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Alfonso Gonzalez (DSI, ManpowerGroup France) : « en fin de compte, c'est le savoir-être qui fait grandir nos entreprises »

Alfonso Gonzalez (DSI, ManpowerGroup France) : « en fin de compte, c'est le savoir-être qui fait grandir nos entreprises »
Alfonso Gonzalez est le DSI de ManpowerGroup France depuis 2012.

ManpowerGroup s'est fait connaître comme agence d'intérim mais est aujourd'hui un groupe mondial opérant dans la gestion externalisée des ressources humaines. Bien que d'origine américaine, le groupe a comme premier marché la France. Face à des modes opératoires et des réglementations très variées, ManpowerGroup a des SI largement nationaux même s'il existe des mutualisations quand c'est possible. Des évolutions de l'infrastructure à la digitalisation en passant par la guerre des talents, Alfonso Gonzalez, DSI de ManpowerGroup France, nous explique sa stratégie. En particulier, il préfère recruter des têtes bien faites, avec un savoir-être, plutôt que bien pleines car le groupe peut investir en formation technique.
A la demande de ManpowerGroup, l'article ne nomme pas les fournisseurs impliqués dans les projets.

PublicitéPour commencer, pouvez-vous nous présenter l'organisation de ManpowerGroup ?

ManpowerGroup est un groupe mondial. En France, nous avons trois marques : Manpower, l'« inventeur » de l'intérim, Experis et Talent Solutions. Je suis le DSI de ManpowerGroup pour les trois marques en France. Il existe des parts communes au système d'information mais aussi des parts spécifiques à chaque entité du groupe.
Manpower vise à la flexibilité dans l'emploi (contrats temporaires, CDD...) ainsi qu'à la gestion et la formation des talents sans oublier le recrutement classique (20 000 par an). Si le talent que l'on cherche n'existe pas, on doit le former pour le mettre à disposition du marché. Il s'agit à la fois de satisfaire les besoins des entreprises qui payent et de trouver ou fabriquer des talents qui pourront s'épanouir dans leur métier. Les talents ne « payent » pas en argent mais avec leur travail. Nous proposons d'ailleurs des CDII (contrats à durée indéterminée intérimaires) qui font de ces talents des salariés permanents de Manpower placés dans diverses entreprises et qui peuvent, à terme, devenir des salariés en CDI chez des clients.
Experis est une ESN spécialisée dans le support de proximité, la cybersécurité et les services managés (comme le helpdesk).
Enfin, Talent Solutions propose d'une part du conseil RH, d'autre part une externalisation du service ressources humaines : gestion des plans de carrière et de GPEC, mise en oeuvre de PSE, accompagnement RH des évolutions stratégiques... mais ne propose pas de services de paye pour l'instant.
Si le groupe est d'origine américaine, la France est notre premier marché : notre pays représente le quart du chiffre d'affaires du groupe, devant les Etats-Unis. L'Afrique du Nord et Monaco sont d'ailleurs rattachés à la France. Plus des deux tiers de l'activité du groupe ont lieu en Europe.
Comme chacun sait, la réglementation du travail et les habitudes sont très différentes selon les pays. L'emploi temporaire en France, où c'est très réglementé, n'a rien à voir avec l'emploi temporaire aux Etats-Unis où il n'existe aucune réglementation spécifique. De ce fait, le business est fondamentalement différent selon les pays.

Du coup, comment s'organise la ou les DSI chez ManpowerGroup ?

Certaines fonctions sont mutualisées, d'autres gérées localement. Nous essayons de mutualiser là où c'est possible. Par exemple, le contrat Microsoft Office365 est unique au niveau groupe mais la gestion des utilisateurs est, en France, locale, simplement parce que nous sommes suffisamment nombreux pour que des ressources humaines soient dédiées aux collaborateurs du pays. Les évolutions applicatives sont différentes selon les pays : un petit pays de 500 employés verra plus de big bang que la France où, avec 10 000 collaborateurs, c'est le plus souvent impossible.
La cybersécurité et les réseaux sont gérés au niveau groupe et je me suis battu pour que cela reste ainsi. En effet, tous nos réseaux nationaux sont interconnectés. Et nous devons éviter qu'un petit pays qui aurait peu de moyens soit un maillon faible pour tout le groupe.
Mais, au niveau des applications métiers, le business étant très différent selon les pays, les applicatifs le sont également.
Nous n'avons pas d'ERP au sens plein du mot pour cette raison. Mais, actuellement, nous essayons de mutualiser nos systèmes financiers en recourant à un ERP SaaS américain bien connu.

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Alfonso Gonzalez défend la place du « fait maison » dans un SI comme celui de Manpower.

Pouvez-vous maintenant nous décrire le paysage applicatif métier en France ?

Tout ce qui est « middle office » est fait maison : gestion des contrats et des relevés de temps, la paye, etc. Tout est très spécifique au marché français où rien n'est comme ailleurs et notre activité est elle aussi très spécifique. Chaque mois, nous payons 150 000 intérimaires en suivant des milliers de conventions collectives.
Que ce soit pour gérer la Prime Macron ou le Prélèvement à la Source, nous avons été obligés d'être meilleurs que des spécialistes de l'externalisation de la paye. En effet, chez nous, on ne peut pas corriger sur le mois suivant une erreur d'un mois : les intérimaires seront différents ou travailleront chez des clients différents.
Pour le « front office », nous mêlons des SaaS et du spécifique mais c'est toujours le portail à notre marque qui est visible, le reste est encapsulé, invisible de l'utilisateur, et peut d'ailleurs changer sans que l'utilisateur ait à s'en apercevoir.

Et côté infrastructures ?

Nous ne disposons d'aucun datacenter en propre, si on excepte, à l'extrême marge, quelques serveurs ici ou là pour des services très locaux. Les systèmes dits ouverts sont hébergés sur des clouds privés ou publics. Nous sommes actuellement client d'un fournisseur de IaaS français mais nous réfléchissons à opter pour un ou des acteurs américains du cloud public, partiellement ou en totalité.
Nos systèmes « coeur de métier » comme notre système financier est sur mainframe. Notre prestataire est propriétaire des mainframes et nous pouvons dire qu'il s'agit là authentiquement de cloud : nous pouvons acheter à la demande, au moment où nous le voulons, pour la durée que nous voulons, de la ressource dont nous avons besoin. Chez beaucoup de cloud providers, il sera seulement possible d'acheter des serveurs virtuels avec des caractéristiques standardisées en mémoire, puissance processeur, etc.
Le mainframe, cela ne doit pas être vu comme synonyme de « vieux » ou « obsolète ». Il y a des mises à jour permanentes. Ses performances, sa sécurité, sa stabilité et sont agilité réelle sont quasi-impossibles à égaler dans d'autres environnements. Si on doit parler d'un problème avec le mainframe, il n'est pas technique mais de maintenabilité. Il faut trouver des spécialistes du Cobol sur des environnements qui ne sont plus à la mode. Les systèmes en cobol échangent via API avec les systèmes front-office dans d'autres langages sans aucun problème.
Clairement, il n'existe aucune justification métier, technique ou financière pour remplacer le mainframe dans les années qui viennent.
Le seul projet d'envergure lié à la facturation est associé à la dématérialisation obligatoire des factures d'ici 2024 dont les spécifications sont connues depuis octobre dernier.


Pour Alfonso Gonzalez, il est absurde de considérer le mainframe comme obsolète.

Suite à la scission de votre prestataire historique en matière de mainframe, l'une des deux résultantes a signé avec vous un contrat de migration d'infrastructures. De quoi s'agit-il ?

Cela ne concerne pas le mainframe mais les « systèmes ouverts ». Il s'agit d'une migration de cloud privé, pour environ 300 serveurs virtuels, hébergeant certaines de nos applications et notamment notre site Manpower.fr recevant en moyenne 1,5 million de visiteurs par mois. Nous optons pour du cloud hybride pour gagner en flexibilité, sécurité et continuité de service. L'administration et la gestion des applications seront entre les mains de notre prestataire dans le cadre d'une infrastructure conteneurisée. C'est lié à ce dont je parlais en matière de migration du IaaS français.
Notre système doit impérativement être très sécurisé, à un niveau de type bancaire, car il contient des données d'une haute sensibilité. Il y a beaucoup de données personnelles, bien sûr, notamment des données financières comme des IBAN. Et nous avons mis en place des alertes de type bancaire. Nous avons déjà vu des épouses en cours de divorce qui profitent des identifiants enregistrés sur le PC de leur mari pour remplacer l'IBAN de leur futur ex-conjoint par le leur... Il faut donc qu'il y ait une alerte quand des données telles que l'IBAN sont changées.

Concernant le front-office maintenant, vous avez des relations avec deux types de clients : les entreprises d'une part et les talents d'autre part. Quels sont vos enjeux dans ces relations ?

Pour la relation avec les candidats, le site web propre de Manpower n'est pas central. En effet, nous allons publier sur des multiples jobboards qui vont être connectés au SI de Manpower ou vont amener le candidat à se connecter à notre SI. Bien entendu, notre site web est full responsive design et peut être utilisé autant sur mobile que sur PC. Et notre application mobile peut être utilisée même sans être inscrit au préalable.
Avec des intérimaires travaillant déjà via Manpower, les relations sont évidemment très intenses. Nous devons absolument éviter tout déplacement en agence pour de l'administratif. Si l'intérimaire vient en agence, c'est pour parler gestion de carrière. Il arrive que les intérimaires changent d'entreprises où ils sont placés tous les deux ou trois jours. Ce serait une perte considérable de temps s'ils devaient venir en agence à chaque fois. L'application mobile leur donne donc toutes les informations nécessaires, y compris les plans d'accès à leurs lieux de travail et les contacts sur place.

Et avec les entreprises clientes ?

La plupart ne veulent pas du 100 % digital. Pour choisir des talents, il est rare d'acheter en ligne comme on pourrait le faire sur Amazon. Au minimum, la fin de la transaction va se faire avec un conseiller. Et, parfois, le client a du mal à exprimer son besoin, à bien utiliser la taxonomie des compétences. Il est donc nécessaire que nous ayons une interaction avec lui pour l'accompagner.
A l'inverse, encore une fois, l'administratif est entièrement géré en mode digital. Relevé d'heures, facturation, paiement : c'est plus simple et le client est plus autonome avec le digital.

Pour ces interactions digitales B2C ou B2B, est-ce que vous optez pour du SaaS ?

Les outils gérant ces relations sont tous des développements spécifiques. Nous voulons maîtriser notre parcours client, c'est là une clé de notre valeur différenciante. Cela dit, nous pouvons nous reposer, comme je l'ai dit, sur des applications tierces totalement encapsulées, éventuellement SaaS.
Par exemple, nous proposons à nos intérimaires une connexion avec BlaBlaCar pour se rendre sur leurs lieux de travail. Nous avons aussi intégré un coffre-fort numérique. Autre exemple : un SaaS est encapsulé pour gérer l'intégration et la vérification des pièces d'identité prises en photo.
Mais si nous voulons changer une brique, parce que nous trouvons mieux ou que la relation commerciale se dégrade avec le fournisseur, l'utilisateur n'a pas à le voir ou à le savoir.


Alfonso Gonzalez a cité un collègue américain : « la guerre des talents est finie et les talents ont gagné ».

On parle beaucoup de la « guerre des talents », particulièrement dans l'IT, depuis des années. Vous êtes DSI, donc concerné pour vos recrutements. Mais vous êtes dans une entreprise dédiée aux ressources humaines. Du coup, quelle est votre approche du sujet ?

Je suis DSI en France mais, au niveau mondial, je suis d'ailleurs aussi vice-président global innovation and analytics. Et notre principal objectif, en data science, c'est d'identifier les bons candidats et de rendre le recrutement le plus efficient possible. Et il faut être clair sur un point : l'IA ne résout pas tout !
Un collègue américain a une formule qui me plaît bien à ce sujet : « la guerre des talents est finie et les talents ont gagné ». Dans la plupart des pays, il y a une véritable inflation des salaires, ce qui a évidemment un gros impact pour nos activités, tant pour le service à nos clients que pour nous-mêmes. A cela s'ajoute la « Great Resignation » [la « Grande Démission »] : les gens veulent travailler différemment et l'écart se creuse entre ce que les gens veulent et ce dont les entreprises ont besoin. Il y a également un décalage croissant entre la formation initiale et les attentes des entreprises. Et pas seulement en France comme on l'entend trop souvent : c'est aussi le cas aux Etats-Unis.
Ma conviction est que ce double phénomène existait avant la crise sanitaire Covid-19 mais a été masquée durant la pandémie tout en continuant à se développer, peut-être même plus qu'avant. Clairement, il faut trouver une manière de réduire les décalages entre les talents disponibles et leurs souhaits d'une part, les besoins des entreprises d'autre part.
En tant que DSI de ManpowerGroup, je suis dans la même situation que tous les autres DSI, avec de multiples postes ouverts et non comblés.

Du coup, comment faites-vous ?

Nous acceptons de plus en plus d'embaucher des gens qui n'ont pas toutes les compétences techniques nécessaires au départ et qui vont donc devoir apprendre. Bien sûr, le salaire qu'ils nous coûtent tient compte de cet écart. Et nous laissons les entreprises qui veulent payer plus cher embaucher les talents immédiatement opérationnels à 100 %.
Mais, ce qui fait grandir notre entreprise, en fin de compte, c'est le savoir-être. Le savoir-faire technico-technique a finalement une utilité limitée. Il nous faut des collaborateurs capables de s'adapter à la situation réelle. Si un architecte IT très talentueux arrive avec un projet génial à base de toutes les dernières super-technologies du moment, il va falloir deux ans pour mener le projet. Et, dans deux ans, ces super-technologies seront dépassées. Nous avons donc besoin de quelqu'un qui va améliorer l'existant ou faire ce qu'il faut pour être efficient.

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