Dossier carrière (2/3) : des dirigeants IT pour mener la transformation


Diriger le numérique, une fonction en pleine transformation
La transformation numérique concerne toute l'entreprise. Mais il ne faudrait pas oublier que ceux en charge de cette transformation, les DSI, sont eux-mêmes entraînés dans une profonde transformation. CIO a donc été à la rencontre de recruteurs comme de DSI pour comprendre cette transformation et...
DécouvrirAu fur et à mesure que les rôles de direction IT ont évolué, les attentes des organisations ont changé, pour s'attacher davantage aux compétences de leadership et aux soft skills qu'au pur bagage technique. Dans la deuxième partie de ce dossier, les experts en recrutement rencontrés par CIO reviennent sur les qualités importantes pour endosser ces rôles aujourd'hui, évoquant aussi les profils et les parcours des dirigeants actuels.
PublicitéLes dirigeants IT actuels sont ceux qui mettent en oeuvre la transformation numérique des organisations. Pour réussir dans ces missions à dimension stratégique, il ne s'agit plus seulement de maîtriser les technologies. Il faut aussi, et avant tout, savoir inspirer les autres et accompagner le changement. De ce fait, les entreprises recherchent aujourd'hui des dirigeants polyvalents, capables de parler aussi bien aux métiers qu'aux fournisseurs. Nous avons rencontré cinq consultants en recrutement spécialisés dans ces profils de haut vol, afin de faire le point sur ces nouvelles attentes et connaître les parcours qui permettent d'accéder à ces fonctions.
« Ce qui fait la différence entre un bon et un excellent dirigeant, ce sont les capacités de leadership et les compétences managériales », souligne Caroline Apffel, consultante en charge du secteur technologie (TMT) et des fonctions technologiques chez Spencer Stuart Paris. Le fait que ces capacités soient désormais régulièrement évoquées par les entreprises recrutant des dirigeants IT est pour elle l'un des signes de la reconnaissance acquise par la fonction. « Les dirigeants technologiques et DSI sont au coeur du dispositif qui fait tourner l'entreprise, ils sont reconnus à la table des dirigeants et soumis aux mêmes critères d'exigences. » Maxime Penaud, consultant en recrutement chez Meridian Executive Search Consultants, dresse un constat identique : « Les clients ont la volonté de trouver quelqu'un qui possède à la fois une vision technologique, des aptitudes managériales et des compétences relationnelles. Il s'agit de prendre de nouvelles postures de management, pour donner une direction, une impulsion sans brusquer. » Pour lui, un bon DSI, CDO ou CTO est celui ou celle qui sait écouter, s'adapter, comprendre ses interlocuteurs pour livrer des projets et transformer l'organisation à tous les niveaux, en complément de ses compétences techniques.
Si les soft skills ont toujours été importants pour les rôles de direction, IT comprise, à l'heure de la transformation numérique elles sont absolument essentielles. « La capacité à faire monter ses équipes en compétence, à mettre les bonnes personnes au bon endroit, à challenger le statu quo à bon escient et à transformer - tous ces aspects font aujourd'hui la différence pour les dirigeants IT », estime Xavier Guzman, associé et consultant transformation digitale, services professionnels & IT au sein du cabinet Odgers Berndtson. « Au sein même de la DSI, la première qualité est de savoir réunir un comité de direction solide, avec une gouvernance de qualité et une vision claire. Il est important aussi d'avoir une bonne communication sur les rôles de chacun, de relayer auprès des équipes et à tous les niveaux la mission et la raison d'être, d'expliquer aux collaborateurs IT ce qu'on attend d'eux pour bien servir les métiers. C'est encore plus vital auprès des jeunes générations, qui ont un fort besoin de sens », poursuit-il. Pour lui, les DSI doivent avoir la maturité pour comprendre ces enjeux, éviter d'être dans le micro-management et adopter une communication responsabilisante. Xavier Guzman pointe également un enjeu managérial très présent dans l'IT, mais qui se retrouve dans d'autres fonctions : le management des experts. « Tout l'art du manager est alors de permettre à ces derniers de se resituer dans l'organisation, afin de les faire progresser. »
PublicitéCultiver ses aptitudes relationnelles
Alors que la collaboration avec les métiers fait désormais partie du quotidien des DSI, les aptitudes relationnelles et la communication sont elles aussi primordiales. « Traditionnellement, les DSI n'étaient pas les plus communicatifs, maintenant cela fait partie du cahier des charges », pointe Ahmad Hassan, consultant associé au sein du cabinet Heidrick & Struggles. « La fonction possède en effet une forte dimension relationnelle, tant avec les équipes que les homologues côté business. Il faut de l'empathie, de l'écoute, savoir convaincre et engager les gens. Il faut également une orientation business, ce qui va de pair avec le relationnel, et une ouverture vers le monde. » Un avis partagé par Caroline Apffel, pour qui « le DSI ne doit pas rester sur son pré carré, mais aussi être capable de challenger les directions marketing, le DAF et les métiers. »
Sur ces aspects-là, certains mouvements globaux comme l'Agile sont très utiles, favorisant le rapprochement avec les métiers selon Xavier Guzman. « L'Agile at Scale permet de mettre les entreprises sous une tension digitale différente, car on intègre les métiers dans les projets informatiques. Quand IT et utilisateurs s'assoient côte à côté, la nature même de la relation change, au plus grand bénéfice des parties prenantes. » Pour lui, le talent de celui ou celle qui dirige l'IT est d'embarquer les collaborateurs dans les projets, en travaillant ensemble sur les processus d'entreprise et leur dématérialisation. « Ceux qui gagnent sont ceux qui arrivent à embarquer leurs pairs côté métier, en leur parlant franchement. » À l'inverse, un excellent technicien ne sachant pas parler aux métiers peut provoquer des frictions. « Par exemple, dans le domaine de la sécurité IT, un RSSI fin technologue, mais qui ne travaille pas avec la direction des risques peut créer un antagonisme entre l'IT et les métiers, ces derniers s'estimant bloqués par des contraintes qu'ils ne comprennent pas. Tout se passe beaucoup mieux quand les parties prenantes se parlent de façon sereine et incluent les utilisateurs, en leur expliquant les alternatives make or buy, pourquoi il faut décommissionner une vieille application, etc. » Dans cette même optique, les entreprises demandent de plus en plus une vision « produit » chez leurs dirigeants IT. « Le DSI est presque devenu un éditeur de logiciel interne, avec sa feuille de route produit. Il doit avoir un état d'esprit très agile, une démarche de MVP (minimum viable product) pour montrer très rapidement aux métiers ce que l'IT peut réaliser. Il s'agit de coller au besoin, et même de l'anticiper », décrit Lionel Kalifa, directeur de la practice Tech & Digital au sein du cabinet de recrutement Naos International. Toutefois, cette agilité demandée n'est pas simple à délivrer quand les organisations ont un legacy monumental, concède-t-il. « À eux seuls, les dirigeants IT ne vont pas transformer un mammouth en lièvre ».
Dans le même temps, les dirigeants IT doivent aussi gérer des relations contractuelles, avec les partenaires et fournisseurs. Lionel Kalifa note ainsi que de plus en plus d'entreprises, suffisamment mûres pour franchir le pas, décident d'externaliser les activités de run, qui formaient auparavant les sujets premiers de la DSI. « Ces entreprises choisissent de confier à des spécialistes tout ce qui ne relève pas de l'IT stratégique. La TMA est assurée par un prestataire, l'infrastructure opérée par un autre. Il faut alors un bon pilotage financier, avec un dirigeant IT expérimenté dans l'externalisation. » Ces compétences se retrouvent également, sous une forme un peu différente, quand les entreprises cherchent des dirigeants IT pour accompagner l'innovation. « Ces organisations ont besoin de quelqu'un ouvert vers l'extérieur, capable de suivre des partenariats, de gérer des KPIs », explique Ahmad Hassan.
Maxime Penaud, consultant chez Meridian Executive Search Consultants : « Un bon manager peut se repositionner. Ce qui compte, c'est l'expérience sur les questions de transformation. »
Des besoins et des profils très différents
L'évolution de la fonction de dirigeant IT a mis en exergue l'importance des talents managériaux et de leadership, corollaires indispensables à la culture technologique. De ce fait, les organisations s'ouvrent aujourd'hui à des parcours et à des profils plus variés. « Auparavant ne devenaient DSI que les patrons des études. Aujourd'hui, l'on voit des DSI bien plus polymorphes », témoigne Xavier Guzman. « Les pôles digitaux et data sont dirigés par des profils très variés, nous sommes sur du sur-mesure », souligne de son côté Lionel Kalifa. Les profils recherchés dépendent de nombreux paramètres. « En fonction du type de client, nous ne rencontrons pas du tout les mêmes profils », poursuit-il. « Un Chief Data Officer 'rock star', faisant partie d'un Comex, ne peut pas aller dans une structure sans culture data par exemple. » Le secteur d'activité de l'entreprise entre également en jeu, même s'il existe des passerelles entre secteurs, notamment dans le BtoB. « Par exemple, pour une banque d'investissement nous irons plutôt chercher un DSI dans la finance, le terrain de chasse est plus restreint. Si c'est une banque de détail, nous pouvons aller regarder dans des secteurs connexes, avec un fonctionnement en réseau - par exemple des DSI de groupes d'intérim ou de sociétés d'assurances », illustre Lionel Kalifa. « Certaines entreprises recrutent souvent des DSI en interne, venant d'autres fonctions ou d'autres régions. Mais elles cherchent tout de même des collaborateurs qui ont été exposés à la technologie et savent s'entourer », note de son côté Xavier Guzman. « Ces clients ont alors un comité de direction IT très technique, avec des architectes d'entreprise, des experts de la sécurité et du pilotage de projets, des spécialistes des opérations et de l'infrastructure, mais aussi des analystes métier et contrôleurs de gestion. » Le niveau de responsabilité du poste est également un déterminant important. « Pour gérer une équipe de 800 personnes dans les départements informatiques, il faut avoir connu des fonctions similaires dans un cadre moins étendu. Nous évaluons alors le degré d'expérience pratique, les expériences de transformation d'entreprise et la capacité à comprendre les articulations entre les différentes entités et les différents métiers », détaille Maxime Penaud.
Cette expérience en matière de transformation est sans doute le critère le plus récurrent pour les organisations qui recrutent aujourd'hui des dirigeants IT, comme le confirment nos différents interlocuteurs. « Les entreprises cherchent un DSI qui a bien traité le sujet de la transformation digitale et qui connaît bien leurs problématiques, qui peuvent être très différentes d'un secteur à l'autre, d'une organisation à l'autre », confie Caroline Apffel. « Pour le rôle de CDIO, les clients attendent des profils ancrés dans la fonction SI, crédibles dedans et dans tout ce qui est digital, mais elles cherchent également une compétence dans la transformation », la rejoint Ahmad Hassan. « Un bon manager peut se repositionner. Ce qui compte, c'est notamment l'expérience sur les questions de transformation. Les départements informatiques soutiennent la stratégie de l'entreprise et s'y intègrent », estime pour sa part Maxime Penaud.
Oser transformer
Trouver ces chefs d'orchestre de la transformation peut s'avérer délicat. « Certains secteurs connaissent des mouvements assez fréquents sur les postes de direction IT », note ainsi Xavier Guzman. « Il peut y avoir plusieurs raisons à cela. Parfois, il s'agit de DSI qui aiment avant tout la transformation. « Une fois qu'ils ont accompli leur mission dans une entreprise, ceux-ci se remettent en mouvement », observe-t-il. Dans d'autres cas, « il s'agit malheureusement de DSI pas assez modernes dans leurs pratiques ou leur capacité à transformer. Ceux qui n'osent pas challenger le statu quo peuvent en faire les frais », met-il en garde. « Les DSI aujourd'hui sont là pour transformer, ce qui implique de prendre des décisions courageuses. Quand un DSI arrive dans une organisation d'une certaine taille, il sait que cela va être délicat de mener la transformation, qu'il va forcément se heurter à des résistances, car le changement fait peur. Mais cet enjeu est le même pour sa direction générale : le DSI est un cadre dirigeant et à ce titre il doit pousser la transformation », poursuit Xavier Guzman. Pour cela, il faut bien entendu que le dirigeant IT ait le soutien de sa direction et de ses pairs côté RH, Finance, marketing... « Pour ces fonctions, nous demandons du discernement aux candidats, à eux de savoir s'ils sont miscibles dans la culture d'une organisation, de participer au comité de direction. C'est cette épaisseur que nous essayons d'évaluer », décrit Xavier Guzman. « Les entreprises préfèrent toujours des candidats venant du même secteur, mais notre rôle est aussi de proposer des candidats un peu à côté, et de convaincre », indique de son côté Lionel Kalifa. « En tant que consultants en recrutement, nous prenons le risque de nous mouiller, car il n'y a rien de pire que d'appliquer des modèles tout faits. » À titre d'exemple, il relate être intervenu après un recrutement raté. « L'entreprise avait pris un candidat venant de son concurrent, qui avait refait les mêmes choses alors que le contexte n'était pas le même. Quand une personne croit avoir une recette magique à appliquer partout, la probabilité d'échec est importante. »
Pour acquérir cette expérience, les aspirants à ces rôles ont tout intérêt à s'ouvrir à d'autres domaines que l'IT. Selon Lionel Kalifa, « les meilleurs candidats sur ces fonctions se sont révélés être des personnes curieuses, qui s'intéressent au métier, regardent ce qui se passe ailleurs, pour avoir une stratégie IT alignée sur celle de l'entreprise. Cette curiosité se voit dans les CV, en dehors des expériences professionnelles. Ce sont des candidats avec des activités annexes, une implication dans la cité. Un DSI/CDO qui s'implique dans une association, nous allons creuser, d'autant que cela donne aussi des indices sur sa capacité à tenir le stress. » Pour lui, cette ouverture vers la société devient d'ailleurs clef pour tous les dirigeants, car « la responsabilité des entreprises dépasse de plus en plus le simple cadre business, elles sont des acteurs de la société à part entière ».
Pour Caroline Apffel, « il ne s'agit plus de faire carrière de façon très linéaire, en commençant par l'infrastructure ou le code, mais d'avoir fait autre chose que l'IT. C'est très antinomique avec ce qu'on demandait à un DSI il y a seulement 5 ou 10 ans ». Cela suppose également une évolution dans la manière dont les organisations conçoivent et accompagnent les parcours de leurs talents IT. « Les grands groupes français ne savent pas faire évoluer leurs dirigeants SI. Rares sont ceux capables de dire, ce sont des dirigeants avant tout, ils peuvent accomplir les mêmes transformations dans le marketing ou la finance », regrette Caroline Apffel.
Une fonction toujours peu féminisée
Conséquence de cet état de fait ou signe de cette quête d'ouverture, le recrutement s'internationalise de plus en plus. « L'IT est un sujet clef pour la transformation, et les entreprises ont parfois le sentiment que les DSI anglo-saxons sont plus modernes, que parfois nos DSI sont un peu trop sur la réserve », constate Xavier Guzman. Il subsiste toutefois une limite, celle de la langue. « Peu d'organisations en France peuvent intégrer un DSI ne parlant pas français. C'est un vrai sujet, qui peut les pénaliser dans leur transition multiculturelle. Pour pallier ce frein, il arrive que les entreprises aillent chercher des Français travaillant à l'étranger », témoigne-t-il.
Si les dirigeants IT actuels ont des parcours professionnels plus variés, la fonction présente en revanche toujours une faible diversité. Le constat est récurrent, les femmes en particulier restent rares, surtout sur les postes de direction. « C'est une réalité, mais celle-ci ne se limite pas à l'IT. La fonction ne fait que refléter la composition des comités exécutifs », pointe Caroline Apffel. Celle-ci observe néanmoins une volonté d'avoir une représentation féminine dans les short-lists et salue le travail du Cigref sur le sujet, « qui fait le nécessaire pour adresser ces enjeux de manière proactive ». Xavier Guzman note lui aussi une évolution, avec l'arrivée d'une génération de jeunes femmes qui commencent dans les fonctions de management IT. Il constate toutefois que les femmes dirigeantes IT ont elles-mêmes du mal à faire émerger des jeunes femmes, plaidant pour des actions plus globales à l'échelle des entreprises. « Si l'on veut rééquilibrer les choses, il faut à un moment assumer de faire des choix. » De son côté, Lionel Kalifa estime qu'il faut aussi agir en amont, là où se joue l'orientation professionnelle. « Nous avons des clients qui cherchent à féminiser davantage leur Codir, à raison pour diversifier les points de vue. Toutefois le problème reste le même, dès le départ il y a assez peu d'étudiantes qui s'orientent vers les métiers IT. Le domaine n'attire pas encore suffisamment de femmes, c'est le serpent qui se mord la queue. »
Rappelant que la diversité ne se limite pas au genre et qu'elle englobe plus de sept critères différents, Caroline Apffel estime que les entreprises s'intéressent à ces enjeux pour de bonnes raisons. « La diversité est importante pour avoir une proximité entre le système d'information, les métiers et les clients », rappelle-t-elle. Elle met tout de fois en garde contre des perceptions parfois réductrices, évoquant en exemple des biais liés à l'âge. « Depuis quelques années, des clients me reparlent d'âge et de diplôme. La révolution numérique y est selon moi pour beaucoup. Dans l'inconscient collectif, le digital c'est la génération Y, plus jeune, alors qu'en réalité l'âge n'a rien à voir. Les dirigeants perçoivent le sujet par rapport à leur génération, pensant qu'il faut des digital natives pour comprendre les usages et les technologies sous-jacentes. Cette perception a fait du tort à de grands dirigeants SI », déplore-t-elle.
Article rédigé par

Aurélie Chandeze, Rédactrice en chef adjointe de CIO
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