Comment deux banques françaises s'approprient le framework SAFe


Remettre le business au centre
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DécouvrirLors d'une table ronde organisée par Ippon Technologies le 27 mai 2021, intitulée « SAFe, indispensable pour passer à l'échelle ? », des experts de l'agilité travaillant au sein des groupes Société Générale et BNP Paribas ont partagé leur expérience autour du framework SAFe (Scale Agile Framework), expliquant comment leurs organisations respectives s'appropriaient celui-ci.
PublicitéSelon Jérôme Cilly, agile practice leader chez Ippon Technologies plus de 85 grandes entreprises françaises utilisent aujourd'hui le framework SAFe pour mettre en place l'agilité à l'échelle. Si celui-ci semble de plus en plus incontournable, en pratique les organisations ne se l'approprient pas toutes de la même façon. À l'occasion d'une table ronde organisée par Ippon Technologies le 27 mai 2021, Wilson Sagno, agile coach lead chez BNP Paribas, au sein de BDDF (la banque de détail en France) et Thibaud Scarpa, program director Agile@Scale à la Société Générale, ont expliqué comment SAFe est mis en oeuvre pour accompagner la transformation numérique de leurs organisations, pointant également quelques-unes des limites rencontrées lors de la mise en pratique du framework.
« Nous ne déployons pas un modèle 100% SAFe, même si nous nous en sommes très fortement inspirés », a d'emblée prévenu Thibaud Scarpa. La Société Générale puise également l'inspiration ailleurs, notamment chez Spotify. Le groupe utilise SAFe sur tout le volet gouvernance et le modèle Spotify pour l'organisation des équipes, en tribus, squads (1) et communautés. « Nous avons bâti notre propre modèle, avec trois niveaux reliés par une colonne vertébrale, les chaînes de valeur. À travers ces dernières, nous cherchons à aligner un ensemble d'activités métier et IT qui créent de la valeur pour les utilisateurs finaux », a expliqué Thibaud Scarpa. Le groupe bancaire a mis en place trois niveaux de pilotage autour de ces chaînes : le premier consiste à définir des lignes produit, qui permettent d'embarquer fortement les métiers dans la transformation. « Nous avons besoin des métiers. Il s'agit de leur redonner la main sur leur destin, de les mettre au coeur des décisions qui concernent leur feuille de route IT », a insisté Thibaud Scarpa, pour qui le modèle permet aussi de redonner du sens à ce que font les équipes agiles. Le deuxième niveau porte sur l'organisation de ces équipes, structurées en tribus. « Il faut prévoir des mécanismes pour synchroniser les équipes entre elles, les unes par rapport aux autres. L'agilité à l'échelle entre en jeu quand plusieurs équipes s'engagent à livrer ensemble », a souligné le directeur de programme. Enfin, le troisième et dernier niveau est celui des équipes IT, qui s'appuient sur des outils et méthodes comme Scrum, Kanban, afin de renforcer l'efficacité de la livraison. « Nous cherchons à ne pas faire de différences entre les chaînes IT et métier », a insisté Thibaud Scarpa.
Une boîte à outils
Chez BDDF, les différents centres d'expertise internes participent à un programme de transformation démarré début 2021, dont le centre Agile pour lequel travaille Wilson Sagno. La transformation suit un double objectif : faire vivre concrètement le triptyque « Faster, Better, Happier » et transposer les méthodes de travail agiles dans le fonctionnement des métiers de BDDF. Pour cela, BDDF se base sur des Tom's guides établis par les équipes de PACE (Partners in Action for Customer Experience) (2). « Notre Tom's guide nous permet de suivre notre avancement et de mettre en commun nos bonnes pratiques avec les autres équipes qui ont expérimenté l'Agile. Il nous aide à nous cadencer », a expliqué Wilson Sagno. BDDF s'inspire aussi de l'expérience de Fortis et BNL, des filiales belges et italiennes du groupe BNP Paribas, très avancées dans l'agilité. « Nous avons été piocher dans différentes méthodes : SAFe bien sûr, mais aussi Spotify ou LeSS (Large Scale Scrum) », a précisé l'agile coach lead.
PublicitéLes deux témoins de la table ronde se sont accordés pour reconnaître certains apports clefs de SAFe. « Dans notre environnement, pas encore très agile, il faut fournir un plan clair et détaillé pour rassurer toutes les parties prenantes. Avec SAFe, nous avons ce cadre rassurant, qui retire les incertitudes et adresse les questionnements qui peuvent se présenter », a ainsi souligné Wilson Sagno. Pour lui, SAFe s'apparente à « une superbe boîte à outils », avec énormément d'éléments à piocher pour aider à mettre en place un accompagnement. Parmi ceux-ci, BDDF a notamment choisi d'utiliser les PI Planning de SAFe pour permettre aux différentes entités de s'aligner. « C'est la cérémonie clef pour s'aligner », estime Wilson Sagno. Les équipes utilisent également les Epic (des initiatives importantes dans SAFe) et les features (services répondant aux besoins), qui apportent des couches essentielles pour avancer. Enfin, la banque de détail utilise parfois des ART (Agile Release Train), mais selon Wilson Sagno, « il est plus compliqué d'aligner tous les acteurs pour démarrer en même temps. » Une difficulté encore majorée s'il s'agit de lancer plusieurs ART en même temps, un défi pour l'instant non relevé, car les métiers de la banque ont des fonctionnements et des rythmes très différents. Thibaud Scarpa apprécie quant à lui les OKRs (Objectives and Key Results), des outils de SAFe qui permettent de matérialiser par des mesures tangibles les objectifs partagés. « Il existe plusieurs façons d'apporter de la valeur. L'agilité consiste aussi à mettre en place des mécanismes permettant aux métiers de qualifier la valeur des différentes initiatives et de comparer celles-ci entre elles », a pointé le directeur de programme.
Acculturation progressive des métiers
Toutefois, les deux invités ont aussi relevé certaines limites par rapport à SAFe. « L'une des difficultés lors de la mise en place de ce type de framework, c'est l'appropriation », a constaté Thibaud Scarpa. « Il faut que les collaborateurs renoncent à leurs modes de travail d'avant, ce qui s'avère souvent compliqué. Sans cela, la transformation risque d'être vécue comme quelque chose de lourd, qui se surajoute à l'existant, alors qu'elle vise au contraire à simplifier le travail. » Pour lui, il faut mettre en oeuvre différents niveaux d'entraînement au sein de l'entreprise pour que cela fonctionne. Si cela s'avère généralement facile au niveau des équipes IT, il est plus dur de changer la perception qu'ont les métiers sur la manière de gérer leur IT. Pour y parvenir, il faut un très fort sponsorship de la direction générale. « Au sein de la Société Générale, Frédéric Oudéa est un sponsor important de la démarche », a illustré Thibaud Scarpa. Celui-ci observe aussi une vraie dynamique à l'autre bout de la pyramide hiérarchique. « Les zones de flou se situent plutôt au niveau du management intermédiaire, c'est ce niveau que la conduite du changement doit cibler. Nous avons mis en place un plan d'accompagnement spécifique, sur des rôles plus métier, car SAFe ne fait pas tout », a indiqué le directeur de programme.
De son côté, Wilson Sagno considère que SAFe permet de préserver les rôles. « Chez BDDF, nous avons décidé de casser un peu les lignes et les rôles. Nous nous sommes organisés en domaines métier, chacun avec des squads, afin de pouvoir déployer assez simplement différents frameworks ». Le coach lead observe aussi que SAFe reste un framework très compliqué à appréhender par les collaborateurs, surtout ceux qui ne sont pas familiers de l'IT ou de l'Agile. « Il existe énormément d'artefacts et d'outils dans SAFe. Nous n'avons pas voulu le déployer dans sa globalité, en suivant le cadre à la lettre, mais de façon plus progressive », a-t-il relaté. Au sein du centre d'expertise, il prépare actuellement la formation des équipes métiers, afin de les acculturer et de les sensibiliser aux pratiques agiles. « Il ne s'agit pas de formations ciblées sur SAFe, plutôt d'un vernis autour de l'agilité. Dans ce processus, nous abordons à un moment la notion d'agilité à l'échelle, mais nous ne faisons pas que du SAFe », a précisé Wilson Sagno. Pour ces formations des métiers, Thibaud Scarpa met d'ailleurs en garde contre un écueil fréquent : « Nous avons testé certaines formations sur SAFe, et nous en organisons nous-mêmes, mais il faut à mon sens faire attention au jargon : les nombreux termes utilisés sont bien perçus côté IT, mais l'accueil est plus mitigé du côté des métiers. » Un avis partagé par Wilson Sagno : « Nous avons des centres d'expertises métiers qui accompagnent la transformation, ainsi qu'un centre d'expertise agile. Ce n'est pas forcément simple au quotidien, car il ne faut pas perdre les métiers avec des termes qui risqueraient de faire peur, d'où ce parcours de formation qui englobe les différents éléments. »
Pour conclure le débat, les deux intervenants ont convenu d'une chose : il revient à chaque organisation de s'approprier SAFe, d'une façon qui lui est propre. « SAFe reste un cadre donné, c'est à chaque métier de s'adapter, en identifiant et en éliminant les différents risques dès la mise en place », a ainsi affirmé Wilson Sagno. « Adapter SAFe est important », a confirmé Thibaud Scarpa. Selon le directeur de programme, « certaines organisations peuvent parfaitement se contenter d'un modèle simplifié. Même quand un modèle opérationnel est défini, chaque fois qu'on le déploie dans une équipe, dans un métier, on fait des ajustements. Par exemple, il arrive parfois qu'il n'y ait pas besoin de PI Planning, alors que dans d'autres cas il y a besoin de beaucoup plus de synchronisation, par exemple s'il faut coordonner plusieurs trains. Il faut se repositionner à chaque fois. »
(1). Les équipes dans le modèle Spotify.
(2). PACE - Partners in Action for Customer Experience- est une équipe transverse au sein de BBDF, organisée en mode agile, qui travaille sur l'amélioration de l'expérience client et les nouveaux modèles économiques.
Article rédigé par

Aurélie Chandeze, Rédactrice en chef adjointe de CIO
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