Juridique

Contrats IT : vous avez dit « agile » ?

Contrats IT : vous avez dit « agile » ?
Christiane Féral-Schuhl, avocate associée du cabinet Féral.

De plus en plus de contrats prévoient l'usage d'approches agiles pour la réalisation d'un projet. Toutefois, ce type de collaboration présente des risques spécifiques, qu'il convient d'anticiper.

PublicitéDepuis sa création dans les années 2000, la méthode agile a pris d'assaut l'industrie des technologies de l'information et a changé la façon dont les projets sont gérés. Cette méthode se veut un mode de gestion souple impliquant un dialogue entre les parties. Elle favorise l'approche collaborative entre le prestataire et son client. En effet, le déroulement du projet est rythmé par une succession d'itérations, chacune invitant à la définition des spécifications fonctionnelles, leur développement, des tests, et enfin la livraison du livrable au client.

Cette méthode est sur le papier séduisante. Elle apporte de la flexibilité, de l'adaptabilité, permettant ainsi aux équipes du client et du prestataire de travailler dans un dialogue permanent, avec plus d'efficacité.

Mais cette construction collaborative du projet présente des risques qu'il convient de circonscrire. Deux points méritent une attention particulière :

1) Une collaboration renforcée à anticiper

Le point central de cette méthode réside dans la collaboration entre les parties prenantes. Les contrats doivent donc inclure des clauses qui encouragent une communication ouverte et transparente entre le client et le prestataire. Cette forte collaboration entre les équipes, au coeur de la méthode agile n'a pas pour effet de gommer les responsabilités de chacun.

Tout d'abord, le prestataire ne peut s'exonérer de son obligation de conseil, en se prévalant d'un copilotage du contrat en mode agile (1). Il doit au contraire davantage conseiller le client ! En revanche, il n'y a pas d'obligation de résultat à la charge du prestataire si le client n'a pas défini ses besoins. La jurisprudence a en effet confirmé que, dans le cas de la méthode agile, le prestataire est avant tout tenu d'une obligation de moyens dans le développement d'un logiciel adapté aux besoins spécifiques du client (2).

De son côté, le client devra mettre en place une équipe projet compétente et apte à prendre les décisions adéquates de priorisation des besoins, mais aussi anticiper le plan de charge de cette équipe afin que ses membres aient la disponibilité nécessaire pour interagir rapidement et efficacement avec les équipes du prestataire. En outre, le client devra rester vigilant et ne pas signer de procès-verbaux de recette, attestant de la conformité du livrable sans avoir effectué de test... C'est notamment ce que rappelle un arrêt récent du 6 janvier 2023 (3). Dans cette affaire, les juges ont considéré que le prestataire avait effectivement rempli son devoir de conseil en étant toujours disponible et en cherchant à répondre aux attentes du client qui avait du mal à stabiliser ses demandes. Les juges ont également rejeté l'argument du client qui prétendait avoir signé les procès-verbaux de recette sans aucune valeur.

PublicitéC'est pourquoi l'agilité ne signifie pas une absence de contrôle ou une liberté totale. Il est donc essentiel d'inclure dans les contrats agiles des clauses qui définissent clairement les obligations et les responsabilités de chaque partie : charge au client d'exprimer ses besoins, d'être disponible, de faire des choix et de s'y tenir, et au prestataire de s'adapter, de conseiller son client et de respecter les délais fixés.

2) Des modalités de sortie à organiser

La méthode agile soulève également des questions importantes en ce qui concerne les modalités de sortie du contrat.

Contrairement au schéma traditionnel du contrat qui prévoit un référentiel précis, par exemple des spécifications détaillées, la méthode agile repose sur l'acceptation de changements continus. Les parties s'engagent ainsi à accepter les évolutions d'objectifs et à collaborer pour trouver des solutions adaptées. Le dispositif présente l'intérêt de la souplesse et permet de s'adapter au contexte, mais il peut être difficile de déterminer quand le projet est terminé. À défaut de pouvoir définir des critères objectifs de fin du contrat, il est indispensable d'organiser les modalités de sortie, à l'initiative de l'une ou l'autre des parties.

Les contrats doivent donc inclure des modalités de sortie claires et simples. Il est important que ni le client ni le prestataire ne devienne prisonnier du dispositif !

Au nombre des difficultés à anticiper, deux retiennent plus particulièrement l'attention.

D'une part, il faut prédéfinir les conditions financières qui ont vocation à s'appliquer, notamment pour les services déjà rendus et les frais de rupture anticipée de contrat. Dans une affaire où le client avait décidé de mettre un terme à une collaboration effectuée sous le format agile, le prestataire a invoqué une rupture brutale des relations commerciales, mais le tribunal de commerce de Paris (4) n'a pas donné suite à la demande, car l'objet du contrat concernait un développement informatique à la pièce, qui soumettait le renouvellement à un aléa. De plus, il n'existait aucun contrat écrit.

D'autre part, il faut s'interroger sur les droits sur le logiciel. Quid de la propriété des codes sources ? Quelles sont les garanties dont dispose le client quant à l'utilisation du logiciel ?

Autant de questions à avoir présent à l'esprit. La méthode agile n'exclut pas d'appréhender les risques d'un projet et de définir contractuellement les solutions à mettre en oeuvre.

(1) CA Paris, 3 juill. 2015, n°13/06963
(2) CA Pau 2e chambre 1re sect., 19 nov. 2018, n°17/03030
(3) CA Paris, pôle 5 - ch. 11, arrêt du 6 janvier 2023
(4) T. Com Paris 13e ch. 9 mars 2015, Marty Soft

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