Droit à la protection des données personnelles vs droit à la preuve
Deux affaires récentes ont permis d'examiner dans quelles conditions des documents contenant des données personnelles de tiers peuvent être produits à titre de preuve.
PublicitéLa Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) (1) et la Cour de cassation (2) ont jugé, à quelques jours d'intervalle, que le droit à la preuve peut, dans certaines conditions, justifier d'accéder à des documents contenant des données à caractère personnel de tiers.
Dans la première affaire, une société suédoise demandait à accéder au registre du personnel de son prestataire pour confirmer le nombre d'heures travaillées par ses employés, et donc le montant des travaux dont elle devait s'acquitter.
Dans la seconde affaire, une ancienne salariée demandait à son employeur de lui communiquer des bulletins de salaire de ses collègues masculins, afin de démontrer qu'il y avait une inégalité de rémunération.
Dans les deux cas, il s'agissait d'apprécier si le droit à la protection des données personnelles pouvait justifier de s'opposer à la communication des documents réclamés.
Dans les deux cas, les Hautes juridictions ont admis le droit à la preuve, mais en rappelant un certain nombre de principes.
La CJUE a reconnu qu'il était important pour une partie de pouvoir accéder aux preuves nécessaires pour établir le bien-fondé de son grief, et ce quand bien même ces preuves peuvent contenir des données personnelles de tiers. Elle a donc jugé qu'une juridiction nationale pouvait autoriser la divulgation à la partie adverse de données personnelles si elle considère que cela ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire aux fins de garantir les droits des justiciables.
La Cour de cassation a, quant à elle, considéré que la production de documents qui avait été ordonnée dans le cas d'espèce était indispensable afin de révéler l'inégalité salariale, qui ne pouvait être prouvée autrement.
Les Hautes juridictions ont donc considéré que la production de documents à titre de preuve n'est possible que si elle est indispensable à l'exercice du droit à la preuve, c'est-à-dire lorsqu'il n'existe aucun autre moyen, moins intrusif, de la rapporter et à condition que la demande soit proportionnée au but poursuivi.
Par ailleurs, la production de documents contenant des données personnelles doit respecter le principe de minimisation des données (3) lors de leur production. Comme il existe un nombre croissant de documents contenant des données sensibles, il est impératif de limiter la collecte, l'utilisation et la conservation des données à caractère personnel.
La CJUE a ainsi précisé qu'il convenait de se limiter aux données strictement nécessaires pour atteindre un objectif précis !
C'est également la position de la Cour de cassation qui n'a autorisé la communication des documents qu'à la condition de supprimer les données personnelles qui n'étaient pas utiles au litige. Les numéros de sécurité sociale, les adresses ou les mentions des arrêts maladie ont ainsi été occultés, et seuls les noms, les prénoms, la classification conventionnelle et la rémunération avaient été produits à titre de preuve.
PublicitéOn peut penser que la question posée risque de se généraliser dans les entreprises, ce qui conduit à une mise en balance, au cas par cas, du droit à la protection des données personnelles et du droit à la preuve.
(1) CJUE, 2 mars 2023 C-268/21
(2) Cass. Soc., 8 mars 2023, n°21-12.492
(3) Article 5§1 c) du RGPD
Article rédigé par
Christiane Féral-Schuhl, cofondatrice du cabinet FÉRAL
Christiane Féral-Schuhl est avocate associée du cabinet FÉRAL. Depuis plus de 35 ans, elle exerce dans le secteur du droit du numérique, des données personnelles et de la propriété intellectuelle. Elle est également inscrite sur la liste des médiateurs auprès de différents organismes (OMPI, CMAP, Equanim) ainsi que sur la liste des médiateurs de la Cour d'Appel de Paris et du Barreau du Québec (en matière civile, commerciale et travail). Elle a été nommée seconde vice-présidente du Conseil national de la Médiation (2023-2026).
Elle a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles dans ses domaines d'expertise. Dont, tout récemment, « Adélaïde, lorsque l'intelligence artificielle casse les codes » (1ère BD Dalloz, 16 mai 2024) avec l'illustratrice Tiphaine Mary, également avocate.
Elle a présidé le Conseil National des Barreaux (2018-2020) et le Barreau de Paris (2012- 2013). Elle a également co-présidé avec le député Christian Paul la Commission parlementaire sur le droit et les libertés à l'âge du numérique et a siégé au Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (2013-2015) et au Conseil Supérieur des tribunaux administratifs et des cours d'appel administratives (CSTA CAA -2015-2017).
Suivez l'auteur sur Linked In, Twitter
Commentaire
INFORMATION
Vous devez être connecté à votre compte CIO pour poster un commentaire.
Cliquez ici pour vous connecter
Pas encore inscrit ? s'inscrire