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Comment la digitalisation transforme le business model d'Edenred et sa relation clients

Comment la digitalisation transforme le business model d'Edenred et sa relation clients
Véronique Sinclair (DSI France) et Konstantinos Voyiatzis (DSI Groupe) mènent la transformation numérique du groupe Edenred

Edenred, émetteur des titres restaurants Ticket Restaurant et de multiples autres titres pré-payés dans le monde, transforme sa relation utilisateurs (individus détenant les titres) et clients (entreprises/organisations payant les titres) grâce au digital. Véronique Sinclair (DSI France) et Konstantinos Voyiatzis (DSI Groupe) nous expliquent cette mutation.

PublicitéCIO : Comment peut-on présenter Edenred, spécialiste des titres pré-payés, notamment sous la marque Ticket Restaurant ?

Konstantinos Voyiatzis : Edenred est présent dans 42 pays avec 8000 collaborateurs, 750 000 clients, 1,4 million de commerçants acceptant nos titres et 43 millions d'utilisateurs.

Véronique Sinclair : En France, nous sommes un millier de collaborateurs contre 2000 au Brésil mais une trentaine de pays n'abritent que 30 à 50 collaborateurs. C'est donc très variable selon les pays.

CIO : Et côté système d'information ?

Konstantinos Voyiatzis : Le principe est, au départ du moins, d'un système d'information par pays. Mais il y a de plus en plus de systèmes communs. Par exemple, toute l'Europe utilise PPS, une filiale à 70 % d'Edenred et 30 % de Mastercard, pour la gestion des autorisations de cartes de paiement. Un système similaire existe en Amérique du Sud.
Nous sommes aussi en train de déployer un système d'information financier utilisant Oracle Applications dans une quinzaine de pays, dont la France.

CIO : Possédez-vous vos propres infrastructures ou avez-vous opté pour le cloud externe ?

Konstantinos Voyiatzis : Le chantier va durer encore deux ou trois ans : nous sommes en train de migrer les systèmes de chaque pays dans un cloud privé hébergé par DXC. Nous avons commencé par les applications groupe. France et Belgique sont en cours. En 2018, nous migrerons l'Europe du Nord, le Mexique...
Côté cloud public, nous sommes en train de déployer Salesforce et d'envisager Office 365.

Véronique Sinclair : Nous utilisons également Azure pour le développement et le test. Nous allons y revenir mais le développement des applications pour l'utilisateur lui-même change aussi nos besoins d'infrastructures et toute la gestion des notifications vers ces applications end-users est hébergée dans Amazon Web Services. En effet, nous devons désormais gérer de nombreux contacts directs : envoi du solde de compte, communication d'un code PIN oublié, justification d'une transaction refusée, etc.



CIO : Et côté applicatifs métiers ?

Konstantinos Voyiatzis : Nos systèmes sont génériques et personnalisés par pays au départ, pour gérer les titres papier. Désormais, nous essayons d'avoir des systèmes communs autant que possible. Parfois, un système peut couvrir 10 pays, 3 pays... Quand le domaine concerné n'est pas réglementé, nous sommes davantage libres que lorsque les règles sont rigides et différentes dans chaque pays.
Par exemple, les solutions de mobilité professionnelle (comme une carte pour payer les voyages et le carburant) sont adaptées à chaque continent exception faite de l'Amérique du Sud où il existe une solution spécifique pour le Brésil et une autre pour le reste du continent.
Avec ce genre de service, nous garantissons aux entreprises une optimisation de leurs coûts. Nous pouvons donc restreindre le paiement à un certain type de carburant (celui du véhicule professionnel), nous pouvons calculer le niveau de remplissage du réservoir et, en fonction des tarifs pratiqués, inviter les chauffeurs à faire leur plein à tel ou tel endroit. Si le véhicule est géolocalisé dans une station, on peut autoriser un paiement sans code PIN.

PublicitéCIO : Puisque l'on parle de carte, comment se déroule la mutation des titres Ticket Restaurant papier en carte de paiement ?

Véronique Sinclair : Les entreprises sont de plus en plus favorables à la dématérialisation, car les cartes évitent les frais de livraison, les listes d'émargement pour la réception des tickets par les salariés, etc. Pour une société de service, avec un personnel réparti en clientèle, ces frais peuvent être colossaux. Il est beaucoup plus facile de créditer un compte associé à une carte de paiement.

Konstantinos Voyiatzis : Les cartes doivent être nominatives. Certaines cartes dites « flex » sont, au départ, anonymes mais sont attribuées avant d'être créditées. Elles servent aux nouveaux embauchés par exemple. Aux cartes sont associés des applications mobiles.

Véronique Sinclair : L'application associée à la carte est très souvent utilisée, en moyenne 3 à 4 fois par semaine, par exemple pour connaître son solde de compte. Dématérialisée, la carte peut être stockée dans un wallet comme l'Apple Pay. Dans ce cas, on peut payer avec son Apple Watch. Pour le commerçant, l'absence de manipulation de papier est en soi un avantage qui en amène un second : un paiement bien plus rapide (et plus sûr).

Konstantinos Voyiatzis : L'intérêt de l'application va bien au-delà du calcul du solde. Comme l'app peut vous géolocaliser, elle peut aussi vous renseigner sur les restaurants et magasins acceptant le titre dans les alentours, éventuellement en vous communiquant des promotions. Au Brésil et en Finlande, l'app permet déjà de payer sans carte. L'offre va continuer de s'affiner.
La France est relativement peu digitalisée. Au Mexique et au Brésil, la digitalisation a été faite à 100 % par voie réglementaire, pour éviter des usages inappropriés dans un marché parallèle.



CIO : En quoi cette digitalisation est-elle un changement de modèle pour Edenred ?

Véronique Sinclair : Parce que la carte nous permet une identification des personnes (nom, prénom...) et une analyse fine de leurs usages (habitudes de déjeuner...).

Konstantinos Voyiatzis : Les titres Ticket Restaurant classiques (papier) ne permettent pas de savoir ce qui était consommé, où et quand. Maintenant, on sait quand, qui, avec quel montant exact du panier (payé en tout ou partie avec la carte)... On peut donc même commencer à envisager des services pour aider les restaurateurs à optimiser leur offre ou la promouvoir via notre app.

Véronique Sinclair : Nous avons déjà des prototypes de traitements utilisant Hadoop qui fonctionnent. Connaître le panier moyen dans tel quartier ou dans tel restaurant permet de réaliser un benchmark. Mais il y a aussi dans ce gisement de données des moyens pour aider les restaurants à se promouvoir.

Konstantinos Voyiatzis : Le digital entraîne de fait un passage du B2B au B2B2C. Les transactions que nous gérons sont bien plus nombreuses. Les datas traitées sont bien plus volumineuses et précises. Et, ainsi, nous avons une connaissance de l'utilisateur qui s'accroît.

Véronique Sinclair : Cette digitalisation ne concerne pas seulement le titre restaurant comme le Ticket Restaurant en France. L'offre Kadéos permet aux Comités d'Entreprise ou aux entreprises disposant de programmes d'incentive de remettre des coupons cadeaux. Dans le cadre de l'incentive, nous proposons toute une plate-forme d'animation d'équipe commerciale dans le cadre de notre offre. Cette incentive peut très bien être utilisé pour du personnel extérieur à l'entreprise cliente, typiquement une marque de parfum incitant des vendeurs d'un distributeur à favoriser ses produits.
Avec la version sous forme de carte, on peut également savoir quels magasins sont visités, par qui, avec quel panier moyen, etc. et on peut donc imaginer une publicité très ciblée. Kadéos peut aussi servir de support à un cash-back pour le consommateur final. Dans tous les cas, on peut paramétrer une app commune aux couleurs de l'entreprise cliente.
De plus, les cartes, au contraire des titres papier, sont utilisables sur le web (Fnac, Spartoo, Pierre&Vacances, Hédiard...). Mais il reste malgré tout un avantage au titre papier : la possible de remettre quelque chose physiquement, avec un cérémonial.

CIO : Lorsque l'on parle d'utilisation intensive de données personnelles révélant une consommation, un sujet s'impose. Comment gérez-vous la conformité GDPR ?

Véronique Sinclair : Les entreprises nous confient de fait des données sur leurs salariés. Tous les appels d'offres comprennent aujourd'hui des clauses de sécurité précises et des clauses d'audit de nos systèmes.

Konstantinos Voyiatzis : Nous gérons des cartes de paiement à usage très limité. De ce fait, le risque est également limité. Mais nous faisons évidemment régulièrement des tests d'intrusion et d'autres tests de sécurité. Le Comité Exécutif du groupe est très attentif à la question de la sécurité. Notre approche est similaire à celle d'une banque. Dans certains pays, nous sommes conformes PCI-DSS.

Véronique Sinclair : Concernant l'identification des personnes dans l'analyse des données, nous avons un moyen simple de l'éviter. Les transactions sont en effet identifiées par le numéro de la carte de paiement. Il suffit donc d'empêcher le lien entre le numéro de carte et l'identité du propriétaire de la carte.



CIO : Beaucoup d'entreprises utilisent des titres papier Ticket Restaurant ou Kadéos. Comment se passe la mutation vers l'offre numérique ?

Konstantinos Voyiatzis : Aujourd'hui, quand on répond à un appel d'offres, on fait une proposition numérique. Le poids du digital s'accroît donc dans notre activité, entraînant aussi une croissance de la criticité du système d'information sollicité 24h/24 7j/7 (avec des pointes). Cela nous oblige aussi à avoir un SI plus robuste. Avant, il fallait surtout que l'on redoute des attaques de fourgons Brinks, aujourd'hui plutôt des cyber-attaques.

Véronique Sinclair : Les entreprises sont plutôt intéressées par le passage à la carte et au numérique car cela facilite la logistique. Pour les utilisateurs, l'intérêt est de payer à l'euro près sa consommation. Mais la loi est embarquée dans la carte... Les titres papier peuvent être utilisés le dimanche et les jours fériés. Pas la carte si ce n'est pas nécessaire dans l'activité professionnelle. Nous fournissons donc du matériel de communication aux DRH pour accompagner la migration.
Actuellement, plus de la moitié des nouveaux contrats sont en numérique. Et environ un quart du parc client a migré.

Konstantinos Voyiatzis : Aucun concurrent n'a, à ce jour, une offre aussi poussée. Respecter les règles légales est un bon signe pour tout le monde. C'est aussi une manière, pour l'employeur, de s'assurer que les salariés peuvent bien se nourrir. La Belgique a ainsi fixé une date butoir pour migrer. En Amérique du Sud, il en a été de même, ainsi qu'en Grèce depuis la crise qui a suivi celle de 2008.

CIO : Enfin, en plus de cette mutation numérique, Edenred a-t-il d'autres grands projets ?

Véronique Sinclair : Nous allons mettre en place la GRC sous Salesforce et une application de CPQ (Configure Price & Quote) pour nos commerciaux. De plus, nous allons créer un référentiel client unique avec une vision 360° (démarche Master Data Management). Avant, il y avait une GRC par gamme de produits et chaque client était connu au travers du produit qu'il avait acquis. Désormais, nous aurons une direction commerciale unifiée qui offrira tous les produits, avec donc une démarche de cross-selling facilitée.

Konstantinos Voyiatzis : Dans la digitalisation, la création de référentiels unifiés est une des clés de succès.

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