Tribunes

Covid-19 et force majeure : un point de situation

Covid-19 et force majeure : un point de situation
Etienne Papin est avocat associé du cabinet Feral-Schuhl / Sainte-Marie

L'avocat Etienne Papin se penche sur la force majeure, de sa définition à ses conséquences, dans le cas précis de l'épidémie de Covid-19.

PublicitéLa France, l'Europe et le monde entier vivent actuellement une situation inédite. Pour tenter d'endiguer la propagation du virus covid-19 les autorités prennent des mesures interdisant déplacements et rassemblements voire même l'exercice de certaines activités économiques. Il y a encore quelques jours, peu de personnes anticipaient la nécessité de mettre en place des restrictions aussi drastiques.

Les conséquences de ces mesures sur l'activité des entreprises sont nombreuses et difficilement évaluables.

Parmi les premières questions qui se posent à elles, il y a celle de l'exécution des contrats de service en cours. Comment ceux-ci seront-ils affectés par la situation actuelle ? Autrement dit, le coronavirus est-il un cas de force majeure ?

Qu'est-ce que la force majeure ?

L'article 1218 du code civil définit la force majeure de la manière suivante : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur. »

Cette définition reprend les trois éléments traditionnels de la force majeure.

Le caractère « extérieur » de l'événement, plus exactement son caractère « incontrôlable » car un événement interne peut être incoercible dans sa survenance et ses effets. Par le passé, la justice a ainsi considéré que la grève pouvait être un cas de force majeure lorsqu'elle est déclenchée par les centrales syndicales nationales ou la suite d'un conflit avec les pouvoirs publics, mais également lorsqu'elle est déclenchée pour des raisons purement internes à l'entreprise, mais sans préavis. La maladie a également été considérée comme un cas de force majeure lorsqu'elle empêche le débiteur de fournir la prestation.

Ensuite, le caractère « imprévisible » de l'événement au moment de la signature du contrat. Nous allons voir que l'appréciation de cette condition est importante dans la situation actuelle.

Enfin, le caractère « irrésistible » : il est impossible de contourner l'événement, il est inévitable, il vient obérer de manière temporaire ou définitif la capacité d'une partie à un contrat, ou des deux parties, à l'exécuter.

Précisons enfin que ce sont essentiellement les contrats de prestation de services qui sont susceptibles d'être affectés par un événement de force majeure. En effet, les contrats de vente voient le plus souvent leurs effets juridiques se réaliser à un instant de raison, lors du consentement des parties au contrat. Difficile de concevoir un événement de force majeure dans un temps aussi bref.

Et le covid-19 ?

PublicitéLes réponses sont très variées en fonction des situations contractuelles. En effet, selon la date de signature du contrat et selon les stipulations du contrat, les parties ne seront pas logées à la même enseigne face aux conséquences du corona virus.

Il est assez évident que le covid-19 répond à la condition d' « incontrôlabilité ». Plusieurs cas de figure peuvent se rencontrer. Une personne physique peut-être directement touchée par le covid-19 et ne peut donc plus être en situation d'exécuter sa mission à raison de sa maladie. Il nous semble également tout à fait admissible de considérer que si, au sein d'une entreprise, de nombreux salariés sont affectés par la maladie, la condition sera également remplie.

Mais à côté de la maladie elle-même, qui n'a effectivement touché aujourd'hui que quelques milliers de personnes, il y a surtout les décisions des autorités. Ces derniers jours, celles-ci se sont succédées dans un sens toujours plus restrictif. D'une interdiction des rassemblements de plus de 5 000 personnes le 4 mars, nous sommes aujourd'hui, le 15 mars, arrivés à une interdiction quasiment totale de nous regrouper.

Dans ces conditions, de nombreuses activités ne peuvent plus se dérouler de façon normale et de nombreuses prestations ne pourront plus être rendues aussi longtemps que la situation perdurera.

« Le fait du Prince », comme on a coutume de l'appeler, constitue un cas de force majeur, les tribunaux l'on déjà admis à de nombreuses reprises. Par exemple, le retrait de l'agrément administratif d'un croupier de casino, impose à l'employeur de le licencier sans délai et constitue un cas de force majeure.

Les décisions des autorités, prises par voie d'arrêté ministériel ou préfectoral, s'imposent évidemment à toutes les personnes auxquelles elles se destinent et remplissent donc également la condition d'irrésistibilité de la force majeure.

Reste la question de l'imprévisibilité.

Les parties à un contrat de service qui a été conclu il y a plusieurs mois voire plusieurs années n'avaient probablement pas anticipé l'apparition du covid-19 et ses conséquences dans le pays. La condition de l'imprévision dans ce cas-là sera acquise. A l'opposé, les personnes, s'il y en a (!), qui concluraient aujourd'hui un contrat ne peuvent ignorer la situation épidémique du pays et les mesures étatiques qui sont prises pour l'endiguer. Elles ne peuvent plus invoquer le covid-19 comme événement de force majeure faute de son caractère imprévisible aujourd'hui.

Reste une zone grise qui court grosso modo sur tout le mois de février, période au cours de laquelle quelques décisions administratives ponctuelles avaient été prises pour limiter les rassemblements dans ce que l'on appelait alors les « clusters ». Notre avis est qu'il était bien difficile pour tout à un chacun d'inférer la situation de mars de celle de février et que la condition d'imprévisibilité reste acquise pour les contrats qui auraient été conclus en février.

Reste qu'il faut néanmoins vérifier les stipulations contractuelles car il est loisible aux parties d'aménager la force majeure.

Quelles sont les conséquences de la force majeure ?

C'est le second alinéa de l'article 1218 du code civil qui nous renseigne. Il faut distinguer deux cas de figure.

Si l'impossibilité d'exécuter la prestation du fait de la force majeure est temporaire, l'exécution du contrat est alors « suspendue ». La situation actuelle permet de confronter le texte à la réalité des situations parfois extrêmes que la force majeure recouvre. Qui peut dire aujourd'hui combien de temps la situation va perdurer ?

Pour sortir de l'impasse, l'article 1218 a prévu une échappatoire : l'exécution est suspendue « à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat ». Autrement dit, il arrive un moment où la suspension du contrat prive la prestation de son utilité et le contrat doit alors être résolu. Celui qui « bénéficie » de la force majeure ne peut pas contraindre son cocontractant à attendre que la force majeure cesse pour reprendre la prestation, si le délai d'exécution qui en résulte prive le contrat de son utilité.

On retombe alors dans le second cas prévu par l'article 1218 du code civil : si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations. Pas totalement libérées cependant...

Le code civil prend également soin de préciser dans son article 1351 que la force majeure n'est pas un coup « d'éponge magique ». Si l'une des parties était déjà en situation d'inexécution contractuelle au moment de la force majeure, elle continuera de répondre de ses manquements antérieurs.

La force majeure empêche de qualifier de fautive l'inexécution du contrat. Dès lors, la ou les parties n'ayant pas exécuté leurs obligations ne sauraient voir leur responsabilité contractuelle engagée, comme le rappelle l'article 1231-1 du code civil.

Pour autant, l'article 1229 alinéa 3 du code civil prévoit que « Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procuré l'une à l'autre ».

Ainsi, toute somme perçue d'avance, comme un acompte, une redevance perçue terme à échoir, etc. devra être restituée au cocontractant l'ayant versée. La force majeure n'est pas le « loto » qui permettrait de garder le prix d'une prestation sans avoir à fournir la prestation ! Une étude au cas par cas s'impose.

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