Airbus UpNext s'inspire de SAFe pour travailler sur l'avion autonome

À l'occasion de l'événement Agile en Seine 2020, un cycle de conférences qui rassemble la communauté Agile, Airbus UpNext et Mews Partners ont partagé leur expérience d'un projet de R&D aéronautique, mêlant hardware et logiciel, mené en mode agile avec une méthodologie inspirée de SAFe.
PublicitéAirbus UpNext développe des démonstrateurs sur des technologies de rupture destinées aux avions. Filiale à 100% du groupe Airbus, cette entité a pour mission « d'être un peu le trublion en matière de R&D, aussi bien sur les technologies que sur les méthodes », selon les mots de Sébastien Giuliano, Demonstrator lead chez Airbus UpNext. En 2018, Airbus UpNext a lancé un projet dénommé ATTOL (Autonomous Taxi, Take-Off and Landing), visant à réaliser un démonstrateur de vol autour de technologies destinées à l'avion autonome. Il s'agissait de développer et tester des algorithmes de vision permettant à un avion de réaliser les phases de roulage, décollage et atterrissage de manière automatique, sans l'aide de balises ou d'informations externes à l'avion.
Dans ce but, une équipe multidisciplinaire de 25 personnes a été constituée, regroupant à la fois des ingénieurs d'Airbus et des chercheurs d'Onera (Office national d'études et de recherches aérospatiales). Deux ans et un budget précis leur ont été alloués pour concevoir un démonstrateur de vol remplissant les objectifs fixés, « sans un jour ni un euro de plus ». « Notre enjeu était donc de pouvoir livrer le plus vite possible, avec les ressources dont nous disposions », souligne Sébastien Giuliano, à qui a été confié le projet. Désireuse d'innover également sur les méthodes, l'équipe a choisi de mener tout le projet en mode Agile, à la fois pour accélérer l'innovation et pour profiter des bénéfices de ces approches en termes d'engagement et de motivation des coéquipiers. « Il y avait de la part d'Airbus UpNext une vraie volonté d'évaluer de nouvelles méthodologies de travail. Pour concevoir le futur cockpit d'avion, nous avons voulu expérimenter l'Agile à l'échelle, avec des contraintes spécifiques liées à l'environnement d'Airbus », explique Sébastien Giuliano. Celui-ci a choisi de s'appuyer sur une approche inspirée du framework SAFe (Scaled Agile Framework). « SAFe peut sembler être un cadre un peu lourd pour une équipe de 25 personnes. Mais autour, il y avait tout l'environnement Airbus. Par exemple, rien que sur un vol d'essai, il y a un équipage de cinq personnes », souligne-t-il. Au sein d'Airbus, dont toute l'organisation est optimisée pour produire des avions au meilleur niveau de qualité, avec une forte culture des cycles en V, le pari était audacieux, même si une vague d'agilité est en train de se diffuser au sein du groupe. Ne souhaitant pas se lancer seul dans une telle démarche, le responsable du projet ATTOL a fait appel à la société Mews Partners pour se faire coacher.
Une vision simple et partagée
Au niveau des rôles, Mews Partners a mis à disposition deux coachs RTE (Release Train Engineers), Laurie Clément, consultante senior, puis Pauline Lepage, également consultante senior, qui lui a succédé. En amont du projet, un coaching robuste a été réalisé par Laurie Clément. « Sur le sprint zéro et les 2 ou 3 premiers PI (Program Increment), nous étions à 100%, soit entre juin et décembre 2018. Sur 2019, le RTE était plutôt à 50% sur le projet », précise Pauline Lepage. Du côté d'Airbus UpNext, Sébastien Giuliano était le Product Manager, chargé de porter la vision du produit. Pascal Traverse, qui porte la roadmap autonomie au sein d'Airbus Group, était également présent sur le plateau. Le fait de disposer d'une vision claire et partagée dès le départ a été un facilitateur. « Notre objectif était simple : faire la démonstration d'un avion qui roule, décolle et atterrit de façon autonome », rappelle Sébastien Giuliano. « Cette vision n'a pas évolué en deux ans, tout le monde la connaissait et la comprenait. » Initialement, deux Product Owners (PO) ont également été désignés, un par équipe. « L'expertise des deux personnes tenant ce rôle les a ensuite fait basculer vers un rôle plus proche de celui d'architecte », précise Pauline Lepage.
PublicitéUn sprint zéro a permis d'aboutir à plusieurs livrables, parmi lesquels un user journey très détaillé, précisant la vision du projet ; un product backlog guidé par les besoins du client (voice of customer) ainsi qu'une dynamique pour embarquer les 25 personnes de l'équipe, avec des rituels, de la formation et des outils adaptés. « Le sprint zéro a été plus long, mais c'est une étape fondatrice, quelle que soit l'échelle du projet », estime Sébastien Giuliano. Une fois ces livrables établis, un des défis du projet a été de continuer à les adapter et à la maintenir dans le temps. « Au cours des 730 jours dévolus au projet, la notion de cycle a été fondamentale pour éviter l'effet tunnel », souligne Gaël Montrignac, Senior manager chez Mews Partners. Pour cela, l'équipe a repris plusieurs cérémonies issues de SAFe, en particulier le PI Planning, avec des sprints de trois semaines pour le cadencement. Des réunions hebdomadaires rétrospectives rythmaient également le travail, ainsi qu'un rituel Inspect & Adapt en clôture des incrémentations. « Sur les deux ans du projet, nous avons cherché à varier les exercices afin de libérer la parole », indique Pauline Lepage. Le rituel Inspect & Adapt jouait un rôle important, en ayant pour but de montrer les avancées aux clients et de recueillir leur feedback. « Ces cérémonies de fin de sprint permettaient à chaque membre de l'équipe de présenter ses avancements. Elles ont une vraie valeur pour les membres de l'équipe, du fait de la reconnaissance que cela génère, ainsi que pour les clients, qui peuvent s'ils le souhaitent approfondir un sujet avec la personne concernée, contrairement à une présentation PowerPoint où le risque est d'ennuyer l'audience si on entre trop dans les détails », fait observer Sébastien Giuliano. Pour Gaël Montrignac, le fait de présenter régulièrement des démonstrations permettait de recadrer les livrables et de bien hiérarchiser les besoins, « pour ne pas partir dans un rêve d'ingénieur, où la technique prend le pas sur les besoins du client. »
Conserver un ADN agile
L'équipe ATTOL admet volontiers ne pas avoir suivi le cadre Agile à la lettre. « Il s'agissait d'un projet très atypique : de l'Agile appliqué à un domaine hardware, des contraintes pas du tout agiles liées à l'environnement », affirme Gaël Montrignac. « C'était infaisable d'appliquer un SAFe complet, nous en avons fait une version plus légère », observe Sébastien Giuliano. Toutefois, le projet a été mené avec une véritable adhésion aux valeurs agiles du début à la fin, en adaptant au fur et à mesure la méthode à l'environnement d'Airbus. « Pendant deux ans, il y a eu un fort niveau d'amélioration continue afin de conserver un ADN agile tout au long du projet, malgré les spécificités de l'environnement. » Parmi celles-ci figuraient par exemple les contraintes liées aux vols d'essai, qui nécessitent des autorisations et une documentation claire et compréhensible. Autres particularités, liées au contexte R&D : les membres de l'équipe possédaient chacun des expertises qui n'étaient pas interchangeables, et dans certains cas, il était impossible d'estimer précisément la charge associée à certaines tâches. « L'équipe comportait des chercheurs qui menaient des activités exploratoires. Par essence, il est compliqué de définir à l'avance le temps que l'on va passer sur ce type d'activité, et il n'y a pas de garantie d'avoir un livrable à la fin », explique Pauline Lepage. Pour contourner cette difficulté, l'équipe misait sur les discussions quotidiennes entre les membres, facilitées par la proximité géographique, tous travaillant sur le même plateau. « En général, une tâche correspondait à une personne. Les membres de l'équipe définissaient quand il fallait du NoEstimate, et sur ces activités, c'étaient les Product Owners qui leur disaient quand arrêter l'exploration. Nous avions aussi une vision des activités par sprint - un peu l'équivalent des stretch goals dans Scrum- ce qui nous permettait de sentir ce qui ne passerait pas. » À chaque sprint correspondait toutefois un engagement de résultat, géré de façon transparente, sans pression sur l'équipe. Cette façon de procéder permettait de prévenir les surcharges.
Le projet est arrivé à son terme fin 2019, permettant à Airbus de réaliser un décollage entièrement autonome sur un vol d'essai. « Nous avons eu avance de plusieurs semaines sur les dates fixées, car les équipes et l'organisation ont évolué en cours de projet », indique Sébastien Giuliano. Le projet a en effet démarré avec deux sous-équipes, l'une sur la vision assistée par ordinateur, chargée de la captation de l'information ; l'autre sur la commande de l'avion et les modifications à apporter. En cours de projet, les membres se sont réorganisés en trois sous-équipes correspondant aux trois missions décrites dans la vision, très différentes d'un point de vie algorithmique : l'une sur le roulage, l'autre sur le décollage et la troisième sur l'atterrissage. Une quatrième équipe transverse intervenait quant à elle sur l'installation dans l'avion. À la fin, le nombre d'équipes est même monté à six, pour affiner encore le travail et explorer le maximum de pistes. Le budget prévu a également été respecté, et en termes de valeur livrée, le projet a rempli la quasi-totalité des objectifs fixés, à l'exception d'un : « nous avions prévu de faire un roulage totalement autonome, mais nous n'avons réalisé que la partie directionnelle. Pour des raisons de sécurité, nous n'avons pas pu travailler sur la gestion de la vitesse », explique Sébastien Giuliano. En matière d'organisation du travail, l'expérience s'est également révélée concluante. « Nous avons beaucoup grandi à travers la méthode. Nous avons constaté un vrai gain en matière d'efficacité, même sur un projet de ce type », pointe Sébastien Giuliano. Celui-ci souligne également la valeur du coaching. « Le fait de disposer d'un point de vue purement méthodologique, sans lien avec la partie technique, a selon moi été une véritable force, en permettant de nous challenger. » Pour Pauline Lepage, « ATTOL a été une très belle expérience, durant laquelle nous avons fait un maximum de co-construction. » Avec le recul, celle-ci estime toutefois que davantage d'activités de gestion du changement auraient pu être incluses dans l'approche. « Il existe de fortes synergies entre le Change Management et l'Agile », relève-t-elle.
Article rédigé par

Aurélie Chandeze, Rédactrice en chef adjointe de CIO
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