Arnaud Rayrole (Lecko) : « Les gains de productivité obtenus par le digital plafonnent »

Les facilités fournies par le digital ont des effets nocifs. Le cabinet Lecko, qui vient de publier la nouvelle édition de son étude annuelle sur les pratiques de collaboration en entreprises, insiste sur le besoin de passer de la modernisation à la transformation.
PublicitéLe 29 janvier 2019, le cabinet Lecko a présenté les résultats de la nouvelle édition de son étude annuelle sur les outils et les pratiques de collaboration dans les entreprises. Désormais moins focalisée sur la comparaison fonctionnelle des produits, elle s'intéresse plus à la transformation numérique des organisations, sans pour autant délaisser son coeur initial (voir encadré). Ce tome 11 de l'étude s'intitule ainsi « La data au coeur de la transformation ». A l'occasion de cette présentation, Arnaud Rayrole, Directeur Général de Lecko, a présenté les nouveaux locaux de l'entreprise qui va en profiter pour développer des activités telles que des événements avec des clients.
Le besoin d'amener les entreprises à se transformer est devenu encore plus important ces dernières années. Le numérique a cessé d'être une panacée pour révéler une part sombre, des penchants destructeurs de valeur. « Les gains de productivité obtenus par le digital plafonnent » a ainsi soupiré Arnaud Rayrole. L'exemple typique de problèmes liés au digital est la multiplication des réunions. A priori, le développement du numérique aurait dû amener au contraire une disparition des réunions inutiles et bavardes. Dans les faits, la facilité d'organiser des réunions grâce aux agendas partagés (impossible de refuser si son agenda est libre) ou à la vidéo-conférence (plus le frein de la distance) a au contraire amené une multiplication de ces dévoreurs de temps et de productivité.
Passer de la modernisation à la transformation
La modernisation, c'est d'utiliser de nouveaux outils pour des usages constants. La transformation, c'est utiliser les nouveaux outils pour de nouveaux usages. C'est bien la difficulté de passage de l'un à l'autre qui, selon Lecko, est à l'origine du plafonnement dénoncé. C'est d'autant plus gênant que, comme Arnaud Rayrole l'a rappelé, « les nouveaux outils ont une fenêtre d'attention limitée dans le temps ». Lorsque ce temps est passé sans que les utilisateurs aient été séduits, l'outil est remisé. « Il est donc nécessaire que la transformation s'opère lors de cette fenêtre, sans se limiter à la modernisation » a plaidé Arnaud Rayrole.
Un exemple de ratage dans le rendez-vous avec la transformation est la bureautique en ligne (Office365, G Suite...). « La bureautique en ligne a été mal perçue parce que les entreprises n'ont pas profité de son aspect collaboratif » a dénoncé Arnaud Rayrole. Le « changement par les outils » a donc des limites. Pour le directeur général de Lecko, « des méthodes comme l'intrapreneuriat, Lean Start-Up, etc. transforment bien mieux l'entreprise en s'appuyant sur des collaborateurs prêts à se mobiliser pour le changement, en les accompagnant. » En se basant sur des premières réussites mises en oeuvres par les pionniers, les organisations peuvent ainsi amener les suiveurs à changer également.
PublicitéLa donnée pour piloter le changement
En utilisant les nouveaux outils numériques, les collaborateurs (ou les clients) produisent des données primaires, ce en quoi consiste leur travail ou bien en livrant des informations personnelles bien identifiées et réglementées. Mais ils produisent aussi des données secondaires peu ou pas réglementées et relativement peu visibles. En ayant recours à des données secondaires collectées, les acteurs des outils SaaS peuvent trouver une source de revenus importante. Arnaud Rayrole a cité deux exemples : le service collaboratif d'itinéraires Waze conseille des villes sur les plans de circulation ; Linkedin conseille des régions sur la fluidification des emplois.
De leur côté, Microsoft et Google ont fait un actif des données secondaires issues des usages de leurs outils. Et ils ne se gênent pas pour les exploiter. Par exemple, de tels acteurs sont en mesure de tracer un graph social de l'entreprise basé sur la réalité des échanges et du fonctionnement de l'entreprise : échanges de mails (avec fréquences), temps passé en rendez-vous ou en réunion... Ces données secondaires sont ainsi utilisées dans certaines fonctionnalités innovantes. « L'intelligence artificielle s'insère dans la bureautique pour suggérer des actions à partir de ces données secondaires, comme créer une réunion dans un agenda si on l'évoque dans un mail » a mentionné Arnaud Rayrole. Mais qui est derrière les algorithmes ? Qui en programme les réactions ? Qui fixe les règles ? Les algorithmes jugent selon les valeurs américaines... ce qui a déjà amené des incidents comme la censure sur Facebook du tableau « L'origine du monde » ou des difficultés sur de la vulgarisation sur de l'obstétrique ou de l'éducation sexuelle.
Se réapproprier les données secondaires
Or, en entreprise, il faut prendre conscience des dysfonctionnements, comme les trop nombreuses réunions ou les bulles fermées de communication, marquant un silotage factuel de l'organisation. Pour étudier ces dysfonctionnements, les données secondaires sont précieuses. Le cabinet Lecko a lancé la version 7 de son outil Lecko Analytics pour exploiter la potentialité des données secondaires, permettre aux organisations de se réapproprier ces données secondaires qui, aujourd'hui, leur échappent. A la différence des exploitations plus ou moins clandestines par les acteurs du SaaS, l'outil s'installe en local dans l'organisation et ne remonte aucune information à l'éditeur.
En moyenne, chaque année, un utilisateur créé 4000 mails, participe à 350 réunions et génère 6000 documents. Tout cela génère 30 Mo de données par utilisateur, données qui permettent d'analyser les usages réelles. L'outil anonymise les données et fournit quelques graphiques tout en les laissant disponibles pour des usages avec d'autres outils d'analyse. Il est également possible de suivre des indicateurs sur des cohortes (mais pas de suivi individuel).
Des usages encore en évolution
La transformation continue de s'opérer malgré tout au quotidien. Mais pas forcément pour le meilleur. Ainsi, la disparition des frontières entre usages personnels et professionnels se poursuit, notamment en mobilité, l'intrication s'accroissant. Mais l'effet néfaste associé est l'absence de déconnexion : travailler n'importe où, n'importe quand, parce que c'est techniquement possible ne signifie pas que c'est souhaitable. Il ne s'agit pas d'être envahi par le travail en vacances ! Le droit à la déconnexion est fondamental. Lecko recommande donc, dans les messages de répondeurs d'absence, de ne pas s'excuser de ne pas pouvoir consulter ses mails normalement pendant un certain temps parce que l'on est en congés : il faut affirmer son absence et l'assumer. Ainsi, on réaffirme son droit à la déconnexion.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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