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Boutaïna Araki (Clear Channel) : « l'enjeu de la data est considérable dans la révolution digitale »

Boutaïna Araki (Clear Channel) : « l'enjeu de la data est considérable dans la révolution digitale »
Boutaïna Araki est Directrice Générale Adjointe au Pilotage de la performance de Clear Channel France
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°111 !
Priorités 2016 : les données et la gestion des risques

Priorités 2016 : les données et la gestion des risques

La révolution numérique est avant tout une révolution centrée sur les données. Nouveaux modèles économiques, nouveaux services, nouvelles organisations... Les données seules sont les ressorts de toutes ces transformations. Les données doivent donc être protégées. Mais elles servent aussi à protéger...

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Concurrent direct de JCDecaux, Clear Channel a mené sa révolution digitale sur l'ensemble de son métier de la communication extérieure, y compris l'affichage traditionnel papier, transformant son modèle économique. Comme l'indique Boutaïna Araki, Directrice Générale Adjointe au Pilotage de la performance de Clear Channel France, le traitement des données est au coeur de cette transformation numérique.

PublicitéCIO : Qu'amène la transformation numérique d'un métier somme toute ancien comme l'affichage extérieur publicitaire ?

Boutaïna Araki : De fait, l'affichage outdoor date des peintures rupestres et nous nous targuons donc d'avoir le plus vieux média du monde. En France, la réglementation limite l'affichage digital extérieur bien plus qu'aux Etats-Unis où des panneaux lumineux avec changement d'affichage (même à l'époque du néon) étaient fréquents. Comme ce genre de publicité était interdit en France, l'image de la publicité extérieure y était celle d'un média très traditionnel, parfois délaissé au profit d'autres médias.
La transformation numérique a totalement bouleversé cette situation et a permis à des annonceurs de revenir vers nous. Nos modèles économiques innovants, avec des offres plus ciblées, donc largement basées sur la data, ont en effet su les séduire.

CIO : En quoi, pour vous, a concrètement consisté cette révolution digitale ?

Boutaïna Araki : C'est une révolution qui se décline dans plusieurs directions. La plus évidente pour le profane, car la plus visible, est celle des écrans digitaux remplaçant les panneaux traditionnels avec affiche papier. Mais passer d'une affiche papier à une affiche digitale ne change pas fondamentalement les choses même si les créations sont différentes et peuvent être interactives.
La révolution est par conséquent bien au delà, dans la manière, par exemple, dont les emplacements vont être commercialisés. La révolution du media-planning a donc été considérable et d'ailleurs pour l'ensemble de notre métier, y compris pour les affiches papier.
Enfin, et surtout, la révolution de la data a commencé à tout changer. Et cette révolution-ci n'est pas terminée, loin s'en faut.

CIO : Commençons par le facile : les écrans digitaux. En quoi a consisté cette première révolution pour Clear Channel ?

Boutaïna Araki : Pour Clear Channel France, tout a commencé par deux appels d'offres fondateurs que nous avons remportés en 2011 pour l'affichage publicitaire extérieur dans les centres commerciaux de Unibail-Rodamco et Klépierre. Ces deux foncières possèdent les centres commerciaux qui accueillent ensuite diverses enseignes. Nous avions gagné car nous avions proposé des écrans digitaux à une époque où les centres commerciaux voulaient moderniser leur image.
Mais il ne s'agissait pas de simplement remplacer le papier par une image plus ou moins animée. Pour créer un produit différent, nous avons créé une start-up interne dédiée au digital ainsi qu'un studio de création interne pour renouveler notre proposition de valeur. Nous avons notamment recruté des gens venus du monde du web pour intégrer certains concepts utilisés sur Internet. En particulier, nous avons totalement changé notre média-planning en développant, en mode agile, un outil spécifique.

PublicitéCIO : Justement, ce média-planning constitue votre deuxième révolution. Pourtant, il s'agit toujours de vendre de l'espace d'affichage...

Boutaïna Araki : Plus vraiment, justement. Dans l'affichage traditionnel, chaque emplacement possède des faces orientées vers des directions différentes. Ces faces sont regroupées dans des réseaux. Un même emplacement pouvant comporter jusqu'à quatre faces, il peut donc appartenir jusqu'à quatre réseaux. Chaque réseau vise un certain type d'audience ou d'objectif, en fonction du public qui passe devant. Chaque réseau est normalement vendu pour une semaine.
Avec les écrans digitaux, la première révolution est que les positions peuvent être relatives. Par exemple, tel écran est situé à proximité de telle enseigne. Il n'y a plus de réseau fixe. On peut donc aussi bien gérer des interdictions contractuelles (par exemple une publicité pour Marionnaud dans un centre commercial où il existe un Sephora) qu'une adéquation à un environnement (une publicité pour Darty près d'un magasin de cette enseigne).
Surtout, on ne vend plus un affichage mais un temps d'affichage. Un même écran peut être vendu à plusieurs annonceurs au sein d'une même journée. Et le passage des publicités peut être optimisé -comme à la télévision- en fonction de critères d'audience et de ciblage : un hypermarché le samedi après-midi n'a pas la même fréquentation que le même magasin en soirée de semaine ou le mercredi après-midi.
Comme sur l'affichage traditionnel, les concessions des villes prévoient en général une part de voix pour les informations municipales. A Nîmes, par exemple, c'est la moitié du temps de diffusion qui sert à la communication locale. La ville peut ainsi diffuser des messages en temps réel correspondant à tel ou tel quartier voire, éventuellement, en profiter pour interagir avec les citoyens, par exemple pour collecter des opinions sur telle ou telle question d'intérêt local. L'outdoor fait partie des réflexions autour de la smart city.

CIO : Avant de rentrer dans le détail des audiences, avec la révolution data induite, que change, pour l'annonceur, le fait d'avoir un écran dynamique, d'un point de vue de création publicitaire ? N'est-ce pas aussi un mode de communication qui attire les vandales ?

Boutaïna Araki : Je vais évacuer de suite la question du vandalisme qui est une tarte à la crème classique. Tous les afficheurs ont appris à surveiller leurs réseaux depuis longtemps, ne serait-ce que pour empêcher que leurs affiches soient recouvertes par de l'affichage sauvage. Pour les écrans digitaux, en plus, nous devons respecter des normes très sévères de solidité. Ils sont très compliqués à casser. De plus, ils sont destinés à un public de piétons et dans des zones de coeur de ville, peu dangereuses. Le risque réel est donc très faible.
Par contre, au niveau création, le digital va beaucoup changer de choses. Les créations vont pouvoir être riches, différenciées (selon l'heure, le lieu, le type d'audience...) et interactives. Par exemple, au moment de la COP 21, nous avons monté un partenariat avec la start-up Gov. Celle-ci permet à des internautes de débattre de sujets de société et de confronter leur propre opinion à l'opinion moyenne. Nous avons affiché sur nos écrans digitaux des sujets initiés par des personnalités et les débats qui ont suivi avec un appel à interagir. Cette interaction pouvait être directe sur les panneaux tactiles ou via un smartphone utilisant l'application Gov.
Cette opération a démontré la capacité des panneau à susciter l'interaction. Nous avons ainsi cumulé 800 000 actes de votes en deux semaines, générant une grande masse de données. Notre média est une balise dans la rue et il peut être interactif en temps réel.

CIO : Avec cette interaction temps réel, on en revient à ladata. Quelles données traitez-vous et pour quel usage ?

Boutaïna Araki : La data transforme tout le métier de l'affichage extérieur, même sur les supports traditionnels papier. Mais commençons par un exemple simple. Sur un écran digital, vous pouvez déclencher une publicité lors d'une circonstance, par exemple, si la température dépasse 30°C, davantage diffuser de la publicité pour des glaces ou des boissons.
Pour l'instant, nous traitons du Big Data avec des données essentiellement froides. C'est notre méthode CAST (Consumer Audience Smart Tracking). Nous traitons ainsi des données de population mais aussi d'audiences d'axes (les gens qui passent sur une route n'habitent pas nécessairement dans le quartier), de qualification socio-comportementale (2000 critères d'utilisation de tel ou tel produit), ou d'achats en mode sorties de caisses à partir de l'analyse des tickets de caisse. Nous sommes ainsi capables de qualifier un parcours et un profil de ceux qui passent devant nos panneaux et avec quelle fréquence.
En termes de média-planning, nous commençons à appliquer des méthodes qui se rapprochent du web, y compris pour vendre de l'audience qualifiée au lieu de vendre du temps de diffusion. Aujourd'hui, nous pouvons vendre au coût pour mille contacts qualifiés. L'outdoor est le seul média qui ne peut pas se reposer sur une affinité avec un contenu éditorial qui va attirer une audience par cette affinité. La publicité en presse, à la radio ou à la télévision est censée avoir une audience liée au contenu éditorial. Nous, nous n'avons pas de tel contenu. Mais la data permet à ce média d'adopter son propre mode de ciblage socio-comportemental.
L'enjeu de la data est considérable dans la révolution digitale. Et ce n'est pas fini !

CIO : Pour demain, quels seront les enjeux ?

Boutaïna Araki : L'enjeu sera de passer de la donnée froide à la donnée chaude ou temps réel. On peut imaginer, par exemple, d'adapter dynamiquement le média-planning en fonction du succès (ou non) d'une campagne promotionnelle. On pourrait aussi tenir compte en temps réel de la fréquentation effective d'un lieu, comme une galerie commerciale, au lieu d'utiliser des données moyennes lissées.
Il nous faudra alors démontrer la pertinence de nos modèles de données, ce qui sera plus complexe qu'avec les données froides aux sources multiples et certifiées.

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