Stratégie

AG du Cigref : le digital de confiance est-il un oxymore ?

AG du Cigref : le digital de confiance est-il un oxymore ?
Bernard Duverneuil, président du Cigref, a assuré l’introduction et la conclusion de la soirée de l’AG de l’association.

Dans la foulée de son assemblée générale, le Cigref a organisé une soirée sur « l'âge de raison » du Numérique.

PublicitéOrganisée par le Cigref à l'occasion de son assemblée générale annuelle, la soirée du 15 octobre 2019 au Pavillon Gabriel à Paris a réuni des représentants de tout l'écosystème IT français : DSI des entreprises et administrations membres du Cigref, bien entendu, mais aussi représentants des grands fournisseurs et consultants en vue. Au delà des thèmes du quotidien du DSI, le Cigref a voulu, comme tous les ans, présenter une réflexion plus large, cette année sur « l'âge de raison » du Numérique. Même si le moment devait être de réjouissance, d'autant que le dynamisme de l'association est certain avec ses 154 membres, il a malheureusement dû commencer par une note triste. Bernard Duverneuil, président du Cigref, a ainsi, dès le début, rendu un hommage appuyé à Didier Lambert, récemment disparu, et à qui il a succédé deux fois, en tant que DSI d'Essilor et en tant que président du Cigref.

« L'âge de raison, c'est le moment où l'on prend conscience des conséquences de ses actes » a observé Delphine Sabattier qui animait la soirée. Le thème de la soirée était une idée revendiquée de Jean-Christophe Lalanne, vice-président du Cigref et CIO groupe Air France KLM. Alors que l'association fêtera ses 50 ans l'an prochain, n'est-ce pas un peu tardif d'atteindre l'âge de raison, plutôt habituellement atteint vers 7 ans ? « Mais il y a 7 à 10 ans, c'était l'émergence du digital, du cloud... » a justifié Jean-Christophe Lalanne. Et il a mieux expliqué l'intention derrière cette thématique : « où est-ce que l'on va, nous vieux briscard de l'informatique ? C'est le moment de s'interroger. L'âge de raison, c'est la compréhension de la complexité, de la morale, des conséquences... La métaphore prend tout son sens pour le Digital ».

Les chatons responsables de la fin du monde

En effet, si le numérique est un moyen de transformation des entreprises et des administrations, il faut s'interroger sur les conséquences, les risques et l'éthique associés. Ces questions vont de la responsabilité sociétale et environnementale (RSE) à des considérations plus habituelles pour les DSI, économiques et stratégiques notamment. Face à un rythme d'innovation qui s'accroît, la dette technique s'accroît également. Mais cette « innovation » est-elle justifiée ? Ou bien est-ce un gâchis invraisemblable de ressources via une obsolescence programmée par les fournisseurs ? Où est la véritable valeur de cette « innovation » ? Les fournisseurs sont-ils vraiment les alliés des DSI ou bien la dépendance de ces derniers à l'égard des premiers devient-elle simplement insupportable ?

Le Cigref a un groupe de travail « géopolitique du cyber-espace » qui s'interroge sur la dépendance vis-à-vis de certains pays. Cinq autres sujets ont été mis en avant par Jean-Christophe Lalanne, tous étudiés par divers autres groupes de travail. Tout d'abord, la valeur de la transformation numérique : il est temps que les DSI arrêtent de suivre le rythme endiablé voulu par les fournisseurs pour ne mener que des projets porteurs de valeur business. Le deuxième sujet est plus universel : l'environnement. Le digital consomme énormément de ressources. « Regarder deux minutes de vidéo sur Internet, c'est l'équivalent d'un fonctionnement de dix minutes d'un four de 5000 W » a-t-il dénoncé. Les chatons de Youtube sont donc les vrais chevaliers de l'Apocalypse. Le « crédit social » chinois peut paraître relever de la dystopie mais il interroge, du coup, sur l'éthique de la donnée, sujet qui nous concerne au quotidien. L'inclusion numérique est aussi une responsabilité des DSI : il ne faut pas laisser quiconque sur le bord de l'autoroute de l'information. Bizarrement, les alertes de Jacques Toubon n'ont pas été citées. Enfin, les DSI s'interrogent sur la confiance qu'ils accordent aux fournisseurs. Si le « cloud de confiance » était un oxymore, cela pourrait être un problème...

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Corinne Dajon, CIO d'AG2R La Mondiale, a poursuivi sur la thématique de la confiance car, pour elle, « pas de numérique sans confiance ». Le DSI doit bien sûr créer les fondements de cette confiance dans son entreprise. Et le Cigref a soutenu l'Appel de Paris pour la cyber-confiance et la cyber-sécurité, lancé à l'initiative d'Emmanuel Macron et aujourd'hui relayé par 67 pays. Le RGPD a permis de progresser sur la voie de l'éthique de la donnée autant que de la culture de la donnée.


La table ronde « La responsabilité sociétale des entreprises à l'ère numérique » a réuni, de gauche à droite, Muriel Barnéoud (directrice du Management Sociétal au groupe La Poste), Godefroy de Bentzmann (président du Syntec Numérique), Isabelle Juppé (Directrice du RSE du groupe Lagardère) et Jean-Claude Laroche (DSI d'Enedis).

Une table ronde a ensuite réuni Muriel Barnéoud (directrice du Management Sociétal au groupe La Poste), Isabelle Juppé (Directrice du RSE du groupe Lagardère), Godefroy de Bentzmann (président du Syntec Numérique) et Jean-Claude Laroche (DSI d'Enedis) sur le thème « La responsabilité sociétale des entreprises à l'ère numérique ». La RSE concerne autant les droit humains que la défense de l'environnement. Au delà de l'éthique, se préoccuper de la RSE numérique est une clé essentielle pour attirer et retenir collaborateurs et clients, ceux-ci ayant aujourd'hui des exigences claires en la matière. « Il n'existe pas d'abri anti-numérique » a rappelé Muriel Barnéoud.

Or les droits humains impliquent d'avoir accès au numérique mais aussi de pouvoir s'en protéger, au nom de la vie privée par exemple. Jean-Claude Laroche a ainsi pu témoigner des mésaventures d'Enedis autour de Linky, vu comme un « objet d'ingénieur » permettant au service public de générer de nombreuses données qui peuvent apporter beaucoup de valeur aux citoyens. Mais la double défiance à l'égard de la technologie et à l'égard des décisions publiques a été fortement négligé. D'où des réactions d'une extrême violence non-anticipées. Il est impossible à un opérateur d'ignorer de telles préoccupations.

L'âge du fatalisme numérique

Délégué Général de la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération), Jean-François Marchandise est revenu sur la combinaison du thème de la soirée et du slogan du Cigref : « l'âge de raison de réussir le Numérique, c'est préparer le monde de demain. » Or le digital est passé de l'ère des promesses à l'ère des controverses. Le numérique est contesté : consommation énergétique, consommation de ressources naturelles (terres rares...), non-réparabilité des terminaux (et obsolescence programmée), diffusion massive de fausses informations, atteintes aux droits individuels... « Nous avons à inventer le numérique de demain mais nous en sommes très loin. Nous sommes dans l'âge du fatalisme numérique, avec un lendemain vu dans le sens du plus qu'aujourd'hui, pas du mieux » a dénoncé Jean-François Marchandise. Celui-ci veut plaider pour un numérique porteur de sens : capacitant, inclusif, démocratique, équitable, innovant, protecteur et frugal.

« Comment osons-nous ? » a ensuite lancé Bernard Duverneuil en écho à Greta Thunberg. Car « il est normal que le numérique soit challengé » dans son déploiement et ses modalités. Les « vents contraires » au numérique doivent être pris en compte. Pour le président du Cigref, ce sera sans doute l'occasion de reparler de Green-IT ? Peut-être sous un nouveau nom. Le Cigref va ainsi lancer un nouveau groupe de travail sur la « sobriété numérique ».

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