Management

Décideurs IT afro-américains : la difficile route vers le sommet

Décideurs IT afro-américains : la difficile route vers le sommet
Sharon Kennedy Vickers, CIO de Saint-Paul (Minnesota) : « avoir des salariés issus de la diversité est aussi un impératif économique ».

Pour les professionnels IT noirs, la voie vers les postes de direction reste entravée par un racisme systémique et de trop rares soutiens. CIO.com a recueilli l'expérience de plusieurs décideurs IT noirs, qui partagent leurs conseils pour faire changer les choses.

PublicitéEn tant qu'élève noir de la Frederick Douglass High School, une école située dans l'un des quartiers les plus pauvres d'Atlanta, Richard Cox s'est lancé dans une trajectoire mûrement réfléchie pour quitter les confins du centre-ville. Il a travaillé dur pour exceller à l'école, a tout misé sur le football américain de haut niveau, a gagné une bourse pour une université bien classée, suivie par un MBA.

Pourtant, malgré ce plan solide, Richard Cox a rencontré au départ des difficultés dans sa progression professionnelle. Après 17 refus pour des postes exigeant un niveau minimum équivalent au baccalauréat, frustré, il n'était pas loin de renoncer au monde de l'entreprise et de se tourner vers l'enseignement. À ce moment-là, l'intervention d'un seul manager a permis d'obtenir les introductions nécessaires pour obtenir un premier poste d'analyste client, pour ensuite déboucher sur une carrière de plusieurs décennies dans la gestion à haut niveau de l'expérience client et des opérations, incluant son rôle actuel de DSI du groupe de médias Cox Enterprises. « Il a vu quelque chose en moi en tant que personne, sans me réduire au fait d'être noir », explique Richard Cox. « Une fois qu'on m'a offert cette opportunité basée sur le mérite, j'ai progressé assez vite. J'étais bloqué et j'ai eu de la chance. En parvenant à convaincre les gens, j'ai eu la possibilité de changer ma vie. »

Comme beaucoup de professionnels IT de couleur, la carrière de Richard Cox a été bloquée à de multiples intervalles, en raison du racisme systémique ou de biais inconscients dans un secteur dominé depuis longtemps par des hommes blancs. La plupart des décideurs IT noirs peuvent témoigner de rejets de leur candidature sur des postes pour lesquels ils étaient surqualifiés, de mises à l'écart pendant des réunions ou de cas où ils ont été pris pour les subordonnés de leurs collègues blancs, alors même qu'ils étaient managers ou directeurs de projets. Même aujourd'hui, en plein milieu d'événements qui ont amplifié le débat national sur cette injustice raciale persistante, les décideurs IT noirs constatent que le secteur technologique se heurte toujours à ce problème de diversité, qui montre peu de signes d'amélioration.

Selon le bureau de recensement des USA, en moyenne 7,3% des emplois informatiques sont occupés par des noirs, 6% par des hispaniques et 25% par des femmes, dont 10% sont des femmes de couleur. Au niveau exécutif, la diversité est encore moindre. La commission des États-Unis pour l'égalité des chances professionnelles (Equal Employment Opportunity) a constaté que les professionnels noirs ne représentent que 3,3% de tous les postes de direction ou d'encadrement de haut niveau, et seulement 3% des PDG.

Maintenir plein le réservoir de candidats issus de la diversité qui se destinent aux carrières technologiques reste un problème dès le lycée, dans les universités et tout au long des différentes phases de la vie professionnelle. Même les décideurs IT noirs disent que la diversité dans l'IT n'a pas progressé comme elle aurait dû, et qu'il ne s'agit pas seulement d'un manque d'investissement dans l'enseignement scientifique ou d'une attention insuffisante accordée à la formation des futurs professionnels. Ils pointent plutôt le racisme systémique et des normes culturelles persistantes qui découragent les personnes de couleur à poursuivre toute leur carrière dans ce secteur.

PublicitéPar exemple, une étude publiée par le Center for Talent Innovation (CTI), une organisation à but non lucratif, montre que les professionnels noirs ont plus de risques de souffrir de préjudices et de micro-agressions (58% contre 15% pour les professionnels blancs), bien davantage que tous les autres groupes ethniques ou raciaux. Les professionnels noirs ont aussi moins de chances que leurs collègues blancs d'avoir accès aux leaders seniors et d'obtenir le soutien de leurs managers, selon ce rapport. 65% des professionnels noirs estiment qu'ils doivent travailler plus dur pour se démarquer.

« Si vous regardez les chiffres de la diversité, vous ne pouvez que constater que cela ne s'améliore pas et même que cela empire, car nous savons qu'il y a un problème, mais il n'y a pas eu de réelle volonté de faire changer les choses », déplore Sharon Kennedy Vickers, DSI en charge du service technologie et communications pour la ville de Saint-Paul (Minnesota). Le plus gros obstacle à la diversification selon elle est le fait couramment admis qu'il s'agit d'un secteur destiné aux hommes blancs. « Les salariés noirs arrivent dans des espaces peu accueillants, ils ne sont pas pris au sérieux et n'obtiennent pas de projets, et ils subissent un plus haut niveau de contrôle de leur travail, ce qui les pousse à partir », explique-t-elle. « En tant que femme noire dans ce milieu, je souhaite voir une véritable action sur ce sujet - je veux que les entreprises comprennent qu'avoir des salariés issus de la diversité n'est pas seulement un impératif moral, mais aussi un impératif sur le plan économique. »

Un choc culturel, et plus encore

Sharon Kennedy Vickers, a démarré dans la technologie en 1997, en tant que mère célibataire qui cherchait une trajectoire de carrière attractive et qui lui permettrait aussi d'aider les autres. Elle a bénéficié d'une certaine mobilité à ses débuts dans l'IT, puis s'est heurtée à un mur. Elle a vécu des réunions avec des partenaires métiers qui adressaient toutes les questions à ses collègues blancs et lui suggéraient de prendre des notes. Sharon Kennedy Vickers a un temps songé à quitter la Tech où elle ne voyait pas de possibilité d'aller vers le management, puis a changé d'avis après avoir consulté un mentor la suivant depuis longtemps.

Selon Sharon Kennedy Vickers et d'autres leaders IT noirs, ce qui freine souvent les personnes de couleur est qu'elles ne trouvent personne à qui elles peuvent s'identifier dans le haut management, susceptible d'avoir vécu les mêmes expériences. Sans leaders apparents pour créer l'émulation, les nouveaux professionnels IT noirs peinent à naviguer dans la culture d'entreprise et à se forger les connexions requises.

Le cas d'Ed Sewell, un entrepreneur noir qui est actuellement PDG de Velocity AI, une startup dans l'intelligence artificielle, illustre cet enjeu. Ed Sewell a très tôt été identifié comme un haut potentiel avec une aptitude pour les sciences, paré pour une éducation dans les universités de l'Ivy League. Puis on père est tombé malade, ce qui l'a contraint à abandonner ses projets universitaires et à prendre un emploi temporaire dans le centre de tri du courrier d'une grande entreprise de conseil afin de soutenir sa famille. Alors que l'engagement et le travail accompli par Ed Sewell lui avaient permis d'atteindre le radar d'un responsable en vue d'une promotion, son absence de diplôme universitaire a mis une barrière immédiate à son avancement. « Tout est une question d'accès et de culture », souligne-t-il. « En tant qu'afro-américain, vous n'avez typiquement pas accès aux réseaux, qu'il s'agisse de l'université ou de vivre dans des quartiers plus privilégiés. Si vous n'allez pas à l'école ou n'interagissez pas avec vos confrères avant d'être sur votre lieu de travail, il en résulte un manque de compréhension réciproque. » Ed Sewell, qui admet que son parcours fait partie des plus difficiles, a surmonté cet obstacle, en se faisant recruter par le cabinet EY pour devenir finalement un partenaire dans sa spécialité sans avoir au préalable obtenu un diplôme officiel.

Faute d'accès et d'opportunités, les professionnels IT noirs se sentent ignorés et luttent pour se faire entendre. Bennetta Raby, ancienne responsable IT devenue aujourd'hui consultante et coach spécialisée dans la transformation, raconte que son profil hybride entre le métier et la technologie lui a permis de sortir du lot, mais que les carrières étaient loin d'être aussi bien tracées pour un petit groupe de pairs noirs dans l'IT. Elle se souvient avoir été fière d'être récompensée pour son rôle de transformation grâce à sa capacité à réunir les gens, pour ensuite en questionner l'utilité quand ses collègues de couleur se sont demandé pourquoi ils devaient passer par elle pour présenter leurs idées innovantes au top management. « J'ai commencé à prendre conscience que l'un des principaux freins pour quiconque, en particulier les professionnels IT noirs, est d'avoir l'impression qu'ils n'entreront jamais dans le cercle où ils peuvent partager leurs perspectives », se souvient Bennetta Raby. « Ils ne voient pas beaucoup de gens qui les représentent et quand c'est le cas, il y a un espoir que cela ouvrira la porte pour leurs idées et perspectives. Mais en réalité, c'est bien loin d'advenir. »

Être la seule personne à porter tout le poids de la culture noire dans sa totalité peut aussi devenir rapidement usant, observe Aaron Saunders, PDG de Clearly Innovative, une société de développement web et mobile qui se consacre au recrutement et à la formation de personnes de couleur venant de parcours non traditionnels. Aaron Saunders raconte qu'il a vu très peu, voire aucune personne noire quand il a commencé la programmation dans l'Amérique des entreprises, et qu'il s'est toujours senti comme un étranger quand il assistait aux conférences dans la Silicon Valley. Ce manque de représentation ne pousse pas les nouvelles générations de professionnels IT noirs à quitter le filet de sécurité de leurs systèmes de soutien et de leurs communautés simplement pour rester dans la Tech. « Cela rend la transition difficile », relève-t-il. « Et si peu d'entre nous se lancent, il est d'autant plus dur d'en inciter d'autres à venir et d'aller les chercher. »

Des mentors, des sponsors et des groupes de soutien

Dans les faits, des mentors et des sponsors au niveau exécutif ont souvent contribué au succès de nombreux leaders IT noirs, en leur offrant un accès aux réseaux et en leur ouvrant des portes vers de nouvelles opportunités. H. James Dallas, l'un des premiers DSI noirs, ayant occupé ce poste à la fois chez Georgia-Pacific et Medtronic, reconnaît le rôle du sponsorship à des étapes clefs de sa carrière, véritable ticket d'avancement dans ce qui était souvent un climat d'entreprise inhospitalier. Alors que les gens choisissent souvent leurs mentors eux-mêmes, H. James Dallas souligne qu'un sponsor doit vous choisir. En conséquence, il conseille aux nouvelles générations de gagner l'attention en travaillant dur, en prenant des risques et en se proposant pour des projets ardus et potentiellement moins convoités.

H. James Dallas a appris tôt cette leçon quand un nouveau directeur IT, après avoir convaincu Georgia-Pacific de migrer vers une architecture client-serveur de pointe, lui a demandé de prendre la responsabilité moins glamour du support d'une application mainframe de transport. H. James Dallas, déterminé à transformer les citrons en limonade, a fait tout son possible pour s'imprégner du système et du secteur des transports, et a travaillé étroitement avec ses homologues côté métier pour faire de cet effort un succès. Quand un leader métier l'a repoussé avec une remarque raciste, le sponsor de H. James Dallas ne l'a pas seulement soutenu, mais il lui a préparé le chemin vers son prochain poste. « Cet incident m'a été profitable », se souvient H. James Dallas. « Il a rendu mon responsable conscient de mon environnement, m'a mis sur le radar et a résolu d'autres enjeux. »


H. James Dallas, ancien CIO de Georgia-Pacific et Medtronic, souligne le rôle joué par le parrainage dans sa carrière.

En comparaison avec les débuts de carrière de H. James Dallas, il existe aujourd'hui bien plus de ressources et d'organisations pour aider les professionnels IT noirs à se familiariser avec la culture d'entreprise et à apprendre ce dont ils ont besoin pour devenir visibles auprès de sponsors internes et externes. L'ITSMF (Information Technology Senior Management Forum) est l'une de ces organisations qui se consacrent à augmenter la représentation des professionnels noirs dans le secteur technologique à travers une variété de programmes, incluant des symposiums officiels et des académies de formation et de management spécialisées, comme l'une ciblant les professionnels au niveau directeur ou au-dessus, ou une autre destinée aux femmes de couleur. Cette organisation a formé 600 professionnels, dont les trois quarts ont obtenu une promotion ou des responsabilités supplémentaires dans les 18 mois suivants, selon Viola Maxwell-Thompson, présidente et PDG de l'ITSMF.

Viola Maxwell-Thompson indique que les professionnels IT noirs rencontrent des enjeux culturels qui vont à l'encontre de la progression dans la hiérarchie. Elle remarque que les personnes noires apprennent très jeunes à rester discrètes et à accomplir leur travail sans faire de vagues, évitant de commettre des erreurs au risque de perdre leur poste. « Nous gardons le silence, aussi on suppose que nous n'avons pas la réponse ou que nous ne pouvons pas contribuer à ce que l'entreprise essaye d'accomplir », pointe-t-elle. Les professionnels noirs partent aussi du principe que si vous travaillez dur, vous serez reconnu, mais cette stratégie n'est pas très efficace pour des postes de niveau senior. « La performance est importante, mais l'image et l'exposition comptent bien davantage », explique-t-elle. « Si vous n'avez pas de sponsor avec vous, cela devient d'autant plus dur et la route est plus longue. »

C'est avec cette idée en tête que Richard Cox suggère aux professionnels IT noirs d'agir en permanence de façon intentionnelle, qu'il s'agisse de faire de votre mieux dans leur travail ou de chercher des mentors, pour avoir le contrôle sur ce qui peut être contrôlé. Pour encourager davantage la diversité au sein du conglomérat, Richard Cox suit cette même ligne directrice quand il met en place des partenariats pour aider à bâtir un réservoir de talents dans des endroits trop peu considérés, quand il établit des alliances avec des organisations comme l'ITSMF pour aider les salariés de couleur à se développer ou quand il crée des indicateurs pour responsabiliser l'organisation. « Nous devons agir de façon plus volontaire maintenant, pour être sûrs de faire bouger l'aiguillon », affirme-t-il. « Les personnes noires ont protesté et demandé pendant des années, mais il faudra un effort collectif pour faire changer les enjeux systémiques. »

Alors que vous gravissez les échelons, il est également important de porter la voix des futures générations. Ron Guerrier, DSI et secrétaire en charge de l'innovation et de la technologie pour l'état de l'Illinois, a pris cet enjeu à coeur tout comme la plupart de ses pairs noirs dans l'IT. Ed Sewell travaille à aider les entrepreneurs noirs dans l'IT à lever des fonds auprès de la communauté des capital-risqueurs, H. James Dallas anime régulièrement des conférences et participe à des actions de parrainage et de mentoring, tandis que Ron Guerrier fait son possible pour promouvoir les formations scientifiques, en participant notamment à un Tech talk mensuel avec le secrétariat général, dans lequel il parle avec des enseignants, des parents et des étudiants dans tout l'état pour aider les personnes de couleur à comprendre les opportunités dans la technologie. Ron Guerrier encourage également les entreprises à apporter un soutien significatif aux groupes de ressources et aux programmes de mentoring qui accompagnent les personnes issues de la diversité, à la fois sur le plan budgétaire et au sein de l'équipe dirigeante. « Quand vous progressez dans l'organisation, vous devez trouver une façon d'être la voix de ceux qui viendront après vous », lance-t-il. « Plus vous embarquez les gens avec vous, plus ils feront de même. Nous devons tous nous assurer que nous faisons avancer la société du mieux que nous pouvons. »

Article de Beth Stackpole / CIO États-Unis (Adaptation et traduction par Aurélie Chandèze)

Partager cet article

Commentaire

Avatar
Envoyer
Ecrire un commentaire...

INFORMATION

Vous devez être connecté à votre compte CIO pour poster un commentaire.

Cliquez ici pour vous connecter
Pas encore inscrit ? s'inscrire

    Publicité

    Abonnez-vous à la newsletter CIO

    Recevez notre newsletter tous les lundis et jeudis