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Développeurs : la fin d'un règne ?

Développeurs : la fin d'un règne ?
Il y a quelques années, les développeurs étaient les rois sur le marché de l’emploi. Ils ont aujourd’hui perdu leur couronne au profit des experts en IA. (Photo : Carlos N. Cuatzo Meza/Unsplash)

Si de nombreuses entreprises continuent d'embaucher des développeurs, la demande a chuté, les recruteurs cherchant désormais avant tout à attirer des experts en IA et en Machine Learning. Une tendance appelée à durer ?

PublicitéHier encore, les développeurs de logiciels étaient les superstars du marché de l'emploi. Mais cette époque remonte à cinq ou six ans et les développeurs ne sont désormais plus les reines et les rois dans le secteur des technologies de l'information. Des titres d'emploi tels qu'ingénieur data, ingénieur en Machine Learning ou gestionnaire de produits d'IA ont supplanté ceux plus classiques associés au développement traditionnel, alors que les entreprises s'empressent d'adopter l'IA.

Salesforce est un exemple de cette nouvelle réalité. En février, le PDG Marc Benioff a déclaré à l'émission Squawk Box de la chaîne américaine CNBC que 2025 serait la première année des 25 années d'histoire de l'entreprise où elle ne ferait pas croître son effectif d'ingénieurs logiciels.

Quelques mois auparavant, le site d'emploi Indeed avait noté que le nombre d'offres d'emploi pour les développeurs était, en juillet 2024, à son niveau le plus bas depuis près de quatre ans. De nombreuses entreprises embauchent encore des développeurs, mais pas au même rythme qu'il y a cinq ans.

Le revers de la médaille

Bien que l'engouement pour l'IA et les défis continus en matière de cybersécurité stimulent la demande d'experts dans ces domaines, celle concernant les développeurs semble s'être atténuée ou avoir atteint un plateau au cours des deux dernières années.

Le pic de la demande en développeurs entre début 2019 et début 2020 a été alimenté en partie par des cycles d'engouement technologiques, de nombreuses entreprises ayant attiré des programmeurs pour travailler sur des applications à l'appui des stratégies cloud, de la transformation digitale ou encore des applications IoT. Lorsque le Covid a frappé au début de 2020, la pandémie a créé une demande supplémentaire de programmeurs capables de soutenir les scénarios de travail à distance, les achats en ligne et les stratégies numériques visant à transformer les expériences des clients dans un monde en pleine mutation.

Au cours de ces années, de nombreuses entreprises ont embauché plus de programmeurs qu'elles n'en ont réellement besoin à long terme, explique Sarah Doughty, vice-présidente des opérations de recrutement au sein de la société spécialisée TalentLab. « Il y a eu quelques années où, si vous saviez coder et que vous n'étiez pas, faute d'un terme plus précis, un âne complet lors de l'entretien, vous receviez des offres, et vous receviez probablement une prime à la signature », dit-elle. Tout comme les dirigeants d'entreprise sont en train de sauter sur la nouvelle tendance, en embauchant des experts en IA, la même chose s'est produite avec les développeurs de logiciels en 2019 et 2020, résume Sarah Doughty.

« Si tous mes concurrents se précipitent pour embaucher, même si je n'ai pas une bonne justification métier ou commerciale, je me sens mal à l'aise [à ne pas réagir], en étant potentiellement distancé, reprend la spécialiste en recrutement. En fin de compte, les cadres sont des êtres humains comme nous tous. Ils éprouvent le même sentiment que nous lorsque nos amis sortent un samedi soir sans nous. »

PublicitéL'IA n'est pas une solution de remplacement

Sarah Doughty réfute les suggestions de certains observateurs selon lesquelles le Low-Code/No-Code et les assistants de programmation à base d'IA ont eu un impact majeur sur le marché de l'emploi des développeurs. « Les services Low-Code/No-Code existent depuis une dizaine d'années, note-t-elle, et pourtant la demande de développeurs a explosé après leur introduction. Ces services ont créé une nouvelle classe de développeurs, les citizen développeurs, mais des programmeurs qualifiés étaient toujours nécessaires pour les projets les plus complexes. »

Par ailleurs, si certains experts du secteur pensent que les assistants à base d'IA remplaceront les développeurs juniors, Sarah Doughty n'est pas convaincue, notant qu'un tel phénomène ne semble pas encore se produire à grande échelle. « Je pense que nous finirons par nous rendre compte que l'IA est un outil formidable, mais qu'elle ne peut pas remplacer les autres, explique-t-elle. Toutes les initiatives où des entreprises ont essayé de remplacer entièrement des emplois humains par l'IA se sont soldées par de véritables désastres. Un accompagnement approfondi est nécessaire. »

Un facteur qui affecte la demande en développeurs réside dans la baisse du nombre d'applications mobiles créées, selon Elin Thomasian, vice-présidente senior pour la stratégie et le conseil en matière de RH chez TalentNeuron, une société spécialisée dans l'analyse du marché de l'emploi. « Le ralentissement des recrutements de développeurs d'applications mobiles reflète un manque de demande sur le marché - la plupart des grandes entreprises ont déjà construit leurs apps et l'accent est désormais mis sur les améliorations basées sur l'IA plutôt que sur de nouvelles applications autonomes », explique-t-elle.

Ralentie, mais pas arrêtée

Ce ralentissement des embauches de développeurs ne signifie pas que ce marché est à l'arrêt, nuance toutefois Elin Thomasian. La demande pour ces profils augmente simplement à un rythme plus lent que les autres fonctions IT. Entre 2023 et 2024, la demande en développeurs de logiciels a en fait augmenté de 22 %, selon les données de TalentNeuron. Plusieurs grandes entreprises, dont Amazon, Google, Oracle et Capital One, ont embauché de manière agressive à cette époque.

Surtout, la croissance sur ce segment a été éclipsée par les besoins en ingénieurs AI et machine learning, des profils pour lesquels la demande a augmenté de 148 % au cours de la même période. De nombreuses entreprises recrutent également des experts en infrastructure et en ingénierie spécialisée, souligne Elin Thomasian.

Si le développement traditionnel de logiciels reste essentiel, les organisations recherchent des candidats qui ont les compétences nécessaires pour gérer les workflows de l'IA, les firmwares des serveurs et les infrastructures cloud, dit-elle. « Les entreprises s'éloignent du rôle classique de développeur de logiciels tel qu'il a été défini historiquement et réfléchissent de manière plus stratégique aux capacités dont elles ont réellement besoin », ajoute-t-elle.

Une évolution du profil des développeurs

D'autres experts en informatique considèrent que la croissance de l'IA est moins une menace pour les développeurs qu'une incitation à repenser leur rôle au sein des organisations. L'IA effectuant le travail de programmation de base, les développeurs devront faire preuve de créativité pour concevoir des logiciels alignés sur les besoins de l'entreprise, vérifier le code et s'assurer que les applications construites par l'IA peuvent évoluer, explique Sabrina Farmer, directrice technique de GitLab, fournisseur d'une plateforme DevSecOps basée sur l'IA.

« Bien que l'IA soit un outil puissant pour stimuler la productivité et aider à écrire du code, elle ne remplacera pas le besoin d'ingénieurs logiciels qualifiés - elle fera simplement évoluer la demande, estime-t-elle. Le métier évoluera comme la plupart des métiers ont évolué. » Au cours des dix dernières années, GitLab n'a jamais été en mesure d'embaucher autant de développeurs que la société l'aurait souhaité, souligne la CTO.

Prashanth Ram, directeur technique de la société de formation et de placement d'ingénieurs Smoothstack, estime aussi que l'IA n'éliminera pas les besoins en développeurs. Les assistants de codage augmentent les niveaux de productivité, mais ne remplacent pas les spécialistes, dit-il. Prashanth Ram constate une forte demande pour les développeurs ayant des connaissances spécifiques dans des domaines tels que la santé, la finance et des spécialités IT comme l'IA, la sécurité et l'architecture cloud.

« Ce que nous voyons, ce n'est pas un plateau dans la demande, mais plutôt une évolution dans ce qui fait la valeur d'un développeur, analyse-t-il. Les développeurs qui réussissent le mieux aujourd'hui combinent les capacités techniques avec la compréhension des métiers et mécanismes économiques, les compétences en communication et l'adaptabilité à l'évolution des technologies. »

Vers un rebond de la demande ?

Par ailleurs, la faiblesse des embauches de développeurs ne devrait pas durer, selon certains experts en recrutement. Même si l'IA automatise les tâches de codage répétitives, les développeurs qui se spécialisent dans l'optimisation au niveau du système, l'infrastructure pilotée par l'IA et la sécurité seront « indispensables », selon Elin Thomasian de TalentNeuron.

« Les développeurs feront évoluer leurs compétences pour répondre aux besoins du marché, en se concentrant sur les domaines où l'IA est un partenaire dans les workflows plutôt qu'un outil de remplacement pur et simple, ajoute-t-elle. L'avenir du développement logiciel ne consiste pas à supprimer des emplois, mais à déplacer l'expertise là où elle crée l'avantage le plus stratégique, en faisant correspondre les compétences humaines et celles de l'IA. »

Sarah Doughty, de TalentLab, voit le marché des développeurs rebondir à mesure que les entreprises atteignent les limites de ce que l'IA peut leur offrir. « L'IA augmentera sans aucun doute les fonctions de développement actuelles, mais ne les remplacera pas, dit-elle. Une fois que les dirigeants l'auront accepté, je pense que nous commencerons à voir se dessiner une tendance à la reprise des embauches de développeurs. Mais en intégrant le fait qu'ils doivent exploiter les outils d'IA pour améliorer leur productivité et produire des résultats à un rythme plus soutenu. »

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