Management

A quoi servent, vraiment, les chief digital officers ?

A quoi servent, vraiment, les  chief digital officers ?
Marc Florette, CDO du groupe Engie, est issu de l'interne.
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°114 !
La révolution numérique à l'heure du ROI

La révolution numérique à l'heure du ROI

Le DSI est un acteur évident de la Révolution Numérique des entreprises mais il n'est pas le seul. Et il peut même être parfois un peu bousculé, par exemple lors de l'arrivée d'un Directeur du Numérique, un CDO (Chief Digital Officer). Voire de celle, normalement moins problématique, d'un Directeur...

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Le nombre de chief digital officers, ou CDO, augmente, tous les secteurs en recrutent, mais leurs fonctions restent assez différentes d'une entreprise à l'autre.

PublicitéLa question est provocatrice (A quoi servent, vraiment, les  chief digital officers ?), mais leur métier suscite beaucoup d'interrogations. Non qu'il soit dénigré. Des entreprises aussi sérieuses et différentes qu'Accor, PSA Peugeot Citroën ou Engie ont nommé des responsables de très haut niveau chargés du digital, de l'innovation, de la transformation, parfois au niveau dga (Accor), toujours comme membre du CoMex. Mais souvent ils n'ont que peu d'équipes, ne sont pas dotés d'une fonction précise, mais d'un rôle transverse.

A quoi servent-ils vraiment ? Il suffit de voir leur position dans l'entreprise pour comprendre que ces postes sont sérieux, pratiquement toutes et tous sont directement rattachés au Pdg. A défaut, autant servir de cible vivante aux autres directions, DSI et métiers, qui estiment, sans les avoir attendus et sans démériter,  lutter âprement pour la transformation digitale de leur entreprise. Le CDO n'est pas là pour les remplacer ou leur ôter du pouvoir, mais pour leur donner une impulsion nouvelle, un objectif pour le moins délicat.

Un cabinet de recrutement, Blue Search classe même les CDO en deux catégories : ceux provenant de l'interne et ceux venus de l'externe. Les premiers, issus des forces vives, alignent un long parcours et sont dotés d'une légitimité suffisante pour imposer leurs projets et déjà leur présence. Les autres, venus d'ailleurs, ont sérieusement besoin d'un poisson pilote pour les guider et leur éviter de sombrer au premier coup de Trafalgar. Encore que, nommer quelqu'un d'externe permet aussi de secouer les baronnies et d'activer les projets. Natixis vient de recruter Tanguy Pincemin alors que plusieurs de ses structures avaient déjà des projets digitaux et des responsables pour les porter. Quand il faut accélérer, autant prendre un « accélérateur « externe.

Il en va de la survie d'Accor

C'était sans doute le raisonnement d'Accor Hôtels, le plus médiatisé des groupes du CAC 40 dotés d'un CDO. Le groupe a fait très fort, recrutant  Vivek Badrinath, jusqu'alors patron de la branche entreprises d'Orange (Orange business services). Plus de 200 ME doivent être investis dans le plan de transformation digitale porté aussi par Sébastien Bazin, le PDG. Il en va de la survie du groupe, attaqué par des sites de réservation tels que Booking.com. Vivek Badrinath connaît évidemment son sujet et ne s'en laisse pas compter, embauchant une centaine d'ingénieurs pour ses activités digitales, car il se méfie de la sous-traitance. Vivek Badrinath a non seulement un passé chez l'opérateur historique, mais un titre, directeur général adjoint, pour s'imposer en interne, même avec l'appui du Pdg ce n'est pas de trop, dans un groupe dispersé aux quatre coins du monde.

Brigitte Cantaloube, débarquée chez PSA  en début d'année comme CDO, n'a rien d'une geek, mais tout d'une dirigeante de l'IT, passée chez un grand compte client. Après plus de 15 ans chez Yahoo et la direction générale Europe, elle a de quoi  en imposer aux barons du groupe automobile où, si le digital n'est pas encore un sujet à l'ordre du jour dans les usines, ça ne saurait tarder. La « nouvelle » dépend directement de Carlos Tavares, patron à poigne, qui, pour le moment, cherche à faire des économies derrière chaque tube à soudure et tout poste à plein temps. Mais, dès qu'elle aura pris ses marques et défini son plan, chaque chef d'atelier, à Sochaux ou à Shangaï, saura que la « maison » va passer au digital, quand et comment.  C'est l'avantage avec Carlos Tavares, tout est passé au cordeau, le digital comme le reste.

PublicitéRenault a pris un chemin plus classique en faisant appel à une ressource interne, Thierry Plantagenest, un homme du marketing, chargé de revoir le parcours client, en clair transformer les visites sur le site en achat ou du moins les diriger vers un acte d'achat. On est dans le monde du e-commerce avec l'outil Salesforce. Thierry Plantegnest est directeur de la transformation.  Beaucoup de CDO ont ainsi des responsabilités bien précises, liées au e-commerce et au big data. Ils sont là pour faire aboutir des projets avec une petite équipe. D'autres ont un rôle plus large d'incitation, siègent au CoMex, et dépendent directement du Pdg.

Beaucoup dans la banque

La plupart des grandes entreprises de services ont un CDO, le métier est né là, dans la grande distribution, l'hôtellerie, la banque où de nouveaux modèles et la pression des consommateurs, perturbent (un mot très usité mais justifié), les situations acquises. On trouve beaucoup de CDO dans la banque, qui  naturellement déploie des initiatives digitales mais peut encore amplifier cette stratégie. Tous les grands établissements  réfléchissent, testent et vont de l'avant. La distribution, en partant du e-commerce, et de son impact au départ négatif sur les ventes en magasin, arrive à baigner entièrement dans le digital mais avec une autre optique, où le magasin retrouve du sens et reste même une priorité pour l'achat, le conseil, la livraison (après commande en ligne). « Il n'y a que le passage d'un étage à l'autre de nos magasins que je n'ai pas réussi à quantifier, mais tout le reste du parcours client est dans la boîte » nous lance le DSI d'une grand enseigne de luxe français. 

Reste des cas plus difficiles, comme celui de l'assurance. « Par rapport à d'autres secteurs nous avons sans doute un déficit dans notre relation client » note Delphine Assaraf, Head of digital brand and communication d'Allianz France (en bon français, on peut traduire par CDO), qui est passée par Cetelem et BNP Paribas. Le plus grand des assureurs a ainsi innové dans cette relation client à partir du big data. Le but du CDO étant de trouver des projets rapides à mettre en oeuvre.

Delphine Assaraf a lancé un projet, modeste au départ : « Allianz conduite connectée ». Un boîtier, réalisé par Tom Tom et glissé dans le véhicule des conducteurs désireux de suivre ce projet. 7 800 à ce jour. Le boîtier enregistre des éléments de leur conduite, l'intensité des virages, celle des freinages et celle des accélérations. Le bon conducteur est valorisé à partir des données remontées dans le SI de l'assureur. Valorisé de telle manière qu'il voit sa prime réduite, un langage très compréhensible pour le client. On est loin du monde mirifique de la voiture connectée, on garde les pieds sur terre, le digital c'est du concret avec une phase d'expérimentation.  Mais il a fallu convaincre les agents du groupe, l'offre étant disponible sur le Net comme dans leurs agences, colonne vertébrale de la relation client chez les assureurs.

Même dans les ETI

Les CDO sont désormais partout. On les croyait limités au CAC 40 et aux services, ce fut vrai un temps, aujourd'hui  toutes les grandes entreprises en sont dotés, quel que soit le secteur. Certaines ETI aussi, soit que le patron soit passionné par le sujet et s'en occupe en personne, soit qu'il se dote effectivement d'un CDO. C'est le cas de Guy Degrenne avec comme CDO Céline Malgras, ancienne responsable des achats qui pilote le retrait en magasin, le e-commerce, le collaboratif et fait partager aux équipes terrain, commerciaux itinérants et sédentaires en boutiques, le bien fondé du digital.

Dans le domaine industriel, les CDO prennent aussi toute leur part. Un exemple, celui d'Engie, avec Marc Florette, CDO depuis deux ans, un exemple significatif à plus d'un titre : une grande entreprise, un secteur industriel et surtout un homme issu de l'interne. Alors que beaucoup de consultants nous expliquent qu'un bon CDO doit être recruté en externe, Engie  a fait le choix inverse. Ancien patron de b.u. puis de la R&D, donc avec une connaissance transverse de tous les sujets et de tous les rouages, Marc Florette a fait le tour des filiales et des principales unités pour définir ses fonctions. Son rôle est celui d'un aiguillon, d'un prédicateur, d'un ambassadeur. Il repère toutes les initiatives qui paraissent utiles dans le groupe, celles qui visiblement vont permettre l'accélération digitale. Un travail de cartographie des 500 initiatives digitales existantes dans le groupe. N'importe qui peut se connecter à cette cartographie et savoir ce qui se fait chez Engie dans le digital. 

Cette cartographie permet de visualiser la maturité digitale du groupe. Marc Florette inversement repère « les trous dans la raquette », où il faut peut-être prendre des initiatives. Dans tous les cas, la diplomatie ne semble pas de trop et l'appui du grand patron Gérard Mestrallet pour le moins indispensable. Marc Florette s'appuie également sur son expérience 22 ans dans le groupe, pour appuyer ses suggestions, les b.u. étant évidemment autonomes et gardant une grande liberté d'action.

Des datascientists en réseau

L'homme n'avance pas non plus sans troupe.  Comme la plupart des CDO, il part avec une équipe très légère, c'est un rôle d'aiguillon, mais il y a une exception. Marc Florette dirige une structure, le Digital analytic center, en clair un centre de compétences big data mutualisé pour l'ensemble du groupe. Une structure en réseau qui regroupe 50 datascientists répartis dans le groupe. Engie vient également de racheter  StreetLight Data, une entreprise américaine spécialisée dans le big data appliqué aux smart cities.

Mais le digital n'est pas fait que de technologies, du moins pour Engie. Marc Florette développe également une démarche de « reverse mentoring », ce système où le savoir est inversé, les jeunes apprennent aux plus anciens. Et Gérard Mestrallet a validé le dispositif. Chez Engie le YPN, Young professionnal network, s'est mis en place, de jeunes experts du digital sont disponibles pour diffuser leur savoir aux plus aguerris. Engie compte bien diffuser la culture digitale en interne, et c'est aussi le rôle de Marc Florette. Engie dispose d'une forme de Mooc, en fait de Cooc, Corporate open line course (le Mooc étant universitaire et le Cooc pour les entreprises) nommé « we transform » qui fait partager la stratégie du groupe aux équipes par une formation en ligne.

Engie comme beaucoup de grands groupes finance des start-ups avec un fonds doté de 100 ME. Le groupe a pris une participation dans Sigfox, l'un des réseaux de l'IoT. Presque tous les grands groupes ont adopté cette démarche, à coup de « fab » et de « lab », les « « fab » étant des start-ups externes et les labs des équipes internes de recherche. Mais, s'ils s'engagent tous dans cette démarche, les grands groupes sont également de plus en plus sélectifs dans leurs investissements et attentifs à l'aspect international, soit en constituant des réseaux de start-ups comme Orange, ou des réseaux internes de datacientists comme on vient de le voir avec Engie. Le Crédit Agricole, lui, a créé une pépinière de start-ups à Paris, le « village » et décline le concept en régions. Son CDO, Serge Magdeleine, possède une double culture marketing et bancaire, surtout c'est au départ un entrepreneur, un profil très recherché pour être CDO.

Un rôle « casse-gueule » ?

Ce CDO est décidément partout, il a une fonction transverse, mais garde quelques équipes ou morceaux d'équipes dans le big data ou le e-commerce. Un rôle « casse-gueule » ? Non, un rôle de "poil à gratter", note Jean-Claude Guyard directeur des Labinnovation de Capgemini qui voit cette fonction se répandre dans les entreprises et dans tous les secteurs. Pour lui, pas d'inquiétudes, contrairement aux mauvais augures qui prédisent une durée de vie limitée aux CDO. Lui les voit s'installer dans la durée. Pour une raison très simple : « la transformation digitale n'est pas affaire de big bang, elle porte sur des points précis, avec un ROI à trouver ».

Le CDO s'installe et doit trouver sa place entre le DSI et les métiers qui activent depuis des années leurs propres développements. Ce que Capgemini nomme le bimodal, la capacité des entreprises à s'engager dans le maintien des infrastructures ne place (le "legacy") et en même temps dans les nouvelles solutions.

Le CDO est parfois sur le fil et le DSI souvent en ligne  de mire, mais les deux ont leur rôle, le premier d'impulsion en ligne directe avec le PDG, le deuxième de garant, par exemple de la sécurité.

Benoît Morien, directeur associé Orange Consulting, note avant tout l'essor de la fonction de CDO. « L'accélération digitale est un fait et entraîne l'apparition et le développement de cette fonction. J'en ai rencontré plusieurs, leur rôle dépend de ce que l'entreprise veut en faire.  En tout cas, c'est une fonction transverse, mais pour être efficaces, ils ou elles doivent avoir un bon niveau de sponsoring ». Pas de CDO sans PDG convaincu par le digital, ou terrorisé par lui.

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