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Deutsche Bahn : décentraliser l'IT sans dérailler

Deutsche Bahn : décentraliser l'IT sans dérailler
Le défi de la DSI groupe du premier opérateur ferroviaire de l'UE ? Proposer un cadre commun attractif à des entités ayant leurs propres aspirations en matière de conception de produits numériques. (Photo : Deutsche Bahn AG / Dominic Dupont)

Bernd Rattey, patron de l'informatique du puissant opérateur ferroviaire allemand, veut s'affranchir des processus de gouvernance lourds et de la pensée en silos. Pour ce faire, il s'appuie sur une double direction, des projets orientés métiers et moins de spécifications décidées en central.

PublicitéBernd Rattey est CIO et CDO (Chief Digital Officer) de la Deutsche Bahn (DB) depuis 2021, après avoir été responsable de l'informatique de sa filiale DB Fernverkehr AG pendant cinq ans. C'est au cours de cette période qu'il a appris à appréhender les chemins de fer d'un autre point de vue. À ses yeux, l'ensemble du groupe DB, première entreprise ferroviaire de l'UE (près de 300 000 employés dont environ 200 000 en Allemagne), fonctionne comme un système fédéral, composé de business units ayant leurs propres aspirations en matière de conception de produits numériques.

« On estime que 15 000 à 20 000 personnes travaillant à la Deutsche Bahn consacrent tout ou partie de leur activité aux questions numériques », explique le DSI. Cela comprend, par exemple, le développement de logiciels et la production IT au sein des différentes DSI. Mais il y a aussi des employés dans les entités métiers qui réfléchissent à l'aspect processus et aux produits qui devraient être proposés sous forme numérique. « L'informatique métiers, souvent appelée Shadow IT, continue de se développer pour répondre à ces attentes », ajoute Bernd Rattey.

« En devenant DSI groupe, je n'ai pas changé d'avis »

« La solution organisationnelle de la Deutsche Bahn ne peut pas consister à centraliser tous les projets numériques », reprend le DSI, qui pilote l'IT centrale. Comme les processus opérationnels sont étroitement liés aux technologies de l'information, l'efficacité des solutions numériques laissées à la main des métiers est plus élevée.


Bernd Rattey, le CIO et Chief Digital Officer de la Deutsche Bahn (DB) depuis 2021. (Photo : DB)

Dans le passé, le service informatique du groupe définissait des lignes directrices et des instructions pour indiquer aux différentes business units ce qu'elles devaient faire. Un modus operandi qu'a voulu changer Bernd Rattey. « Pendant mon séjour à DB Fernverkehr, j'ai constaté que ce n'était pas toujours efficace. Et j'ai conservé ce point de vue en intégrant mes nouvelles fonctions. Les DSI au sein des métiers sont responsables de l'IT dans leur domaine, et le groupe fournit le cadre ». Avec cette nouvelle orientation, l'informatique groupe ne s'appliquera à l'avenir qu'aux sujets qui fonctionnent mieux quand ils sont mutualisés sur l'ensemble des départements, par opposition aux projets dédiés à telle ou telle activité.

Grâce au système fédéral, la DB a créé de nombreux îlots informatiques décentralisés, tels que différents systèmes de planification du personnel spécialisés par entités métiers. « Sur ce sujet, je ne pense pas que nous passerons à une solution centralisée parce que les modèles d'entreprise, les exigences et les cultures sont trop différents », détaille le DSI. En revanche, il souhaite créer, entre autres, des plateformes techniques communes. Une approche déjà adoptée sur les datalakes il y a quelques années que le groupe souhaite désormais étendre aux applications IoT et IA.

PublicitéLa stratégie ferroviaire est une stratégie informatique

« Je n'ai pas une stratégie informatique classique », dit Bernd Rattey. Mais cela ne veut pas dire que les informaticiens de la DB travaillent comme bon leur semble. La stratégie "strong rail", qui dépasse les limites de l'opérateur pour s'étendre à l'ensemble du secteur ferroviaire allemand, est déterminante pour les objectifs IT de l'entreprise. "Strong rail" entend rendre les moyens de transport en commun plus attrayants et transférer le trafic de la route vers le rail. Il s'agit, par exemple, d'étendre les itinéraires, de transporter davantage de marchandises par voie ferrée ou de synchroniser plus étroitement le trafic longue distance entre grandes villes. « Rien de tout cela ne peut être mis en oeuvre sans les technologies de l'information, qui jouent donc un rôle important dans la réalisation de l'objectif global, explique le DSI. C'est pourquoi notre stratégie informatique est exactement alignée sur cela ». C'est donc la stratégie ferroviaire au sens large qui définit les tâches et le portefeuille de l'ensemble de l'informatique de la DB. « Pour moi, le portefeuille de projets IT pour les prochaines années et l'architecture informatique ont pris la place qu'occupait auparavant la stratégie informatique », dit le DSI.

La cinquième ressource

Selon Bernd Rattey, au sein des entreprises de transport ferroviaire (ou EVU pour Eisenbahnverkehrsunternehmen), qu'il s'agisse du trafic régional, du trafic de marchandises ou du trafic longue distance, quatre ressources doivent être contrôlées : les trains, les itinéraires empruntés, le personnel à bord des trains et les travaux d'entretien. « Une EVU doit concevoir et contrôler l'ensemble de ce cycle de production », explique-t-il. Avec l'informatique, une cinquième ressource est venue s'ajouter, car le cycle ne fonctionne plus sans elle. Pour le DSI, l'informatique ne se résume pas à des tâches administratives classiques. Il s'agit plutôt d'un élément du système de production qui garantit la circulation des trains.

Au sein du système informatique, les différentes entités métiers peuvent désormais concevoir elles-mêmes certains aspects. « Ce n'est pas à moi, en tant que DSI groupe, de leur donner tous les détails, précise Bernd Rattey. Cependant, il y a des questions que nous ne pouvons traiter que de manière transversale ». Par exemple, la filiale DB Netz est responsable de l'infrastructure ferroviaire. Mais, étant donné que de nombreux processus d'exploitation concernent plusieurs entreprises, l'informatique doit fonctionner sur des bases communes. « C'est donc à nous qu'il incombe d'amener ces éléments au niveau du groupe », explique le DSI. « De cette manière, nous nous assurons que ces processus de réseau fonctionnent pour l'ensemble de l'entreprise ». Pour faciliter le fonctionnement de ces processus, l'IT des chemins de fer utilise un vaste système SAP R/3 pour la maintenance, contrôlant l'ensemble de la chaîne, y compris la logistique pour l'approvisionnement en pièces détachées. « Sur ce terrain, nous ne pouvons dégager des bénéfices qu'en considérant la situation dans sa globalité », explique Bernd Rattey.

Le défi de la ponctualité

La ponctualité est un autre exemple générant un besoin de technologie couvrant un périmètre plus vaste que celui d'une seule entité métier. « Les travaux sur les voies en sont un des principaux paramètres », souligne Bernd Rattey. Les chantiers eux-mêmes sont contrôlés par DB Netz, mais le passager en ressent les effets au travers de sociétés de transport telles que DB Regio, les transports longue distance ou un EVU externe. « Afin d'éviter les retards, les données doivent circuler de façon exhaustive », tranche le DSI.


La stratégie "strong rail", qui vise à rendre le rail plus attractif, s'étend à l'ensemble du secteur ferroviaire allemand et dicte largement l'agenda de l'informatique de la Deutsche Bahn. (Photo : Deutsche Bahn AG / Volker Emersleben)

Créer un plan de déploiement des transports prend des semaines, et si un chantier est annoncé avec un délai trop court, les processus s'enrayent. Un calendrier de remplacement doit être établi, ce qui augmente le risque de retards. C'est pourquoi la DB mesure la ponctualité à différents endroits. Les points de mesure sont, par exemple, l'arrivée sur le quai, le départ de l'atelier ou le temps de trajet. Et ces données concernent plusieurs domaines d'activité.

L'équipe de Bernd Rattey a donc développé un système intelligent d'échange de données : le Consortium Event Broker. Toutes les personnes concernées peuvent accéder aux informations via des appareils mobiles et voir ce qu'elles peuvent faire pour influencer le processus global. De son côté, la direction utilise ces mêmes données pour identifier les faiblesses structurelles. Il peut s'agir, par exemple, d'un nombre insuffisant de voies ou d'un horaire défavorable.

Quatre leviers pour une informatique plus efficace

« Il y a quelques années, la direction de l'IT du rail a mis en place une gouvernance organisationnelle qui tentait de décrire le fonctionnement attendu à l'aide d'instructions et de lignes directrices », décrit Bernd Rattey. « Mais si celles-ci étaient trop détaillées et trop nombreuses, tout le monde ne s'y tenait pas ». Pour remédier à ce travers, le DSI utilise désormais quatre leviers. Le premier est l'alignement total sur la stratégie d'entreprise, décrite plus haut.

Le deuxième levier est la gouvernance, que le DSI a choisi d'alléger. « Nous nous appuyons sur quelques règles que nous respectons ensemble et que nous appliquons de manière cohérente », dit-il. Une voie dont la pertinence s'est pleinement révélée lorsque la vulnérabilité de la bibliothèque Open Source Log4j a été découverte en décembre 2021. « Comme une seule faille pouvait mettre en péril l'ensemble du consortium ferroviaire, j'ai dû m'assurer que toutes les unités opérationnelles agissaient rapidement », explique Bernd Rattey, qui se souvient avoir ordonné une déconnexion de tous les systèmes reliés à Internet s'ils n'étaient pas corrigés sous 48 heures. « Nous avons géré cela de manière très professionnelle avec les DSI et les RSSI des différentes activités, et il n'y a pas eu d'objection de la part du conseil d'administration du groupe », ajoute-t-il. « Tout le monde a accepté ce mode de fonctionnement. J'en suis un peu fier. »

Le troisième levier réside dans la conception et la mise en oeuvre, avec une informatique qui doit évoluer au rythme de l'entreprise, par exemple via des initiatives comme le Consortium Event Broker ou l'AI Factory. Pour Bernd Rattey, sur ce volet, le plus gros problème a résidé dans le passage à SAP S4/HANA. « Au début, le projet était vu comme avant tout technique, mais pour moi, il s'agissait clairement d'une transformation de l'entreprise », explique-t-il. Il ne s'agissait pas seulement d'une montée de version, mais bien de transformer les processus et d'en concevoir de nouveaux à l'échelle du groupe.

La DSI s'est attaquée à ce projet en trois blocs : le premier comprenait les finances, les achats et le contrôle de gestion ; le deuxième concernait la maintenance du matériel ; et le troisième visait la gestion des systèmes techniques, tels que les aiguillages et postes d'aiguillage. Pour modifier ces processus, la DB doit analyser tous les domaines d'activité où une standardisation est possible et l'adaptation de ces modes de fonctionnement à un produit SAP.

Direction de projet bicéphale

C'est pourquoi les projets de ce type ont toujours une double direction à la DB. D'une part, une personne ayant une formation IT est chargée de la gestion technique du projet. D'autre part, un employé qui parle le langage du ou des métiers est responsable de la gestion du projet fonctionnel. « Il s'agit de créer quelque chose ensemble au lieu de travailler l'un contre l'autre », explique Bernd Rattey. Soit le processus doit être adapté au système IT, soit l'inverse. « Il faut toujours prendre en compte les deux aspects et s'efforcer de trouver la meilleure solution. C'est ce que nous voulons refléter avec cette double direction de projet ».

Afin de financer des projets globaux, le responsable informatique a également modifié la répartition des fonds. « L'année dernière, lors des premières étapes de la planification budgétaire, le conseil d'administration a décidé de réserver une somme d'argent en central plutôt que d'allouer les ressources de manière descendante par division », explique Bernd Rattey. Un processus d'appel d'offres a donc été mis en place en interne pour cette réserve de plusieurs millions, et chaque entité peut désormais présenter des projets contribuant à améliorer la ponctualité du système ferroviaire. Les propositions les plus prometteuses rejoignent le portefeuille de projets du groupe.

Enfin, le quatrième levier concerne les services IT. Il s'agit, par exemple, de la bureautique (sous Microsoft 365) ou du centre de cyberdéfense. « Nous pouvons fournir ces services de manière plus professionnelle de manière centralisée, souligne Bernd Rattey. En outre, la mutualisation s'avère plus efficace en termes de coûts et de ressources nécessaires. »

En finir avec le département fixant d'innombrables directives

Selon lui, les métiers ne sont toutefois pas obligés d'utiliser ces services, à l'exception de la cybersécurité et des solutions développées pour le consortium. Et cette liberté favorise l'acceptation. « Il est de ma responsabilité d'offrir quelque chose que les divisions sont heureuses d'utiliser, plutôt que d'imposer. Nous voulons que les différentes entités s'adressent au service informatique du groupe parce qu'elles pensent que nous pouvons leur apporter quelque chose qu'elles ne parviendraient pas à obtenir avec leurs propres capacités ». Cet objectif a été atteint, entre autres, grâce à une gouvernance allégée. Selon Bernd Rattey, l'informatique n'est plus vue comme un obstacle, comme un département fixant d'innombrables directives. Au contraire, elle est perçue comme un facilitateur des projets. En outre, le processus de présentation des budgets informatiques contribue à instaurer un climat de confiance avec les entités métiers.

Bernd Rattey souhaite également modifier les processus au sein des comités de direction de la DSI et de la direction du digital. Il organise les membres de ces instances en fonction de domaines tels que l'architecture, le portefeuille de projets ou la sécurité, et chaque bloc est doté d'une double direction composée d'un DSI issu du métier et d'un membre de l'équipe de la DSI centrale. « J'attends de ce duo qu'il agisse comme une équipe afin que l'informatique centrale et le métier travaillent ensemble au lieu de se renvoyer les responsabilités », explique le DSI.

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