Apple vu de l'intérieur
« Inside Apple » d'Adam Lashinsky (*) aux éditions Dunod est l'évènement éditorial du début d'année. D'autres livres concernent Apple, mais pour la 1ère fois un journaliste a cherché, derrière la réussite maintes fois commentée et chiffrée, l'envers du décor.
PublicitéQue nous apprend Adam Lashinsky ? Qu'Apple fonctionne à l'inverse des autres. Les exemples abondent.
Le recrutement sinueux où le candidat ne sait pas pour quel poste on le rencontre, il le découvrira parfois après des semaines d'intégration. « Malgré les multiples entretiens éprouvants auxquels ils ont survécu, de nombreux salariés sont engagés pour des postes factices, des fonctions qui ne leur sont jamais clairement explicitées avant leur arrivée. »
Le climat fermé. Chez Apple, nul n'a le droit de parler à l'extérieur sous peine de sanctions. La cantine est payante, c'est l'inverse de chez Google, l'ambiance est tendue chez Apple plus décontractée chez Google (même si au final dans chacune d'elle on travaille come des brutes).
La pression interne est particulièrement forte. Chaque jour est un combat décisif, on ne peut se déconcentrer un instant, ce serait ralentir l'équipe. Parallèlement, on ne vient pas pour gagner beaucoup d'argent ni pour s'amuser. De plus, Apple offre peu de mobilité interne et ne favorise pas d'activité extra professionnelle. Le cimat paranoïaque ne favorise rien de tel. Résultat : « Quelqu'un qui quitte Apple, c'est comme s'il sort de prison, il ne connaît plus personne. «
Pas d'amis. Les gens d'Internet se connaissent tous dans la Silicon Valley, mais Apple vit dans son monde, ses salariés ont peur de parler à l'extérieur. « Etre renvoyé pour bavardage est une réelle inquiétude pour les salariés ».
Le secret d'abord. Apple cultive le secret à une époque où la tendance dans les affaires est à la transparence. Loin d'être autonomes, les salariés opèrent dans un spectre très étroit de responsabilités. Pour participer à une réunion interne par exemple, il faut être affranchi, par un process contraignant, c'est-à-dire autorisé à parler du sujet ou à entendre d'autres en parler. Les employés d'Apple sont tenus de suivre les ordres et non d'émettre des opinions. Mais certains, à l'intérieur d'Apple, avouent que le culte du secret et la paranoïa internes sont aussi un jeu, une manière de les maintenir sous pression. Un petit groupe d'ingénieurs a toutefois un statut à part, des vieux compagnons de Jobs qui l'ont suivi depuis ses débuts : on les appelle les DEST, Distinguished engineer scientist technologist.
Autre effet du culte du secret, l'attente à l'extérieur est très forte pour les sorties produits. Le secret tient en haleine le monde de l'IT et les consommateurs. C'est le buzz. Il évite à Apple de dépenser des fortunes en publicité !
(*) Adam Lashinsky est journaliste à Fortune, le magazine économique américain, il est basé à San Francisco depuis 1997, anime des conférences et tient un blog : http://tech.fortune.cnn.com/author/adamlashinsky/
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Chacun dans son couloir
Tout le monde travaille dans un couloir fermé, vers un seul objectif, sans contact avec d'autres unités. Chacun reporte à son chef de projet, mais reste rivé sur son développement, son objectif produit. Les chefs de projets sont soumis à une concurrence terrible entre eux.
Le plus étonnant, c'est l'absence de responsabilité budgétaire ou marketing des cadres intermédiaires. Contrairement à toutes les autres grandes entreprises. Chaque cadre doit se concentrer sur son projet, ses collaborateurs aussi, il ne peut être distrait par des considérations budgétaires ou autres. Les responsables financiers s'occupent de finances, les responsables techniques des produits, le marketing du marketing. Chacun dans son couloir, comme un sprinter en athlétisme. C'est le concept de DRI Directly responsible individual. Chaque personne est affectée à une tâche et à une seule.
Au sommet de l'entreprise, le schéma est là encore inédit, Tim Cook est au centre d'une toile avec des vice-présidents en étoile qui lui rendent des comptes. Pas de notion très pyramidale donc, mais une extrême centralisation et spécialisation à tous les niveaux et au sommet.
Apple est une machine entièrement vouée à l'innovation technique et design. Derrière, c'est une machine à exécuter. C'est l'une des raisons de l'ascension de Tim Cook (passé chez IBM et Compaq) l'homme de la logistique et des sous-traitants, qui a ainsi gagné ses galons, en déchargeant Steve Jobs du back office pour qu'il se concentre sur les produits. Apple est une formidable entreprise de mise sur le marché de produits innovants, mais derrière, l'exigence de gestion est aussi implacable.
Pour la sortie des produits, l'organisation et le climat sont quasi militaires. Concentration totale vers l'objectif produit, tout est testé de multiples fois, avec une attention extrême aux détails, inoculée par Steve Jobs, lui-même obsessionnel et dictatorial. Un manuel interne, le Apple new product process, ANPP, établit par étape le processus (c'est le même chez Xerox et HP). « Apple est obsédé par l'expérience utilisateur, pas par l'optimisation des revenus ».
Apple veut ignorer Wall Street
Ne pas se comparer. Apple évite soigneusement d'être mis en parallèle avec les autres géants de l'IT. Elle ne participe pas aux classements des magazines technologiques et économiques, alors que ses résultats lui permettraient d'y bien figurer. Apple veut ignorer Wall Street, ses jugements et sa pression. Si Apple avait pour habitude de conserver ses bénéfices, Cook vient de commencer à distribuer du dividende. Une première brèche dans l'héritage. Il s'est également rendu en Chine surveiller les pratiques des sous-traitants. Tim Cook semble être attentif à l'image de l'entreprise.
La brutalité de Steve Jobs
Le livre revient aussi sur les caractéristiques psychologiques de Jobs. Un narcissique productif, selon l'auteur. Steve Jobs est « une espèce à part de PDG, dont les traits de personnalité (narcissisme, fantaisie, indifférence envers ce que les autres ressentent) sont parmi ceux que la société considère habituellement comme négatifs. » Tout remontait vers lui et son empreinte se retrouvait sur tout ce qu'Apple faisait d'important.
Sa brutalité a marqué l'entreprise :
« La brutalité de Jobs dans ses relations avec ses subordonnée a légitimé chez Apple une effrayante culture de la sévérité, de la brimade et de l'exigence. Sous le règne de Jobs, une culture de la peur et de l'intimidation a pris racine à travers toute l'organisation. Puisque le leader narcissique n'avait cure d'être aimé et était prêt à prendre des risques extraordinaires dans l'optique de gagner, alors ses subordonnés pouvaient en faire autant. »
Notre avis : Ce livre démonte la machine Apple et met en valeur d'autres personnalités fortes, écrasées par l'aura et la poigne de fer de Steve Jobs comme Scott Forstal, patron des logiciels pour mobiles ou Jonathan Ive, designer en chef. Adam Lashinsky appelle un chat un chat, avant lui, Apple intimidait tellement et bénéficiait d'une telle aura que les observateurs surveillaient leurs propos.
C'est un livre de management, mais valable pour un cas unique, celui d'Apple et encore, l'Apple de Steve Jobs. On le lit avec avidité, sans savoir quelles leçons en tirer pour d'autres entreprises et en attendant la suite avec impatience. Tim Cook et son équipe arriveront-ils à prolonger la destinée hors normes d'Apple ?
Article rédigé par
Didier Barathon
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