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Christophe Leray (DSI Les Mousquetaires) : « Les DG sont désormais conscientes que l'IT n'est pas un coût mais un outil business »

Christophe Leray (DSI Les Mousquetaires) : « Les DG sont désormais conscientes que l'IT n'est pas un coût mais un outil business »
Christophe Leray dirige la STIME, la DSI du Groupement Les Mousquetaires qui n’est plus présentée comme une SSII interne.
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°171 !
IT et Business : le mariage inévitable

IT et Business : le mariage inévitable

A force de parler de la place de l'IT dans l'entreprise, on en oublierait presque que, aujourd'hui, l'IT est consubstantielle aux process d'entreprises. L'IT nourrit le process et vice-versa. Les entreprises qui témoignent ici démontrent cette réalité : le business et l'IT n'y sont plus qu'un.

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Nommé il y a deux ans et provenant du PMU, Christophe Leray est aujourd'hui DSI du Groupement Les Mousquetaires (Intermarché, Netto, Bricomarché, Bricorama, Poivre Rouge...) et DG de la STIME, sa DSI filialisée. Il doit mener un chantier de transformation d'une grande ampleur poussée par le bouleversement du secteur de la distribution liée à la digitalisation.

PublicitéCIO : Pour commencer, pouvez-vous nous représenter le Groupement Les Mousquetaires et la STIME ?

Christophe Leray : Il s'agit d'un Groupement (et pas d'un groupe) de commerçants indépendants. Sa logique est celle d'une coopérative de commerçants mettant en commun des moyens : achats, bien sûr, mais aussi marketing, logistique... et informatique.
La STIME pilote l'informatique pour Intermarché, Netto, Bricomarché, Bricorama, Bricocash, Poivre Rouge, Roady, American Carwash, Rapid Parebrise... Une entité fait exception : Agromousquetaires, qui a sa DSI propre même si nous menons des projets communs. Il s'agit d'une structure industrielle et agro-alimentaire, quatrième de son secteur en France, générant 4 milliards d'euro de chiffre d'affaires, visant à l'approvisionnement des commerçants du Groupement. Elle possède 62 usines alimentaires, la dernière usine européenne de fabrication de couche-culottes et une usine d'ensachage de clous et vis. Depuis toujours, le Groupement a eu une politique d'intégration verticale de la chaîne de valeur avec un maximum de production locale française. La spécificité du Groupement Les Mousquetaires est la production de produits alimentaires et nous possédons ainsi 23 bateaux de pêche.
Avant, on présentait la STIME comme une SSII interne mais nous avons voulu une inflexion. Aujourd'hui, nous la présentons comme la DSI du Groupement pour affirmer un rôle régalien et de conseil. Nous fournissons tout le SI des magasins (comptabilité, paye, caisses...) et nous opérons les systèmes communs, par nature uniques. Notre force a toujours été notre capacité à déployer des solutions uniques sur tous les points de vente, toutes spécialités confondues, au contraire d'autres Groupements d'indépendants. Même si l'adhérent a la possibilité de choisir une solution propre, notre objectif est qu'il ait intérêt à choisir notre solution commune.

CIO : Traditionnellement, le Groupement Les Mousquetaires appréciait beaucoup les systèmes entièrement internes et spécifiques...

Christophe Leray : Nous avions tout de même des progiciels du marché, par exemple le PGI pour les fonctions Finances/Comptabilité/Paye. Mais, en effet, traditionnellement, beaucoup des systèmes opérationnels sont des spécifiques, même si certaines briques sont des outils du marché (comme la gestion d'entrepôt).
Nous avons nos propres datacenters avec un cloud privé dont deux inaugurés en 2017, à l'état de l'art le plus récent en matière de technologies, de sécurité et d'efficacité énergétique.



CIO : Quelle était la raison de ce choix stratégique effectué il y a de nombreuses années ?

PublicitéChristophe Leray : La logique de spécifiques était dictée par la volonté d'indépendance à tous niveaux. C'était autant vrai pour les bases logistiques et le transport que pour l'informatique. Nous avons toujours voulu dépendre d'un nombre le plus limité possible de fournisseurs.
Ce qui a été construit par Georges Epinette, à la tête de la STIME durant trente ans, était tout à fait remarquable. Mais chaque époque a ses règles.

CIO : Du coup, quel était l'objectif de votre arrivée, il y a deux ans ?

Christophe Leray : Pour s'appuyer sur l'héritage de Georges Epinette et le dépasser, les Mousquetaires ont décidé d'apporter du « sang neuf » en faisant entrer à la STIME des collaborateurs venus de l'extérieur, comme moi qui provenait du PMU. J'ai une grande admiration pour ce qu'a fait Georges Epinette. Il fallait donc savoir d'un côté conserver les acquis mais aussi pouvoir mener une transformation qui était attendue.
Mon mandat vise donc à apporter une vision renouvelée des SI alors que le secteur de la distribution est défié par de nouveaux acteurs, en premier lieu Amazon. Il ne faut pas oublier que le premier pas d'Amazon dans les magasins physiques a été dans l'alimentaire, avec le rachat de Whole Foods en 2017. Or Amazon est une entreprise d'ingénierie et de logistique, deux domaines où elle est très forte.
Avec ce débarquement d'Amazon sur nos plates-bandes, les directions des distributeurs ont pris conscience de l'importance de l'IT pour le business. Avant, la règle était qu'il fallait baisser le ration coût IT / chiffre d'affaires. L'IT était un coût à optimiser. Mais l'e-commerce, le digital, les nouveaux entrants tels qu'Amazon... tout cela change aujourd'hui la donne et la conception de l'IT vue par les directions générales du secteur de la distribution.

CIO : C'est à dire ?

Christophe Leray : Aujourd'hui, il est indispensable d'investir pour accroître la performance opérationnelle et développer le business. Depuis cinq ans, le digital est venu déclencher une prise de conscience chez les dirigeants dans tous les secteurs : l'IT n'est pas qu'un coût mais aussi un outil pour développer le business.
Le drame de la DSI, c'est d'apporter de l'automatisation aux métiers. Donc les coûts sont dans l'IT et bénéfices sont dans le métier. Cette dichotomie n'est pas toujours vu par les DG. Or si la mission de la DSI est d'apporter de la valeur au business, il faut davantage regarder cette valeur créée plutôt qu'éternellement les coûts.
Après tout, supprimer les coûts, c'est très simple : il suffit de tout arrêter. Je doute que les métiers seraient preneurs.



CIO : Pourtant, la digitalisation du commerce suppose l'omnicanal, des stocks administrés centralement, etc. N'est-ce pas antinomique avec le concept même du Groupement d'indépendants ?

Christophe Leray : Avant, c'était en effet un problème. Mais la transition du multi-canal (multiplication de canaux juxtaposés) à l'omnicanal (gestion globalisée et sans couture de multiples canaux) a été opérée il y a une dizaine d'années. Mais ça ne veut pas dire que c'est facile à faire.
Les magasins, indépendants, gèrent leurs stocks, leurs commandes, leurs prix... Donc proposer en ligne tous les stocks, oui c'est compliqué puisqu'il faut le faire par rapport à un magasin donné. Mais on le fait déjà. L'évolution que nous vivons amène une amélioration continue à ce sujet. L'essentiel est d'éviter l'effet déceptif d'une non-disponibilité d'un produit commandé en ligne lors de la récupération au drive.

CIO : Pourquoi est-ce si compliqué ?

Christophe Leray : Les SI des différents distributeurs sont partout un peu compliqués pour deux raisons historiques. La première, c'est la pression sur les budgets opérée durant des années ayant amené un sous-investissement sur le long terme et donc des systèmes non pas optimums mais minimums. La deuxième est l'écart de culture entre le commerce et l'informatique. Le commerce raisonne en semaines. Mais on ne construit pas de SI, même en mode agile, autrement qu'en mois ou années.
Le SI actuel, partout, est le résultat de quarante ans de développements, d'usages et de modifications ponctuelles. La complexité en devient parfois telle que, comme dans beaucoup de secteurs, elle devient un frein à la performance business.
Il est donc alors nécessaire de rénover l'intégralité du SI pour l'aligner sur la réponse aux besoins du business, au-delà de questions d'obsolescences techniques. Nous sommes amenés, de ce fait, à conduire la rénovation du coeur du SI en même temps que la digitalisation.

CIO : Comment va évoluer le coeur de votre IT ?

Christophe Leray : Les SI de tous les distributeurs se sont construits depuis des décennies pour permettre à des magasins de commander et de se faire livrer des marchandises. Or appliquer ce principe à des biens qui n'ont rien à voir les uns avec les autres comme des glaces, du beurre, des entrecôtes, des bouteilles de vin, des conserves, du dissolvant, etc. amène forcément une complexité énorme. L'absence de solution réelle sur le marché a, partout, amené à faire du spécifique.
Depuis quelques années, des solutions apparaissent sur le marché. Nous commençons donc à amorcer une migration vers ces solutions. Mais la règle n°1 reste : on répond d'abord aux besoins du business puis, quand on peut, on mutualise. Avant, l'optique était prioritairement la baisse des coûts et on mutualisait donc à toute force.



CIO : Et quels projets précis envisagez-vous ?

Christophe Leray : Nous avons des projets de modernisation de l'encaissement, du parcours client et aussi du référencement des articles, avec une logique de MDM. Bien entendu, nous avons de nombreux projets en matière de relation client et de marketing, au sens le plus large de ces mots. Dans quelques mois, nous allons publier des sites web et des apps rénovés
Pour tout cela, nous avons créé une digital factory réunissant les métiers et l'informatique. Les équipes mixtes agiles sont orientées produit, comme il convient, et bénéficient de l'appui de sous-traitants.

CIO : Avez-vous également des projets pour la modernisation de la collaboration interne ?

Christophe Leray : Tout à fait. Une modernisation s'imposait en effet. Nous menons ainsi un projet de digital workplace afin de migrer notre Lotus Notes vers Office 365 avec un RSE sous Facebook Workplace. Dans un premier temps, il s'agira de servir 55 000 collaborateurs. 5000 sont d'ores et déjà déployés et le nombre augmente régulièrement.
C'est un levier important de la transformation de l'expérience collaborateur et du développement de la culture collaborative. Et c'est aussi une manière de transformer l'image de l'informatique en interne en apportant une expérience collaborateur moderne.

CIO : Le Groupement a récemment annoncé une alliance autour de l'IA avec Microsoft. En quoi est-ce que cela consiste et dans quel cadre cela se construit-il ?

Christophe Leray : En fait, il s'agit de monter une data factory. Là encore, l'équipe est mixte, multi-compétences, mais centrée sur la data, aussi bien pour en garantir la qualité que pour développer des algorithmes pour l'exploiter. Nous voulons nous doter de la capacité à monter rapidement en compétences sur les sujets relatifs à la data.
Nos objectifs sont ainsi de développer la traçabilité et de fournir toujours plus d'informations au client sur le Mieux-manger (qualité nutritive, composition des recettes, information santé, etc.). C'est totalement tourné vers le client. Il y aura ensuite d'autres opportunités sur la chaîne logistique pour éviter les ruptures de stocks. Nous répondons à des défis à la fois d'ingénierie et de business.
Une fois l'approche bien rodée avec Intermarché, elle pourra être déployée sur d'autres enseignes ou à tout le Groupement.



CIO : Vous qui veillez à être très indépendants des fournisseurs, ne craignez-vous pas de devoir gérer plus difficilement ces relations fournisseurs en multipliant les collaborations avec de grands éditeurs mondiaux ?

Christophe Leray : Oui, bien sûr, le temps des systèmes totalement autonomes, pour ne pas dire autarciques, est à certains égards révolu. Mais nous n'acceptons pas pour autant de nous faire tondre la laine sur le dos. Nous avons donc besoin de méthodes d'achats adaptées. Comme le Cigref l'indique, les relations fournisseurs ne sont pas simples dans l'IT. Mais si nous voulons pouvoir capitaliser sur des solutions standards, il ne faut pas hésiter. Alors, recourir à du progiciel, oui. Etre naïf, non. Bien entendu, par exemple, nous avons aussi recours à de l'open-source.
La technologie envahit la vit des gens avant même l'entreprise et le business. Nous avons forcément à travailler avec l'agenda des grands acteurs. Mais certains fournisseurs ont été trop loin et il ne faut pas hésiter à se passer d'eux. Ceux qui ont poussé le bouchon trop loin en payent aujourd'hui le prix. L'obsolescence programmée des logiciels, c'est à dire la montée de version obligatoire, ne doit pas forcément être acceptée : personne n'est obligé d'être tondu tous les trois ans. Le Cigref veut créer un mouvement sur le marché au lieu que chacun se batte dans son coin.
Quand on prend un abonnement d'eau, de gaz ou d'électricité, on fait souvent jouer la concurrence mais on ne pose pas pour autant mille questions. Dans beaucoup de domaines de l'informatique, la tendance est à commodisation : j'ouvre le robinet, j'ai mon service. C'est le principe du SaaS. Même si la question de la réversibilité est plus compliquée pour le SaaS que pour changer de fournisseur de gaz. Mais la concurrence a toujours eu du bon, comme on a pu le constater dans la bureautique.

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