Claire Calmejane (Société Générale) : « créer de nouveaux business est dans l'ADN du groupe »


Quand le numérique transforme l'entreprise pour de bon
La transformation numérique est un terme tout à fait galvaudé. "Galvauder" a un sens précis : déprécier, gâcher, gaspiller un talent ou une action pour des fins médiocres. Car, aujourd'hui, tout le monde prétend mener une transformation numérique. Il en résulte une défiance, ou un haussement...
DécouvrirLa nouvelle Group Chief Innovation Officer du groupe Société Générale, Claire Calmejane, détaille la stratégie d'innovation de la banque. En particulier, les start-ups d'origines autant internes qu'externes contribuent à la création de nouveaux services et à la transformation des métiers.
PublicitéCIO : Quelle est l'organisation de la fonction innovation au sein du groupe Société Générale ?
Claire Calmejane : En tant que Group Chief Innovation Officer, je fédère les initiatives et responsables en charge de l'innovation à travers tout le Groupe. Il y a ainsi un référent innovation pour chacune des 27 business units et service units du Groupe et sept centres innovation dans le monde (Paris, Berlin, Dakar, Londres, Luxembourg, Bangalore et Tel Aviv). Pour les zones Amérique, Asie et Russie, il y a également des Chief Innovation Officers pour couvrir des spécificités locales.
Notre volonté est de poursuivre notre démarche d'open-innovation : continuer d'ouvrir la Banque à l'écosystème des start-ups et fintech. Notre démarche est de pousser l'innovation vers une véritable mise en production, à travers une commercialisation des services pour nos clients comme avec la start-up OWI de gestion d'email automatisé pour accompagner le travail du conseiller en agence.
CIO : Comment repérez-vous des start-ups potentiellement intéressantes ?
Claire Calmejane : C'est un travail d'équipe : l'ensemble de nos 147 000 collaborateurs présents dans 67 pays sont susceptibles d'utiliser un outil en ligne, Start-Up Flow, pour signaler et suivre des start-ups. A ce jour, il y a 3 000 collaborateurs qui l'utilisent. Par exemple, un chargé de compte en agence qui rencontre une start-up venue ouvrir un compte peut ainsi la référencer et si elle rencontre un autre département du Groupe, cette information est accessible. Mon équipe Start-up Radar supporte et anime ce processus en regardant notamment la qualité des données.
En collaboration avec les métiers, nous travaillons également avec des accélérateurs partenaires dédiés au secteur de la finance : en Grande Bretagne, avec Level 39, à Paris avec Le Swave ou en Province avec WeSprint. Pour les activités de marché, le groupe Société Générale a créé un accélérateur propre, Global Markets Incubator, à l'instar des activités de financement du Groupe. Cela nous permet de détecter les jeunes start-ups et de les suivre. Ces start-ups sont également nos clientes : notre rôle de banquier est d'accompagner leur développement. Nous leur fournissons aussi des services tels qu'avec Treezor ou Franfinance. Beaucoup de start-ups sont finalement assez matures et prêtes à commercialiser leurs offres.
Enfin, Société Générale Ventures, piloté par Didier Lallemand, nous permet d'investir dans les start-ups prometteuses. En 2015, nous avions fait l'acquisition de Fiduceo qui nous a promu parmi les banques pionnières à proposer de l'agrégation et de développer une stratégie d'Open Banking. En 2018, nous faisions l'acquisition de la fintech Lumo (plateforme de crowdfunding dans les énergies renouvelables) et a participé au lancement de Komgo SA (plateforme blockchain de financement de commerce de matières premières). Le métier même du financement peut ainsi évoluer grâce aux start-ups, une transformation directement initiée par le métier. En septembre 2018, nous avons aussi acquis une fintech pionnière de la bank-as-a-service en France, Treezor.
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CIO : Ces start-ups sont-elles réellement intégrées au business du groupe ou simplement accumulées ?
Claire Calmejane : La transformation des grands groupes ne passera pas par une diversification des métiers en créant de nouveaux business en flottement. Nos dirigeants savent ce qu'est la blockchain, l'IA et l'open-banking et ils les déclinent dans leur stratégies métier. L'innovation est portée par les collaborateurs et la direction. Nous avons une réelle conviction que l'entreprenariat est fondamental dans notre métier de banquier.
Le fonds d'investissement Société Générale Ventures investit dans les start-ups internes et externes sans rechercher un bénéfice court terme. Il vise au financement stratégique des évolutions du métier. Et, surtout, il travaille sur le comment intégrer les start-ups dans l'organisation. C'est un fonds transverse de 150 millions d'euros dédiés à l'innovation, investi dans des start-ups internes ou externes.
Le point particulier de l'intégration peut être très onéreux, parfois plus coûteux que l'achat initial. Quand nous réalisons l'acquisition d'une société, celle-ci continue d'exister juridiquement mais elle doit s'intégrer au Groupe. Les projets menés doivent donc être compatibles avec les objectifs business, permettre la disruption ou l'accélération de l'innovation des métiers du Groupe. L'innovation a été structurée sans être bridée. Et nous voulons aussi insister sur des business models de rupture.
Société Générale Ventures se focalise prioritairement sur les métiers des paiements et de l'e-commerce, l'Open Banking, les services aux PME, le crédit et l'immobilier, l'assurance (AssurTech), la cybersécurité et les RegTechs, les marchés de capitaux, la blockchain et les crypto-assets et la gestion de patrimoine. D'un point de vue plus prospectif, il se consacre aussi à la mobilité, à la gestion de l'identité, à l'expérience immersive, à la valorisation de la donnée, au travail de demain et à l'e-santé.
CIO : Vos collaborateurs restent des salariés avec un contrat de travail. Comment se déroule la bascule en intrapreneuriat ? Quel est alors leur statut ?
Claire Calmejane : L'innovation a toujours été une valeur et un pilier stratégique du groupe Société Générale. En le rejoignant, j'ai été surprise par la mobilité naturelle au sein du Groupe, y compris au plan international. Et l'intrapreneuriat est une forme de mobilité.
Pendant la phase initiale de six mois, l'intrapreneur est détaché à la direction de l'innovation qui prend en charge son salaire. Si l'aventure s'arrête, il retourne dans sa direction d'origine mais cette expérience peut servir d'accélérateur de carrière, l'intrapreneur pouvant devenir un expert dans le domaine de sa start-up pour sa direction métier. Au bout de six mois, la direction métier concernée doit dire si l'innovation portée adhère ou non à ses besoins. Si c'est le cas, elle prend alors le relais.
Il y a aussi la possibilité, le cas échéant, d'excubage. Avec le soutien de Société Générale Ventures, l'intrapreneur peut alors créer une société. Le faire dans le cadre du Groupe peut faciliter la constitution d'une équipe.
Nous devons soutenir, cultiver et promouvoir l'intrapreneuriat. Aucune direction, pas même celle de l'innovation, n'est une chasse gardée pour la création de start-ups et de process innovants.
CIO : Et comment menez-vous la transformation numérique des métiers ?
Claire Calmejane : Je travaille en binôme avec Christophe Leblanc, Directeur des Ressources et de la Transformation numérique du groupe Société Générale. Par exemple l'APIsation, base de la stratégie d'Open-Banking, est un sujet IT mais c'est aussi un sujet métier sur la façon dont on exploite les effets réseaux des business modèles de plate-forme ou la vente de services en B2B2C. De la même façon, quand on parle IA ou blockchain, la question à poser est : qu'est-ce que cela signifie tant au niveau technologique qu'au niveau métier ?
Ces innovations technologiques n'ont pas encore atteint la maturité du mobile. Mais, au début, la mobilité était un sujet IT. Aujourd'hui, c'est juste normal et stratégique. Les métiers sont devenus mobile first. Nous ne recherchons pas les innovations ponctuelles. Il s'agit bien de mutualiser les bonnes idées et d'essayer de tirer parti des services de la collaboration interne. Du point de vue de l'innovation, que ce soit concernant l'IA, la data, l'APIsation ou le cloud, le groupe Société Générale a réalisé un travail important pour transformer son infrastructure, qui est d'ailleurs reconnu par les benchmarks sectoriels. Ce qui est important, c'est de bien intégrer ces innovations technologiques à la stratégie de nos métiers.
CIO : Est-ce que cela ne nécessite pas une très grande agilité métier ?
Claire Calmejane : Le programme Agile At Scale (agilité à l'échelle) a été lancé par Christophe Leblanc, Directeur des Ressources et de l'Innovation du Groupe, dans les équipes IT au sein du Groupe. Pour compléter cette transformation numérique, il faut intégrer le design du service, du produit, du nouveau business qui permet de focaliser l'organisation sur le client.
Souvent, on part de la digitalisation d'un process existant. Par exemple : ouvrir un compte épargne. Il s'agit de pouvoir le faire immédiatement en ligne. Les clients veulent de l'instantanéité, du temps réel et on voit le modèle relationnel se simplifier progressivement avec l'adoption des usages digitaux. Mais pas pour tout. Personne ne veut conclure un crédit immobilier en dix minutes. Il s'agit d'avoir un premier retour rapide et ensuite un suivi en temps réel de l'avancement du dossier.
C'est le design du service qui va permettre d'avoir la bonne ergonomie, le bon suivi... Ensuite, il est indispensable de toujours s'améliorer. On teste, on regarde le bilan, on arrête si ça ne marche pas, on améliore, on généralise...
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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