L'ordinateur faisant bêtement ce qu'on lui demande de faire, si on lui dit de faire un calcul faux, ben, il fait un calcul faux. Quand il s'agit de paye, cela peut poser des soucis.
Les humains auraient dû avant tout définir des processus clairs et univoques avant de vouloir les modéliser et en confier les calculs à un système informatique. Ce sont ces processus qui manquaient. Ce sont les arbitrages métier qui manquaient. Les électrons, eux, acceptaient volontiers de tourner dans les semi-conducteurs de silicium et d'arséniure de gallium.

Un mauvais arbre de décision

PublicitéDans le même ordre d'idée, je vais vous narrer une anecdote personnelle. J'ai l'habitude de louer des automobiles pour mes loisirs chez un loueur présent dans presque toutes les gares en réservant à l'avance sur Internet. Et, cette fois là, je me suis rendu spécifiquement dans la partie consacrée aux « véhicules utilitaires » du site web, souhaitant une camionnette pour un déménagement. Bien entendu, après m'avoir présenté les fiches de nombreux camions tous plus beaux les uns que les autres, le site me demande une agence de départ (une gare parisienne), un horaire, etc. Et le site me propose... une Twingo ! Pour un déménagement, cela risquait d'être un peu juste. Même en promotion. Croyant avoir commis quelque mauvaise manipulation, je recommence et retombe sur le même résultat.
Il me faut un certain nombre de tentatives et de tests pour comprendre le problème : le site met en priorité l'agence et ne se préoccupe du type de véhicule que dans un second temps. Or l'agence choisie ne disposait d'aucun véhicule utilitaire, ce que rien ne permettait de prédire ! J'ai donc dû faire le tour de Paris, agence par agence, pour trouver un véhicule conforme à mon souhait, que j'ai fini par trouver dans une agence située à moins d'un kilomètre de la première agence choisie. Nous avons là le parfait exemple d'un système expert mal conçu. La recherche du véhicule ne suivait pas la logique du client mais une logique inadaptée, conçue pour pousser ce que l'on a en stock à l'endroit où est le client, sans chercher plus loin. En province, où les agences sont distantes de dizaines de kilomètres, cela peut se comprendre. Mais à Paris...

Le bon diagnostic est nécessaire

Affirmer que la faute est humaine et jamais celle de l'ordinateur n'est pas qu'une prise de position morale ou philosophique. C'est un diagnostic. Et poser le bon diagnostic est nécessaire pour corriger le problème. Lorsqu'un logiciel ne fait pas ce qu'il faut, il est nécessaire de comprendre si les processus modélisés sont corrects. Si c'est le cas, alors on peut se demander si la transcription logicielle de ces processus a été correctement effectuée (par des humains là encore). Mais dire « c'est la faute de l'ordinateur » est juste une imbécillité pour se dédouaner et ne jamais corriger le problème.
Refuser « c'est la faute de l'ordinateur », ce n'est pas prendre la défense d'une pauvre machine opprimée. C'est exiger que les humains prennent leurs responsabilités et corrigent leurs propres erreurs. En commençant par les problématiques métier sur lesquelles les informaticiens n'ont aucun pouvoir.

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