CIGREF : 50 ans, un bilan, des risques et des raisons d'y croire
Etrange célébration du demi-siècle de l'association des grands comptes français : la partie publique de l'AG du Cigref s'est faite en distanciel.
Publicité« Je dois admettre que nous avions d'autres projets pour fêter nos cinquante ans » a admis Bernard Duverneuil, président du Cigref. Le Club Informatique des Grandes Entreprises Françaises, association qui réunit aujourd'hui les 150 plus grands comptes publics et privés français, a en effet été fondée en 1970 par six entreprises suite aux travaux de Pierre Lhermitte sur le pari informatique. Le 13 octobre, le club réunissait une assemblée générale en pleine crise sanitaire. Si la partie interne, administrative, a pu se tenir presque normalement, l'habituelle partie publique, normalement plus festive, s'est résumée à une webconférence. Comme toujours, cependant, cette partie publique a permis à l'association de marteler ses messages en plus de présenter ses travaux et réalisations.
Selon le Cigref, elle a tout de même réuni un millier de participants, ce qui est plus que l'audience habituelle de l'événement physique. Jean-Christophe Lalanne, vice-président du Cigref, est tout d'abord revenu sur les 50 ans d'informatique d'entreprise que nous venons de vivre. Dans les années 70, l'informatique sert surtout à automatiser les tâches à faible valeur ajoutée grâce à des grands systèmes de type mainframe. Mais c'est l'époque de l'apparition des métiers de l'informatique et d'un besoin de structurer, de rendre compréhensible aux DG (déjà !). Le Cigref joue alors un rôle d'éclaireur.
50 ans d'histoire
Les années 80 voit, d'un côté, apparaître l'informatique personnelle et l'informatique distribuée, de l'autre la rencontre avec les télécoms et l'apparition du besoin d'architecture de ce qui n'est pas encore un système d'information. Il en résulte la naissance du métier d'architecte IT. La décennie suivante est celle des grands projets ERP, de l'apparition des progiciels, et s'achève avec le passage à l'euro, le bug de l'an 2000 et, quelques mois plus tard, l'explosion de la bulle Internet.
Avec le XXIème siècle arrivent de nouveaux concepts tels que gouvernance, de valeur d'usage ou de dette technique. Technologiquement, c'est la naissance de la mobilité, de l'irruption du grand public dans les questions informatiques. Le Cigref est dès lors reconnu comme une marque et un nom. Enfin, la décennie 2010 est celle de l'Atawad mais aussi du numérique qui échappe -un temps- au DSI. Arrivent alors l'idée d'âge de raison du Numérique, de sa nécessaire sobriété et enfin de l'intérêt général.
Signer un pacte
Corinne Dajon, vice-présidente du Cigref, et Godefroy de Bentzmann, président du Syntec Numérique, sont alors revenus sur le Pacte Numérique, signé par le Cigref, le Syntec Numérique, le Syntec Conseil et Tech In France. « Une telle discussion [ayant abouti au Pacte] est inédite » s'est réjoui Godefroy de Bentzmann. Car il s'agissait bien de sauver le soldat numérique en sortant de la crise et en participant à la relance. Nous en avions parlé à l'époque, en mai 2020.
PublicitéPour Corinne Dajon, la solidarité des acteurs dans la crise sanitaire a été rassurante. Chacun a su gérer au mieux les contrats en préservant l'avenir. Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil National des Barreaux, nous l'avait d'ailleurs indiqué sur la webconférence CIO du mois de septembre. Mais le Pacte va plus loin en proposant des mesures visant à créer un avenir. S'il est certain que de nouvelles formes de travail sont apparues (notamment avec les « nouveaux indépendants ») et que la relation même au travail évolue (au delà du seul télétravail), l'appel à redéfinir le délit de marchandage est peut-être un peu hors de propos. Celui-ci réprime en effet des abus du droit du travail, particulièrement menacé ces temps-ci.
Et les 50 prochaines années ?
Le Cigref a également publié, pour son premier cinquantenaire, un rapport d'orientation stratégique, finalisé entre mars et juillet 2020, en plein confinement lié à la crise sanitaire. Bien sûr, il ne saurait être question de prévoir à l'échéance de cinquante ans mais plus, pour les dix prochaines années, d'identifier les tendances structurantes ou moins probables. Présenté par Véronique Puche, administratrice du Cigref, le rapport ne veut pas exposer de certitudes sur un domaine, le numérique, fortement mouvant. L'omniprésence du numérique comme la disparition du mur entre personnel et professionnel amène bien sûr de nouvelles opportunités mais aussi de nouveaux risques.
La CNAV (Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse), où travaille Véronique Puche, a récemment mis en oeuvre un chatbot, outil archétypal de la digitalisation de la relation client, et a pu constater un million de sollicitations en une semaine de la part de seniors et de retraités que l'on disait rétifs au numérique. Antoine Petit, actuel PDG du CNRS et ancien président de l'INRIA, est venu porter un commentaire sur cette vision du Cigref en insistant sur le concept d'acceptabilité. En effet, ce sont les mêmes qui offrent gentiment des quantités de données personnelles à Google ou Facebook mais refusent d'en remettre très peu à Stop Covid. Beaucoup de polémiques se basant sur des bêtises prennent de l'ampleur, l'exemple le plus parfait étant la 5G. Les gens veulent des explications, selon lui, et il faut en donner.
Liberté, Souveraineté, RGPD
Pour mener une réflexion sur l'avenir du cloud en Europe, le Cigref a fait discuter Michel Paulin (DG d'OVH) et Helmut Reisinger (DG d'OBS). Il allait de soi que ces deux acteurs français ne pouvaient que défendre l'importance de la souveraineté. Il s'agit, bien sûr, d'éviter la dépendance vis-à-vis d'acteurs étrangers, avec le risque du « shut down » par décision politique ou, plus certainement, du détournement du patrimoine de données de nos entreprises. Au delà, il nous faut garantir nos valeurs, notre droit (face aux velléités américaines d'imposer leur droit), notre maîtrise et notre liberté. L'annulation du Privacy Shiels comme les injonctions à Facebook sont les preuves de l'ampleur du problème. 80 % du trafic Internet partant de France va vers les grandes plates-formes numériques américaines. Après le RGPD, il serait peut-être temps de se lancer dans un « RGPD des entreprises » pour préserver le patrimoine data de celles-ci des appétits américains. Aux Etats-Unis, ou en Chine, les grandes entreprises soutiennent les PME innovantes locales. Pas en France, pas en Europe. Gaïa-X est une réponse européenne mais n'est pas un cloud : c'est plus un ensemble de principes pour créer un cloud de confiance pour entreprises et particuliers, la confiance se comprenant aussi sous l'angle business de protection vis-à-vis d'abus du fournisseur.
Il fallait, pour achever les débats, le point de vue métier. Il a été apporté par Philippe Guillemot, DG d'Elior Group. Cette entreprise de restauration collective a perdu 70 % de son CA avec la fermeture des écoles et de beaucoup de restaurants d'entreprises. Le DG a surtout relevé que c'était la première fois que son secteur connaissait une crise. Il n'est plus possible, dès lors, d'accepter de voir petit à petit grignoter les parts de marché par des plates-formes mondiales telles que Uber-Eats. La bonne nouvelle, c'est que la crise a ouvert les vannes du digital dans le secteur de la restauration collective, comme le click & collect mais aussi l'exploitation du patrimoine data. Les bases de recettes sont ainsi analysées pour générer des nutriscores communiqués aux convives.
Toutes les raisons d'être optimistes (ou presque)
Malgré la crise, le Cigref a présenté un nouveau film institutionnel optimiste baptisé : « Toutes les raisons d'y croire ». Car le Cigref croit (heureusement) dans le numérique et ses perspectives. Et pourtant, comme Bernard Duverneuil l'a rappelé en conclusion, les DSI payent aujourd'hui d'avoir fait preuve d'angélisme voire de naïveté. C'est d'abord le cas avec l'écosystème, les fournisseurs sachant en profiter. Les enjeux géopolitiques ont aussi été vus trop naïvement, au risque que les entreprises soient prises en étau entre la Chine et les Etats-Unis.
Et puis, la jungle numérique s'est, depuis quelques mois, fortement ensauvagée. Il faut parler d'insécurité numérique avec une multiplication des attaques, notamment dans les PME qui n'ont pas les moyens de se défendre.
Face aux crises actuelles, notamment environnementale, le numérique est certes une partie du problème mais c'est aussi une partie de la solution. Pour Bernard Duverneuil, « c'est grâce à la force du collectif que nous nous en sortirons. »
Article rédigé par
Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
Commentaire
INFORMATION
Vous devez être connecté à votre compte CIO pour poster un commentaire.
Cliquez ici pour vous connecter
Pas encore inscrit ? s'inscrire