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Audrey Brayer, Pierre & Vacances : « nous faisons évoluer 90% de notre portefeuille applicatif »

Audrey Brayer, Pierre & Vacances : « nous faisons évoluer 90% de notre portefeuille applicatif »
Audrey Brayer, directrice de l’innovation et DSI de Pierre & Vacances Center Parcs : « en trois ans, nous avons ainsi réussi à économiser entre 20 et 25% du budget de fonctionnement de la DSI ». (Photo : Bruno Levy)

La DSI de Pierre & Vacances Center Parcs est au coeur du projet de transformation d'un groupe qui a été secoué par le Covid. Ses actions ont un rôle essentiel tant sur le volet performance économique - celle de la DSI comprise - qu'en matière de modernisation de l'expérience client.

PublicitéAprès les turbulences du Covid, qui l'ont obligé à se refinancer, le groupe Pierre & Vacances Center Parcs (PVCP) a renoué récemment avec les bénéfices (29 M€ sur le dernier exercice annuel). La société (1,9 Md€ de chiffre d'affaires pour 13 000 collaborateurs) présente principalement en B2C (directement ou via des partenaires), mais également en B2B, via les CE, l'organisation de séminaires ou événements d'entreprise est engagée dans un programme de transformation, Reinvention, visant notamment à améliorer la performance du groupe, tout en repensant l'expérience client.

Autant de défis auxquels a été confrontée Audrey Brayer, la directrice de l'innovation et DSI de PVCP, une ancienne d'Accenture passée par Nexans et Accor. A la période de gel des investissements a succédé un programme massif de renouvellement des applicatifs et de migration vers le cloud. Avec 180 personnes en interne, auxquelles s'ajoutent 70 à 80 prestataires en régie et des partenaires nearshore et offshore, la DSI de Pierre & Vacances Center Parcs travaille avec un budget annuel d'environ 50 M€, dont 20 pour le développement et les projets. Avec l'ambition, une fois le pic actuel d'investissements passés, de revenir à une cible de 15 M€ sur ce volant du budget IT.

CIO : Vous êtes arrivée au sein du groupe Pierre & Vacances Center Parcs en 2021. Quelle était alors votre feuille de route ?

Audrey Brayer : En 2021, l'entreprise n'était pas encore sortie de la période Covid. C'était un des moments les plus compliqués pour le groupe, juste avant la restructuration financière qui a vu l'arrivée de trois nouveaux actionnaires en 2022. Le mandat était alors extrêmement simple : assurer la pérennité du groupe ! Assez rapidement, nous sommes parvenus à sécuriser l'avenir de l'entreprise et avons pu démarrer des discussions de plus long terme et la structuration de Reinvention, le plan de développement lancé par notre directeur général Franck Gervais dès avril 2021. Ce plan, courant jusqu'en 2025, a été étendu l'an dernier avec Beyond Reinvention, qui nous emmène jusqu'à fin 2028.

Dans ce cadre, le mandat qui m'a été confié se déployait selon trois axes : la contribution de l'IT à la performance de l'entreprise, soit la croissance du chiffre d'affaires, la transformation des métiers et l'expérience client ; la performance de la DSI elle-même, avec des objectifs sur le court terme, mais aussi sur un temps plus long ; et, enfin, la robustesse et la résilience de nos SI. Il faut avoir en tête que notre département IT est centralisé et couvre l'ensemble des fonctions technologiques et data de toutes les entités du groupe. Nous avons cette capacité à mutualiser et à atteindre une masse critique qui nous permet d'être performants à l'échelle du groupe. Mais nous devons aussi être en mesure de couvrir les spécificités de chacun de nos métiers et de chacune de nos marques.

PublicitéConcernant le premier impératif d'économies, quelles décisions prenez-vous alors ?

D'abord, en 2021, nous avons limité au maximum le budget build, touchant les évolutions et projets, pour circonscrire les investissements aux sujets réglementaires ou relevant d'obsolescences critiques. Évidemment, il y avait un sujet de liquidités pour le groupe, mais nous voulions aussi prendre le temps, après la période de Covid très chahutée, de reconstruire avec les métiers une feuille de route, des priorités et une gouvernance pour piloter les choix d'investissement par la valeur. Et aussi travailler avec eux sur les initiatives à mener pour servir les ambitions du plan Reinvention, mais aussi les autres axes de notre stratégie autour de la robustesse et la performance de l'IT.


« Pour qu'une DSI soit performante sur ses services et en termes financiers, des investissements sont indispensables pour limiter le niveau d'obsolescence ou accroître l'automatisation. » (Photo : Bruno Lévy)

Quelles actions avez-vous justement menées pour améliorer la performance de l'IT ?

Durant le Covid, beaucoup de décisions ont été prises pour baisser les coûts au maximum, sur le recours aux prestations, sur les licences, etc. Mais il s'agissait d'actions à court terme, de décisions de crise. Or, pour qu'une DSI soit performante sur ses services et en termes financiers, des investissements sont indispensables pour limiter le niveau d'obsolescence ou accroître l'automatisation. De nombreux projets de notre feuille de route visaient ainsi à générer des économies sur le fonctionnement de l'IT. En trois ans, à périmètre constant, nous avons ainsi réussi à économiser presque 10 M€ sur le run, soit entre 20 et 25% du budget de fonctionnement total.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples de projets qui ont contribué à ce résultat ?

Nous avons largement rationalisé le nombre d'outils utilisés par les métiers, en faisant converger les IT de Pierre & Vacances et de Center Parcs. Tout en gardant l'équilibre entre rationalisation économique et couverture des besoins spécifiques. Car les deux activités sont de nature très différente : Center Parcs réalise 1,1 milliard d'euros de chiffres d'affaires avec 29 sites dans 4 pays, tandis que Pierre & Vacances compte 180 sites pour 370 M€. Nous avons analysé les besoins de chaque entité et, finalement, nous avons réussi à mutualiser 95% du périmètre IT, avec globalement des processus très similaires.

Par exemple, le système de réservation de Center Parcs est en cours de migration sur la solution de Pierre & Vacances, développée en interne. A l'inverse, en matière de gestion des sites (Property Management System), c'est la solution développée pour Center Parcs qui est déployée sur l'activité Pierre & Vacances. De même, les outils de gestion des revenus et de CRM B2B ont été mutualisés, via le déploiement de solutions du marché, respectivement Duetto et Salesforce.

Est-ce que cet effort a permis de décommissionner certaines applications ?

Oui, cela fait partie des économies réalisées. Au moins, une vingtaine l'ont déjà été et encore autant doivent l'être prochainement. Ce patrimoine applicatif disparate était le résultat des choix du groupe ces dix dernières années, qui a investi plutôt sur les canaux digitaux que sur la partie moins visible. Et c'était un choix pertinent : nous affichons aujourd'hui un ratio supérieur à 75% en matière de distribution directe, via le seul canal web.


« Notre solution de Property Management a été créée par une équipe interne, qui est partie des besoins des sites, et a donné naissance à une co-entreprise, dont nous sommes aujourd'hui les clients. » (Photo : Bruno Lévy)

En parallèle, vous avez lancé un programme de migration vers le cloud. Où en êtes-vous aujourd'hui ?

Nous avons démarré plutôt de manière opportuniste pendant la période Covid, pour éviter des investissements liés à des rachats de machines notamment. A mon arrivée, avec l'équipe, nous avons mené un travail de projection stratégique et budgétaire pour anticiper comment l'IT devait changer pour être au rendez-vous du plan Reinvention. Nous avons rapidement identifié le fait que nous serions confrontés à des enjeux d'expérience client et de croissance des besoins. Nous avions donc besoin d'un time-to-market plus resserré. Combiné à l'équation économique, ce facteur a fait que le cloud s'est imposé à nous comme une évidence. Aujourd'hui, hors sites web, nous avons migré plus de 90% de nos applicatifs, le solde étant constitué d'applications que nous devons décommissionner dans le cadre des projets en cours. Nous sommes donc tout proches d'une migration complète vers le cloud Azure. Au fil du temps, nous sommes peu à peu passés d'une stratégie Lift and Shift à une approche davantage centrée sur le replatforming, à mesure que nos équipes gagnaient en compétences.

Comment l'IT contribue-t-elle à l'efficacité opérationnelle des lignes métiers ?

La stratégie Reinvention passe par l'expérience client, ce que nous appelons la montée en gamme de nos offres - donc la croissance du chiffre d'affaires -, la performance des opérations, le développement de notre parc de résidences de vacances et la transition énergétique. Et l'IT a vocation à servir chacune de ces ambitions. Par exemple, sur la performance opérationnelle des métiers, nous déployons OnSite 360, solution de Property Management qui remplace une batterie d'outils chez Centers Parcs. Pour préparer les arrivées du vendredi, trois ou quatre personnes étaient auparavant mobilisées dans chacun des 29 sites de Center Parcs. Avec OnSite 360, cette préparation s'effectue en une heure, ce qui a permis aussi d'être plus flexible sur les jours d'arrivée des clients, donc d'améliorer leur expérience. Cette solution a été créée par une équipe qui est partie des besoins des sites, sur la préparation du séjour, le check-in online, la gestion de la caution, l'encodage des bracelets pour le contrôle d'accès, etc. Le développement d'OnSite 360 a d'ailleurs donné naissance à une co-entreprise, l'équipe qui l'a conçu ayant créé sa propre activité - dont nous sommes les clients - après avoir été incubée au sein de la DSI.


« Une fois les projets achevés, comme sur le Property Management System, notre approche consiste ensuite à passer en mode produit. » (Photo : Bruno Lévy)

Comment est organisée cette DSI qui mutualise les besoins des différentes marques, Center Parcs, Pierre & Vacances, mais pas seulement ?

Nous travaillons effectivement aussi pour la plateforme Maeva et sur le back-office d'Adagio, co-entreprise entre notre groupe et Accor. Sur le périmètre relatif au web et aux apps, une organisation par produits était déjà en place à mon arrivée. Ailleurs, il faut garder à l'esprit que nous sommes en train de faire évoluer 90% du portefeuille applicatif. Après la phase de réduction du budget de build, nous l'avons multiplié par deux par rapport au niveau de 2019, soit avant la pandémie. Ce qui représente une enveloppe totale d'environ 20 M€, dont 70% sont liés à un mode de delivery agile. Une fois ces projets achevés, comme sur le Property Management System, notre approche consiste ensuite à passer en mode produit.

Concernant l'organisation de la DSI à proprement parler, il y a eu des évolutions, mais les grandes structures sont restées en place. Comme l'équipe infrastructures et opérations, qui porte aussi la cybersécurité. C'est elle qui a conduit le projet cloud. Aujourd'hui, nous sommes en pleine transformation culturelle vers le devops, ce qui génère des questions de la part des salariés sur les standards ou les responsabilités. Mais ce sont des débats assez sains !

J'ai aussi renforcé, dès mon arrivée, le pôle de pilotage financier de la DSI et de gouvernance du portefeuille. Au-delà de l'amélioration de la gestion budgétaire, ce CIO Office a aussi un rôle de dialogue avec les entités métiers sur les coûts de leur IT. Ce qui essentiel pour les responsabiliser sur les choix, les projets prioritaires, les leviers de performance, les niveaux de service, etc. Enfin, j'ai créé une cellule performances, standards et outils, avec plusieurs objectifs : incarner un besoin de transversalité ; être une locomotive sur la transformation cloud et devops, en initiant les nouvelles pratiques avant de les transférer aux équipes opérationnelles ; mettre en place les processus Itil ; et, enfin, assurer une relation de proximité avec les sites, via des relations avec les patrons de sites ou de pays.

Au sein de cette cellule, nous venons également de créer une équipe GenAI Studio, constituée d'une dizaine de personnes et qui a vocation à délivrer les applications de notre feuille de route sur cette technologie. Dans un premier temps, nous travaillons sur la création d'une communauté et sur la gestion du changement avant un déploiement très large d'outils de productivité à travers toute l'organisation. Et, à côté de cela, nous avons lancé l'initiative Process Boosters, visant à transformer la manière dont chaque métier travaille avec la GenAI. Via ce programme, démarré il y a quelques mois, 60 initiatives de transformation ont déjà été identifiées, comme la création de contenus personnalisés en quasi-temps réel, en fonction des profils de clients.

Est-ce que la data fait partie du périmètre de la DSI ?

Ce n'était pas le cas avant mon arrivée. Mais Franck Gervais a choisi de regrouper ces équipes avec celles du pôle technologique, même si récemment les compétences relatives à l'acquisition, comme l'achat de mots-clefs sur Google, sont reparties vers la direction marketing. Mais la plateforme - sur GCP -, la gestion de campagnes, les applications analytiques, la BI ou encore la connaissance clients sont intégrées à la DSI. Ces équipes ont été récemment rapprochées de celles en charge du digital, avec la volonté d'aller plus loin sur la connaissance des parcours clients, de gagner en réactivité entre la mise en production de nouvelles fonctions sur les canaux de distribution et l'analyse de leur impact, mais aussi de progresser dans la personnalisation de ces parcours.


« Il faut s'interroger sur l'impact que la GenAI aura sur les grands équilibres de l'IT. Ce qui était vrai avant - par exemple sur l'équilibre entre composants logiciels sur étagères et développements maison - ne le sera potentiellement plus demain. » (Photo : Bruno Lévy)

Quel impact la GenAI a-t-elle aujourd'hui sur la relation avec les clients ? Qu'en sera-t-il demain ?

Nous avons plusieurs projets sur les usages de l'IA générative dans ce domaine. Par exemple, dans nos centres de contact, pour faciliter la génération de réponses aux réclamations clients. Nous travaillons sur une v2 de cette solution, en y greffant des fonctions permettant à l'agent de moduler sa réponse afin d'en renforcer l'adoption. Autre exemple, avec Virtual Concierge, un projet déployé chez Center Parcs. Il s'agit d'un chatbot sur le canal Whatsapp de certains sites, permettant aux clients sur place de dialoguer avec l'équipe en charge du parc. Ces réponses étaient auparavant effectuées manuellement, alors que 90% des questions sont relativement standards. Car les clients n'ont pas envie d'une réponse de type FAQ. Nous avons donc greffé un moteur d'IA générative sur notre FAQ, sur la base de produits et sur un historique de questions/réponses, qui nous permet de traiter automatiquement 90% des questions et d'engager des conversations avec les clients. Sur les deux sites où cette solution est déployée, le taux de satisfaction de la clientèle est très élevé. La question qui se pose aujourd'hui, ce n'est pas de savoir si nous allons généraliser cette approche - une évidence à mes yeux -, mais de trouver la bonne stratégie de sourcing. Développer ce type de services devient de moins en moins cher pour une DSI, notre propre utilisation de la GenAI modifiant notre approche de la production de code. Il faut, en effet, s'interroger sur l'impact que l'usage de cette technologie aura sur les grands équilibres actuels de l'IT. Ce qui était vrai avant - par exemple sur le poids des composants logiciels sur étagères par rapport à celui des développements maison - ne le sera potentiellement plus demain.

Votre fonctionnement repose beaucoup sur des intégrations entre systèmes. Est-ce que, demain, l'IA agentique pourrait effectuer une partie de ces tâches ?

C'est évidemment un développement que nous étudions. Nous nous posons surtout beaucoup de questions sur l'évolution de la distribution. Nous sommes en train de tester de premières approches avec Maeva, une plateforme servicielle pour les propriétaires de logements de tourisme. Pourquoi, demain, un consommateur n'effectuerait-il pas sa réservation directement sur un canal comme Whatsapp ?

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