DSI de transition : un manager IT parti en mission
Il est là pour remplacer au pied levé un DSI sur le départ, redresser un projet parti à la dérive ou assurer la vente ou l'intégration d'une activité. Le DSI de transition, professionnel aguerri du management IT, bénéficie d'un marché porteur et d'une rémunération attractive. Portrait-robot au travers de 5 professionnels qui ont sauté le pas.
PublicitéMoins de 1 000, selon certains. Près de 2 000 pour d'autres. Par définition, les contours du marché des DSI de transition, élargi aux directeurs de programme, sont assez flous. A titre indicatif, mi-juin, on recensait, par exemple, sur la seule plateforme Malt plus de 150 profils de DSI de transition. La pratique est en tout cas bien ancrée sur le marché. « Il y a beaucoup de candidats - à commencer par tous les DSI qui se retrouvent au chômage -, mais des managers qui ont déjà dépassé les 2 ou 3 missions sont moins de 200 », tempère Pierre Fauquenot, fondateur et Pdg d'Infortive Transition, un des gros cabinets spécialisés qui revendique environ 80 DSI de transition.
Les spécialistes que nous avons interrogés parlent tous d'un marché dynamique. « Quand on est bien référencé sur la place, on reçoit en moyenne un appel par semaine pour une nouvelle mission », explique ainsi Patrick Chenebeaux, pour qui le marché est animé par le grand nombre de projets de scissions (carve-out) ou d'intégration, sans oublier les directions de programme sur lesquelles les entreprises recherchent des managers aguerris. Après une carrière d'une vingtaine d'années en tant que DSI (notamment dans le groupe Bouygues), Patrick Chenebeaux a basculé dans le management de transition. « J'ai démarré par une mission de 6 mois chez Engie ; cinq ans après, j'y étais toujours », explique celui qui est désormais associé au sein du cabinet Axcel Partners, spécialisé dans les DSI et directeurs de projets de transition. « C'est un marché très porteur où on reçoit beaucoup de sollicitations », abonde Christophe Begis, un DSI qui s'est positionné sur des missions de transition depuis un an.
Pierre Fauquenot évoque un marché du management de transition - tous profils confondus - qui a bondi de 50% en 2022 (pour atteindre 700 M€). L'IT représentant 11% de ce total. « En janvier, le taux d'intercontrat était tombé à 5%. Nous sommes plutôt autour de 10% en ce moment, avec des prix qui restent stables », écrit Pierre Fauquenot.
Apporter un oeil extérieur
Sur ce marché très atomisé, les cabinets spécialisés dans le management de transition côtoient des ESN à l'affût d'un segment de marché dynamique et des indépendants qui trouvent leurs missions eux-mêmes, par leur réseau ou via des plateformes comme Malt. Les cabinets spécialisés prélèvent environ un tiers du montant de la mission (sans demander de commission fixe à l'entreprise demandeuse), tout en fournissant un accompagnement, un suivi de la mission dans le temps. « « Ce suivi est essentiel car on a parfois affaire à des profils qui arrivent sur le marché après 30 ans d'expérience dans une seule entreprise. Mais avec zéro culture du conseil ou de la mission, note Patrick Chenebeaux. Passer de l'opérationnel à une posture de conseil, où il ne faut pas forcément décider mais présenter des choix, nécessite un accompagnement. »
PublicitéPour ce dernier, si le marché est porteur, c'est aussi parce que les pratiques des entreprises ont évolué : « avant, elles avaient tendance à trouver le remplaçant d'un manager avant de signifier son départ au professionnel en poste. Aujourd'hui, les entreprises privilégient plutôt un départ rapide couplé à une mission de transition et le lancement d'un processus de recrutement ». Pour Patrick Chenebeaux, cette approche présente deux avantages : « D'abord le DSI de transition va effectuer un audit de la situation avec un oeil extérieur et dans une posture d'indépendance, car il sait qu'il ne va pas rester. Et, dans la foulée, il va mettre en oeuvre les opérations pour retourner la situation. » Une première passe qui va permettre au futur DSI à temps plein de trouver une situation assainie - ou en passe de l'être - à son arrivée.
« Reprendre le contrôle de ma vie »
Mais le dynamisme de ce marché s'explique aussi par l'évolution des attentes de certains professionnels arrivant dans leur seconde partie de carrière. « J'ai découvert le métier de DSI de transition il y a environ 20 ans. Je ne voulais plus être salarié. J'ai plutôt un tempérament de bâtisseur qui s'ennuie rapidement en entreprise », dit par exemple Pierre Fauquenot, qui avoue avoir signé ses premières missions un peu « à l'intox ». Il cumule aujourd'hui une vingtaine de missions de transition.
Sébastien Thouvenin, co-fondateur de Parteam : « Je voulais retrouver du sens à ce que je faisais et reprendre le contrôle de ma vie. » (Photo : D.R.)
Sébastien Thouvenin témoigne aussi de cette volonté de reprendre le contrôle, après un parcours salarié d'une vingtaine d'années : « ce qui a concrétisé ma volonté d'être indépendant, c'est que, passé 40 ans, on sait ce qu'on ne veut plus. Et je ne voulais plus subir certains choix pas alignés avec mes valeurs, retrouver du sens à ce que je faisais et reprendre le contrôle de ma vie. C'est d'ailleurs un trait commun qu'on retrouve dans le parcours de nombreux managers de transition. » Devenu indépendant en 2018, le DSI a depuis co-fondé un cabinet de management de transition, Parteam.
Pour Pierre-Eric Cognard, ce sont plutôt les limites ressenties dans ses postes précédents, dans le conseil ou en tant que DSI en interne, qui l'ont poussé vers le métier d'indépendant. « Je manquais de liberté de parole, manager la DSI uniquement comme un centre de coûts conduit à des frustrations. » D'où d'ailleurs le nom que Pierre-Eric Cognard a choisi pour le cabinet de DSI à temps partagé qu'il a co-fondé : Valeurs et SI.
Le passage à l'indépendance peut également être plus opportuniste. En tout cas au début. C'est un peu ce qu'a vécu Christophe Begis, un autre DSI de transition : « il y a un peu plus d'un an, je suis arrivé en fin de cycle dans mon poste de DSI en CDI. En me repositionnant sur le marché du travail, j'ai trouvé plus d'intérêt du côté des cabinets de transition, en raison de ma séniorité et de mon expérience de diverses entreprises de tailles différentes et de secteurs variés. »
Scissions et intégrations : deux classiques
Depuis, le DSI a enchaîné deux missions de carve-out (scission) pour deux grands groupes français. « Ce sont des missions où il faut trouver le bon niveau de dialogue, les bons interlocuteurs. Le DSI de transition, qui doit s'assurer que l'entreprise cédée puisse continuer son activité, dépend du patron de cette structure, mais qui fait partie du cédant jusqu'à la date du closing. Avec l'acheteur, les dialogue s'effectue sous le contrôle du département juridique. Le formalisme est assez pesant, mais ça fait partie de l'exercice », détaille le DSI qui se réjouit de disposer de davantage de liberté de ton qu'un manager en poste. « Je n'ai pas à faire plaisir à un patron. De la part de ce dernier, l'écoute est différente, car on est dans une position de sachant. Avec les métiers également, la relation est plus sereine. Je peux par exemple être moins dogmatique sur le Shadow IT, sans toutefois faire prendre des risques à l'entreprise. »
La scission est un classique du management de transition, tout comme l'intégration après fusion. « Je suis aussi intervenu lors d'intégrations ratées », dit Pierre Fauquenot. « Lors d'une mission, j'avais ainsi un mois pour déployer les infrastructures IT pour 15 pays, sinon l'entreprise devait payer une indemnité de 15 M$. Avec le DSI de la société cédante, nous avons réussi à tout mettre en place en deux mois, sans amende. Et par ailleurs, j'ai contribué à identifier un DSI en interne. Huit ans après, celui-ci est toujours en poste. »
« Hors des jeux politiques »
Les missions de transition vont toutefois au-delà de ces seuls exemples. Elles ont pour point commun « un événement d'entreprise - comme un départ, volontaire ou non. La mission est toujours associée à un critère d'urgence », dit Sébastien Thouvenin. Ce qui signifie aussi que le manager de transition dispose de très peu de temps pour convaincre : il faut être opérationnel de suite. « Ce sont des expériences qui demandent beaucoup d'énergie, mais au sein desquelles, vous bénéficiez d'une liberté de parole extraordinaire », reprend le DSI, qui décrit des missions durant en moyenne entre 6 mois et un an. « Nous sommes là pour enlever un caillou de la chaussure du dirigeant. Nous avons donc le pouvoir de faire avancer les choses rapidement, ne serait-ce que parce que nous coûtons cher à l'organisation », ajoute-t-il. « Un DSI de transition se situe hors des jeux politiques : c'est vraiment très agréable », abonde Patrick Chenebeaux, qui explique que le contexte le plus fréquent actuellement, c'est une entreprise où le DSI a donné sa démission depuis deux ou trois mois et où le processus de recrutement de son remplaçant est mal embarqué. « D'où l'urgence ! »
Pierre Fauquenot, fondateur et Pdg d'Infortive Transition : « Un DSI de transition doit être capable de s'insérer rapidement dans l'organisation. Ce qui explique qu'on recherche avant tout des gens qui ont l'expérience de situations similaires. » (Photo : D.R.)
L'expérience de Pierre-Eric Cognard rejoint largement celle de Sébastien Thouvenin et de Patrick Chenebeaux. « Sur les missions de transition, on intervient en phase critique. Non seulement la DSI n'est plus managée, mais la direction générale ne sait plus toujours comment appréhender le problème. Le DSI de transition doit intervenir rapidement pour remettre les choses en place, dans la perspective de faire venir un DSI à temps plein au sein d'un environnement stabilisé. Parfois, la dimension organisationnelle est prépondérante, d'autres fois, il s'agit plutôt de remettre un ou des projets sur les rails », explique le co-fondateur de Valeurs et SI, qui ajoute lui aussi que la relation avec la direction générale est « sans tabou ». Un élément de nouveau souligné... et apprécié : « la posture est très différente de celle d'un DSI dépendant de la DAF, où chacun doit rester dans son pré carré, ce qui interdit d'aborder de front les sujets transverses. D'ailleurs, un DSI de transition est aussi attendu sur sa capacité à bousculer l'ordre établi », estime Pierre-Eric Cognard.
DSI peu expérimentés s'abstenir
Pour ce dernier, la difficulté consiste plutôt à révéler les difficultés de façon factuelle, puis à les vulgariser auprès de la direction générale. « Car ce qu'on constate de prime abord n'est pas toujours le problème de fond. Par exemple, dans une mission que j'ai réalisée, un problème dans la production et la gestion des gammes masquait en réalité des dysfonctionnements de l'outillage et de la formation. »
Les caractéristiques des missions que décrivent ces professionnels expliquent pourquoi le rôle de DSI de transition est réservé à des profils expérimentés. « Un DSI de transition doit donc être capable de s'insérer rapidement dans l'organisation. Ce qui explique qu'on recherche avant tout des gens qui ont l'expérience de situations similaires. C'est un prérequis. Même s'il est possible de passer d'un secteur d'activité à l'autre », résume Pierre Fauquenot, pour qui, dans l'IT, on apprend en changeant d'entreprise. « Car on découvre de nouvelles méthodes, des boîtes à outils différentes et on enrichit son carnet d'adresses. » Sans oublier le fait que manager de transition devra adopter une posture différente de celle d'un salarié : « on travaille pour un individu, le patron de notre client. Et on est là pour passer d'un point A à un point B. Même si on peut suggérer, influencer, le client aura le dernier mot. Un DSI de transition n'est pas là pour se comporter en salarié, contrairement au DSI en poste, il n'a pas une délégation de pouvoir sur un domaine », reprend le Pdg d'Infortive.
« Un DSI de transition va plafonner »
Si ce positionnement présente des avantages, il a aussi ses limites, prévient Patrick Chenebeaux. Les DSI de transition sont plutôt des professionnels en fin de carrière, âgés de plus de 45 ans : « car les caractéristiques qu'ils doivent présenter sont à l'opposé de ce qu'on recherche dans un recrutement. On veut un profil disponible immédiatement. Et, surtout, on ne va pas rechercher un potentiel, mais quelqu'un qui a déjà fait un projet similaire. » Ainsi, sa première mission de transition consistait ainsi à mettre en place un centre de services à Mumbai (Inde), exactement ce qu'il venait de faire chez son précédent employeur. « Le revers de la médaille, c'est qu'un DSI de transition ne va quasiment jamais faire de mission d'un niveau plus élevé que ce qu'il a connu par le passé. Si un DSI s'oriente trop tôt vers ce type de carrière, il risque de plafonner », note l'associé au sein du cabinet Axcel Partners. Pour un cabinet comme le sien, l'exercice consiste donc à positionner sur les missions des profils un peu surcapés. Un peu, mais pas trop. « Car, le DSI de transition pourra avoir à effectuer des missions peu palpitantes pour quelqu'un habitué à des postes de direction, comme la rédaction de compte-rendu de missions. »
Jusqu'à 2500 euros par jour
L'urgence des missions et le niveau attendu de la part des profils spécialisés se traduisent par des TJM relativement élevés. Qui sont toutefois largement à géométrie variable. La taille de l'entreprise cliente joue énormément, observe Pierre Fauquenot, pour qui les taux journaliers s'étalent de 1100 ou 1200 euros par jour dans les petites sociétés, jusqu'à des pointes à 2500 euros dans les très grands groupes, en passant par 1300 à 1500 euros dans des ETI et par 2000 euros en moyenne dans les grandes entreprises. Et les DSI de transition eux-mêmes peuvent choisir de faire varier leur tarif en fonction de l'intérêt d'une mission, « parfois de plus ou moins 30% », selon Sébastien Thouvenin.
Patrick Chenebeaux, associé au sein du cabinet Axcel Partners : « Quand on est bien référencé sur la place, on reçoit en moyenne un appel par semaine pour une nouvelle mission. » (Photo : D.R.)
« Ces tarifs sont inférieurs à ceux du conseil. Et on parle ici d'un opérationnel, de quelqu'un qui délivre un projet », observe le fondateur d'Infortive. Qui raconte par exemple que, lors d'une de ses missions au sein d'un groupe d'immobilier, la seule renégociation des contrats télécom a amené une économie égale au coût généré par l'intégralité de la durée de sa mission de 13 mois. « Tout manager de transition arrive avec son lot de bonnes pratiques. Sur le budget où il maîtrise certains effets de levier, sur l'utilisation de référentiels auxquels se raccrocher ou encore sur la stratégie de 'make or buy' », relève Sébastien Thouvenin.
Un strapontin vers un nouveau CDI ?
Le revers de la médaille, c'est évidemment la précarité de la situation d'indépendant. « En passant à des missions de transition, j'ai connu un bond en termes de salaire, qui s'explique aussi par le fait que j'ai pu adresser des structures de taille plus importantes que celle où je travaillais précédemment. Mais la contrepartie, c'est la précarité », dit ainsi Christophe Begis, pour qui l'attrait des missions de transition s'accompagne d'un « petit stress de l'avenir ». « La précarité est une réalité car une mission peut s'arrêter brutalement, abonde Sébastien Thouvenin. Tout indépendant doit gérer son compte en banque comme le fait une entreprise, et anticiper ses fins de mission. »
Pour certains, assez logiquement, la mission de transition s'apparente donc plutôt à un strapontin vers un nouveau CDI. « Dans cette profession, on trouve les deux types de profils : des gens qui aiment les missions et d'autres qui veulent être recrutés », philosophe Patrick Chenebeaux. Pour Sébastien Thouvenin, on parle toutefois là d'une minorité, « car on assiste à un véritable changement dans la relation des cadres à l'entreprise, mutation qui n'est pas encore totalement perçue par les dirigeants. »
Article rédigé par
Reynald Fléchaux, Rédacteur en chef CIO
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