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Bernard Gavgani (DSI, BNP-Paribas) : « la guerre des talents est l'enjeu de demain »

Bernard Gavgani (DSI, BNP-Paribas) : « la guerre des talents est l'enjeu de demain »
Bernard Gavgani est DSI groupe de BNP-Paribas depuis octobre 2018.
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°199 !
L'humain et l'environnement : l'IT doit les servir

L'humain et l'environnement : l'IT doit les servir

Les "ressources humaines" sont avant tout des ressources. Il s'agit bien de talents que l'entreprise doit savoir rassembler, animer, retenir, faire progresser... Les talents dans le numérique sont rares en regard des besoins et les soigner est d'autant plus essentiel. De la même façon, ménager et...

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Groupe bancaire mondial, BNP-Paribas a revu sa stratégie informatique à plusieurs reprises ces dernières années. Récemment, le groupe a repris le contrôle total de BP2I, anciennement co-entreprise avec IBM. Dans une entreprise comptant 38 000 informaticiens, la guerre des talents est un véritable enjeu. Bernard Gavgani, DSI groupe de BNP-Paribas, revient sur la stratégie qu'il met en oeuvre, autant technique que ressources humaines, ainsi que sur la gestion et les suites des deux incidents majeurs de 2019.

PublicitéCIO : Pour commencer, pouvez-vous nous représenter le groupe bancaire BNP Paribas et le rôle de la DSI groupe ?

Bernard Gavgani : BNP Paribas est présent dans 68 pays, avec une forte présence européenne. Nous employons 193 000 collaborateurs dont plus de 148 000 en Europe. Nous sommes organisées en métiers, pôles, divisions et fonctions.
Dans les métiers, par exemples, on trouve la banque de détail ou le crédit à la consommation (Cetelem). Les pôles représentent des ensembles cohérents, notamment en termes de typologie de clients. « Retail Banking » regroupe ainsi la banque de détail, le crédit à la consommation, le leasing... en France, Belgique, Luxembourg, Italie, Pologne, Afrique... Le pôle « Investment Protection Services » correspond aux assurances (Cardif), à la banque privée et au real estate. Enfin, la banque d'investissement et le corporate banking correspondent au pôle CIB, notre principale activité internationale. Pour terminer, les fonctions peuvent être intégrées (inspection générale en charge du contrôle interne et de la conformité, finances, etc.) ou transversales (DRH, DSI, Achats...).
D'un point de vue organisation IT, les métiers sont relativement autonomes mais restent sous une gouvernance commune définie par la DSI groupe.

CIO : Du coup, quelles sont les relations de la DSI groupe avec les métiers ?

Bernard Gavgani : Chaque métier a son DSI et son SI mais tout est évidemment très interconnecté. Il n'y a aucune exception dans le principe que les DSI métiers ont une certaine autonomie mais doivent respecter la stratégie centrale. La partie « régalienne » du SI (sécurité, production...) est sous l'autorité directe de la DSI groupe. De même, la gouvernance, les règles de fonctionnement, la gestion des risques... sont définies sous l'autorité de la DSI groupe. Les règles de fonctionnement sont communes.
La production est mutualisée à Paris mais le pôle CIB, très international, dispose d'une délégation pour la partie internationale du SI. Les outils sont essentiellement communs pour une utilisation commune mais sous la réserve du pragmatisme. Toutefois, lorsque l'on utilise des outils communs, il faut avoir conscience des potentielles fragilités, qui peuvent être communes, et face auxquelles il faut rester bien sûr très vigilant. Par ailleurs, il arrive que certains outils ne soient pas adaptés à tous les usages. Je préfère donc avoir à gérer deux outils plutôt qu'un seul si cela se justifie par les usages et les besoins.



CIO : En décembre dernier, BNP Paribas a pris le contrôle intégral de ce qui était jusque là une co-entreprise avec IBM, BP2I. Pourquoi cette décision ? Qu'implique-t-elle ?

PublicitéBernard Gavgani : Pour bien comprendre, il faut revenir un peu en arrière. En 2004, nous avons créé une co-entreprise avec IBM pour centraliser toute l'infrastructure du groupe car nous souhaitions optimiser la maîtrise des technologies ainsi que l'organisation des équipes. Le seul partenaire possible pour nous accompagner partout dans le monde et sur l'ensemble du groupe était IBM. BP2I nous a donc permis de bénéficier d'une infrastructure mutualisée.
En 2010, nous avons ajusté le modèle et adopté des nouveautés architecturales. Les équipes d'IBM nous a également beaucoup apporté à cette époque. En 2013, nous avons développé notre cloud privé. Puis, en 2016, afin de préserver nos niveaux d'expertise et éviter des problèmes d'obsolescence, nous avons adopté une nouvelle approche et renouvelé nos infrastructures. Nous avons ainsi construit un nouveau cloud protégeant aux mieux les données des clients et permettant à toute la banque d'innover. Le seul fournisseur du marché à avoir donné une réponse conforme à notre demande a été, de nouveau, IBM. Nous avons donc construit un cloud hybride qui garantit la même protection des données qu'un cloud privé mais qui bénéficie de toutes les innovations issues du cloud public d'IBM.
En 2019, BNP Paribas a d'abord renforcé son partenariat avec IBM autour de ce cloud. Ensuite, en 2021, une réflexion entre BNP Paribas et IBM a été entamée sur l'évolution du partenariat concernant la co-entreprise BP2I. Elle était motivée par l'intensification de la réglementation bancaire sur l'informatique des banques, les besoins croissants de transformation de BP2I et la propre transformation d'IBM. Depuis le 1er janvier 2022, BP2I est ainsi une filiale 100% BNP Paribas et sera un des piliers de transformation digitale de la banque.
La transition réussie de BP2I et sa transformation progressive sont des enjeux majeurs pour BNP Paribas, et nous accompagnerons les équipes BP2I tout au long de cette intégration.
Il est possible que BP2I accueille des informaticiens salariés de BNP Paribas en détachement pour qu'ils puissent découvrir la production. La nouvelle organisation offre désormais davantage de proximité entre les clients internes et les équipes informatiques de BP2I, qui ne font pas seulement de la production mais aussi de l'innovation.
L'évolution de BP2I n'impacte pas la bonne relation de longue date entretenue par BNP Paribas et IBM. En effet, la relation commerciale entre les deux groupes est stratégique et dépasse le seul cadre de BP2I. A titre d'exemple, nous menons des réflexions avec IBM afin d'envisager un partenariat technologique autour de l'innovation qui viserait à structurer les études conjointes, notamment sur la cyber sécurité et la résilience du mainframe, la data, la blockchain, l'intelligence artificielle ou encore le quantum computing [informatique quantique].



CIO : Comment une banque internationale, par nature soumise à d'innombrables réglementations nationales parfois tatillonnes, peut-elle rester agile et innovante en ayant un SI essentiellement centralisé ?

Bernard Gavgani : Nous sommes présents dans 68 pays et nous devons donc traiter le sujet de la conformité dans chacun de ces pays. Nous avons conçu notre cloud en respectant l'ensemble des points propres à chaque réglementation. Il peut certes y avoir des pays au sein desquels les régulateurs souhaitent rendre plus strict le cadre dans lequel nous opérons, mais certaines règles restent communes. Donc en ayant une parfaite maîtrise du respect des points communs, il faut ensuite porter une attention particulière aux spécificités de chaque pays.

CIO : Une autre question récurrente dans tous les réseaux bancaires est le grand nombre d'agences réparties sur l'ensemble du territoire. Comment est mise en oeuvre l'informatique de celles-ci ?

Bernard Gavgani : Plutôt que de retracer l'histoire depuis le commencement, je vous propose de nous centrer sur les éléments les plus récents. Il y a quelques années, certaines actions que nous réalisons très rapidement aujourd'hui prenaient beaucoup plus de temps. Changer un élément, comme une ligne téléphonique, supposait une intervention d'un technicien sur place, qui devait donc se déplacer.
Le SD-Wan pour l'ensemble de nos agences françaises a notamment révolutionné cela. Tout, aujourd'hui, est devenu simple. Les informaticiens ont, du coup, un métier à plus forte valeur ajoutée. Ils peuvent procéder à l'ensemble des ajustements nécessaires en temps réel, de manière centralisée et souvent automatisée. La performance des ressources des agences est pilotée en central, avec des effets immédiats. De fait, les clients bénéficient également d'un service encore plus rapide. Le SD-Wan contribue à l'omnicanalité de la banque en permettant un service aussi bon en ligne qu'en agence et sans aucune interruption.
Nous avons travaillé, pour le réaliser, avec Orange Business Services. Ce prestataire a réalisé un travail extraordinaire, même durant les confinements. Malgré la crise sanitaire, les engagements et les délais ont été tenus et le transfert de compétences aux équipes de BNP Paribas a été parfaitement réalisé.

CIO : Précisément, comment avez-vous géré la crise sanitaire ?

Bernard Gavgani : Le SD-Wan n'était pas encore déployé partout. Mais, cependant, nous avons pu basculer du jour au lendemain tous nos services en télétravail à domicile tout en gardant nos agences ouvertes afin d'assurer à nos clients la continuité des services.



CIO : Aujourd'hui, quels sont vos défis ?

Bernard Gavgani : Bien entendu, je pourrais parler des défis classiques qu'ont toutes les banques voire toutes les entreprises, liés par exemple à la cybersécurité. La crédibilité de la banque passe par la confiance de nos clients, ce qui nécessite une cybersécurité parfaite et une totale protection des données.
On peut également évoquer la continuité de service car il est très important pour nos clients de pouvoir réaliser leurs opérations, notamment de banque au quotidien, quand ils le souhaitent.
L'innovation repose sur une maîtrise réelle de la data. Notre utilisation de l'IA contribue à mieux contrôler et piloter la performance de notre SI, y compris les outils externes. Nous en avons toujours eu beaucoup de données et nous disposons aujourd'hui de capacités de stockage et de calcul inédits.
Notre principal défi est surtout de disposer des bons talents pour toujours continuer à innover. La guerre des talents est l'enjeu majeur de demain. Nous disposons de 38 000 informaticiens, dont la moitié de salariés internes, à qui nous assurons un plan de carrière. Nous avons également de fortes ambitions quant à la féminisation de nos métiers IT. Dans ce cadre, nous avons lancé fin 2020, dans le monde entier, un projet destiné à accueillir davantage de femmes au sein de cette fonction. Dans le même temps, nous misons sur les programmes de mobilité interne et les solides dispositifs de formation du groupe. Les informaticiens, cela ne se résume pas aux ingénieurs en informatique. Nous avons par exemple la possibilité de donner une « couleur informatique » à des collaboratrices et des collaborateurs issus du métier.
Mon engagement, c'est mille femmes de plus dans l'IT d'ici 2025. A chaque fois que nous procédons à une embauche, nous faisons en sorte de disposer de la candidature d'une femme en short-list.
La formation et l'accompagnement dans l'acquisition de nouvelles compétences sont essentiels pour attirer, recruter et retenir nos talents.

CIO : Vous avez parlé de la problématique de la continuité de service. Or, en 2019, BNP-Paribas a connu deux incidents majeurs en deux mois sur lesquels il y a eu absence de transparence de la part de BNP-Paribas. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Bernard Gavgani : Quand le premier incident est survenu, nous avons évidemment pris le sujet très au sérieux et avons immédiatement mené une analyse pointue et identifié son origine. Dans la foulée, nous avons eu des échanges très réguliers avec la direction générale pour apporter tous les correctifs nécessaires.
Chez BNP Paribas, ce sont 25 000 applications qui fonctionnent chaque jour. Et il faut que chacune tourne sans incident et qu'il n'y ait pas non plus d'incident sur leurs relations. Ces applications connaissent bien sûr des évolutions et elles nécessitent chacune, en moyenne, deux mises-à-jour par semaine. Nous nous assurons qu'il n'y ait aucune interruption, et qu'elles fonctionnent à tout moment partout dans le monde : le Moyen-Orient travaille les samedis et dimanches, la nuit, l'Asie démarre, etc. C'est une véritable machine de guerre qu'il faut faire tourner. Nos datacenters représentent l'équivalent de six terrains de football et nous les manions avec beaucoup de précaution.
Mais le plus important est de toujours tirer des leçons des incidents et de tout mettre en oeuvre pour qu'ils ne se reproduisent plus.

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