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Jean-Marc de Felice (ex-Radio France) : « c'est la technologie qui permet à nos métiers d'évoluer »

Jean-Marc de Felice (ex-Radio France) : « c'est la technologie qui permet à nos métiers d'évoluer »
Jean-Marc de Felice, ancien directeur technique de Radio France
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°86 !
Transformer les modèles : du télétravail au développement durable

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La transformation des entreprises et celle des modes de vie sont intimement liées. Et les deux reposent largement sur le numérique. Il va donc de soi que le DSI devienne l'homme central de toutes ces transformations. Dans ce numéro de CIO Focus, vous allez découvrir plusieurs formes de cette...

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Maître d'oeuvre de la numérisation de Radio France mais également fervent défenseur de la mutualisation des mondes des télécoms et du broadcast, Jean-Marc de Felice a aujourd'hui décidé de prendre son indépendance. Il a créé en début d'année une société de conseil pour accompagner les médias internationaux à l'heure de la numérisation.

PublicitéCIO : Vous prenez aujourd'hui votre indépendance après de nombreuses années au service des grands médias français. Comment en êtes vous arrivé là ?

Jean-Marc de Félice : C'est une longue histoire. Ce qu'il faut savoir c'est que je suis fan de musique et que, dans les années 70, le monopole de l'État sur les médias ne favorisait pas l'éclectisme musical. J'écoutais donc beaucoup les radios pirates, qui émettaient à l'époque depuis la mer du Nord, et j'ai même cherché à en fonder une mais il était quasiment impossible de faire de la radio en France en dehors des institutions. J'étais même allé à New York où j'avais été stupéfait de voir que la ville, à elle seule, comptait une quarantaine de stations quand nous n'avions que quatre pour la France entière. Quand François Mitterrand a mis fin au monopole de l'état en 1981, ça a été une vraie libération.

CIO : C'est à ce moment là que vous avez contribué au lancement de plusieurs radios ?

Jean-Marc de Félice : Pas tout à fait. En fait, je leur ai surtout vendu leur équipement. Quand ces radios se sont lancées, elles avaient besoin de trouver des émetteurs. Seulement, les fournisseurs français historiques rechignaient à leur en vendre de peur de se mettre en mauvaise position vis-à-vis des acteurs institutionnels. J'ai rejoint une société qui importait et revendait du matériel italien. Beaucoup des radios que nous avons équipées existent encore aujourd'hui. J'ai fait ça trois ans puis je me suis tourné vers la télévision.

CIO : Quel a été votre rôle dans les débuts des aventures Canal+ et La Cinq ?

Jean-Marc de Félice : En temps qu'ingénieur équipement, je me suis occupé de la mise en place de systèmes de production et de diffusion chez Canal+. A La Cinq, j'étais directeur du développement du réseau. J'ai dû mettre en place toute la diffusion de la chaîne. A l'époque, nous ne touchions qu'environ 20 % du territoire français et il fallait mettre en place des émetteurs à marche forcée. Malheureusement, La Cinq n'a pas tenu le coup et a fini par fermer ses portes en 1992. Je suis alors retourné dans le monde de la radio. Je suis devenu directeur technique de RFI pendant quatre ans avant de rejoindre RTL en 1996.

CIO : C'était les début de la numérisation. Quelle était l'ampleur du chantier ?


Jean-Marc de Félice : Énorme. Il faut savoir que le passage de l'analogique au numérique impliquait de tout changer. Et si nous nous trompions quelque part, cela pouvait avoir des conséquences catastrophiques sur la continuité des antennes. Nous mettions en place de nouveaux outils mais aussi de nouveaux métiers.

CIO : Vous vous êtes ensuite attelé à la numérisation de Radio France en 2002. Quels étaient les enjeux du projet ?

PublicitéJean-Marc de Félice : Comme chez RTL, il fallait tout refaire mais quand je suis arrivé chez Radio France, la situation était critique. Les équipes de production avaient des difficultés à trouver des bandes magnétiques ou les techniciens des pièces de rechange pour le matériel. La numérisation devait se faire dans les plus brefs délais. Il fallait en outre qu'elle soit rationalisée. Certains chantiers avaient déjà été lancés mais les différentes radios du groupe avaient chacune un outil différent. Nous devions industrialiser la numérisation. Nous avons alors mis en place des briques d'infrastructure et des applications homogènes que nous avons ensuite déployées à travers le groupe.

CIO : Et sur le plan humain, comment s'est passée la numérisation ?

Jean-Marc de Félice : Ça a été la deuxième partie du chantier. Je me suis battu pour que les gens comprennent qu'ils ne devaient pas avoir peur de la numérisation. Les techniciens craignaient notamment de se retrouver à la porte. Nous avons mis en place de vastes programmes de formation pour les accompagner dans la transformation. Les journalistes devaient également être formés aux nouveaux outils. En termes d'ampleur, les chantiers humain et technique se valaient largement. Ce qu'il faut absolument faire comprendre aux gens, c'est que la technologie n'est pas la cinquième roue du carrosse. Au contraire, c'est elle qui permet à nos métiers d'évoluer et qui définit comment l'information va être consommée. Le fait générateur de l'évolution des médias, c'est l'évolution technologique. Je ne dis pas ça uniquement pour les journalistes et les techniciens, du côté des dirigeants, c'est un message qui a encore du mal a passer.

CIO : Clairement, quelles ont été les conséquences pour les équipes ?

Jean-Marc de Félice : C'est bien simple. Auparavant, un studio de production contenait près d'une vingtaine d'outils différents pour réaliser une émission. La plupart d'entre eux ont été remplacés par des ordinateurs, du réseau et des serveurs d'applications. Tous les outils sont transversaux et communiquent entre eux. Un dysfonctionnement à Paris peut avoir des conséquences dans une radio locale à Nice. Cela implique toutefois de nombreuses contraintes nouvelles. Il a fallut mettre en place un centre de supervision et un service d'assistance nationale disponible 24h sur 24h. Si un journaliste qui arrive à 4h30 du matin pour préparer sa chronique prévue à 7h ne peut pas travailler, il faut que quelqu'un soit en mesure de lui venir en aide. La transformation numérique a demandé une réorganisation complète de la fonction support maintenance. En outre, la numérisation a fait entrer la vidéo dans la radio. De nombreuses émissions sont aujourd'hui accompagnées d'images diffusées sur le web et les smartphones.

CIO : Pourquoi avez-vous choisi de finalement quitter Radio France en début d'année 2014 et de prendre votre indépendance ?

Jean-Marc de Félice : J'avais envie de capitaliser sur mon expérience et ma passion pour l'innovation. Je voulais lancer moi même des projets et j'avais besoin de plus de liberté dans mon travail. Je me suis associé avec plusieurs personnes et nous avons lancé notre propre structure, MEDIADN Conseil.

CIO : Quel est l'objet de cette structure ?

Jean-Marc de Félice : Nous avons mis en place une société de conseil dédiée à l'accompagnement des médias dans les technologies traditionnelles broadcast TV & Radio et dans la transformation digitale. Nous intervenons notamment dans des pays en voie de développement. Les opportunités y sont très nombreuses et les défis à relever sont complètement nouveaux. Nous pouvons avoir une approche totalement différente de celle que nous avons en France. Par exemple, nous intervenons dans des pays où il n'y a pas de réseaux internet fixes. Par contre, les réseaux 3G et 4G bientôt, y sont déjà largement développés et tout passe maintenant par là. Nous envisageons des choses qui ne sont pas possibles en France comme utiliser les réseaux télécoms pour faire du broadcast.

CIO : Pouvez-vous préciser ?

Jean-Marc de Félice : Pour l'instant, les réseaux télécoms ne servent qu'à faire du « one-to-one », c'est à dire délivrer du contenu spécifique à une personne. Ils ne permettent pas de faire du « one-to-many » et d'envoyer gratuitement un contenu à un large panel de personnes comme nous pouvons le faire avec le réseau hertzien. Bien sûr, vous pouvez écouter la radio ou regarder la télé sur votre smartphone mais cela consommera votre forfait data en seulement quelques heures. Dans les pays émergents où nous travaillons, c'est envisageable alors qu'en France, c'est encore difficile à imaginer d'autant que le broadcast dépend du CSA et les télécoms de l'Arcep. Ce sont deux entités très différentes. Inversement, les fréquences hertziennes peuvent également être utilisées à des fins différentes que la télévision et la radio, mais là, c'est une autre histoire.

CIO : A votre avis, quelles seraient les conséquences d'une ouverture des réseaux télécoms au broadcast sur le marché français ?

Jean-Marc de Félice : Ce serait comme en 1981 avec l'arrivée des radios libres. Grâce aux outils accessibles en ligne et au cloud, il est devenu très simple pour quiconque de créer et de proposer des contenus originaux, comme le montre l'essor des web TV et des web Radio. Reste que ces dernières sont cantonnées à des espaces de diffusion très restreints et ne sont pas accessibles partout. Un rapprochement entre le broadcast et les télécoms faciliterait l'arrivée de nouveaux entrants sur le marché des médias. Cela doit se faire, bien sûr, dans le cadre d'une régulation.

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