Hubert Tournier (Les Mousquetaires) : « notre ratio budget IT/CA est de 0,6% et doit encore baisser »


Le bon outil au bon endroit
Le bon DSI, comme le bon ouvrier, a le bon outil. Ou plutôt les bons outils. Bien choisir une architecture et les bonnes solutions pour délivrer le bon service au meilleur coût : c'est là le coeur du métier. Ce bon outil peut être purement métier, d'infrastructure commune à tous les métiers ou...
DécouvrirLe fidèle second de Georges Epinette a succédé à celui-ci à la tête de la STIME, la DOSI filialisée du Groupement des Mousquetaires (Intermarché, Bricomarché...). Le défi d'Hubert Tournier est aujourd'hui de faire évoluer le management de cette maison, marquée par la statue du commandeur de son prédécesseur, tout en réduisant encore des coûts parmi les plus bas du secteur. A la STIME, l'open-source n'est pas une stratégie mais une conséquence de l'attitude inacceptable des éditeurs de logiciels... et des opportunités techniques comme humaines.
PublicitéCIO : Il y a un an, vous preniez la succession de Georges Epinette à la direction générale de la STIME, la DOSI filialisée du Groupement des Mousquetaires. Que s'est-il passé depuis un an ?
Hubert Tournier : Georges a été patron de la STIME durant vingt-huit ans. Il a construit l'entreprise à son image, la portant d'une centaine à 850 collaborateurs (et 150 en régie). Bien entendu, en étant son adjoint durant six ans et demi, j'étais totalement aligné sur lui.
Mais des changements managériaux devenaient absolument nécessaires. Georges avaient toujours plusieurs coups d'avance. Autour de lui, beaucoup attendaient donc qu'il ait tout prévu. Il fallait donc que chaque directeur reprenne la main sur ses responsabilités. Ils ne sont pas recrutés pour être pilotés !
Cette révision de la culture d'entreprise trop portée par une seule personne, cette transformation managériale, a déjà commencé alors que Georges était encore aux manettes. Par ailleurs, une nouvelle direction de l'alimentaire est apparue au sein du Groupement avec une direction à la maîtrise d'ouvrage. Elle est engagée dans une très forte guerre des prix.
CIO : Pour vous, qu'est-ce que cela implique ?
Hubert Tournier : Une pression toujours plus forte sur les coûts. Les économies à réaliser, alors que nos coûts sont déjà très bas, sont telles qu'il faut tout revoir. Nous réfléchissons sur les services qu'il faut garder, supprimer ou retailler au plus juste.
Dans la distribution, le ratio du coût informatique sur le chiffre d'affaires est aux environs de 1,5% dans le monde, 1,1% dans les entreprises de notre taille. Le nôtre est de 0,6%. Il nous faut pourtant encore le baisser alors que notre système d'information est très complexe.
Distribution alimentaire ou spécialisée, logistique (10 000 collaborateurs !), production agro-alimentaire... Nous avons une dizaine d'informatiques différentes et 550 applications principales.
Et, évidemment, les gens sont plus motivés par les projets que par l'entretien de l'existant. Or certaines parties de notre système d'information ont 20 à 35 ans ! Nous commençons, dans ces parties, à devenir dépendants de fournisseurs qui se concentrent et les technologies deviennent compliquées (donc chères) à maintenir. Ce n'est pas une situation très conforme à la culture d'indépendance du Groupement.
CIO : Mener de grands projets de refonte et et réduire les coûts, ce n'est pas antagoniste ?
Hubert Tournier : Non car les silos comme les strates deviennent coûteux. Et nous réfléchissons tous à la manière de réduire les coûts. Par exemple, est-il nécessaire de garder un support généraliste jusque tard le soir ? Il y a des fondamentaux qui ne peuvent pas être touchés comme l'encaissement, les prises de commandes des points de vente... Mais d'autres services sont moins fondamentaux : une analyse de la concurrence très détaillée point de vente par point de vente par exemple.
Nous dialoguons donc avec nos copropriétaires pour savoir comment relever nos trois défis : moderniser/simplifier le SI, mener le changement managérial et réduire les budgets.
PublicitéCIO : Des copropriétaires ?
Hubert Tournier : Environ 4000 points de vente dans le Groupement et plus de 3000 entrepreneurs, dont environ une moitié sont co-propriétaires des différentes filiales dont la STIME. Nous devons éviter les rapports clients-fournisseurs entre nous : ce sont bien nos copropriétaires. Même si nous sommes régulièrement mis en concurrence avec des solutions ou des prestataires extérieurs.
CIO : La pression permanente sur les coûts n'est-elle pas un facteur de stress intolérable ?
Hubert Tournier : Georges avait lancé le programme Zenitude de mesure du stress. Et il avait démontré que le niveau de stress n'était pas aussi élevé que nous le craignions mais, par contre, que le management devait être amélioré. Nous menons donc un chantier de refondation de notre culture managériale et de formation des 150 managers de la STIME.
Nous voulions notamment nous assurer qu'ils ont confiance en eux-mêmes, en leur expertise, et dans le fait que la direction a elle-même confiance dans celle-ci, pour pouvoir bénéficier de toute leur créativité et développer notre intelligence collective.
CIO : Pour mener le défi de la modernisation, avez-vous ou aurez-vous recours à des progiciels, notamment à un PGI ?
Hubert Tournier : Nous avons parfois des progiciels sur des périmètres restreints. Mais le PGI est une solution généraliste pour toutes les entreprises. Nous avons, au Groupement, une culture du fait-maison très adapté à nos besoins, conçu par les adhérents utilisateurs. Ceux-ci sont des commanditaires très créatifs.
Chaque patron de magasin peut être une source d'idées. Il serait impossible de customiser à ce point un PGI. Notre outil est de ce fait un différenciateur et une valeur ajoutée.
CIO : Mais dans une logique de réduction permanente drastique du coût, n'est-ce pas une aberration de faire tout soi-même ?
Hubert Tournier : Bien au contraire ! Le PGI a plein de fonctions totalement inutiles dans un contexte donné -puisqu'il doit s'adapter à de multiples situations- et nous pouvons donc nous en passer. Dans nos solutions, il n'y a pas de gras. De plus, nous avons une taille qui rend économiquement rentable un tel choix. Le ratio de coût entre du fait-maison et du progiciel nous est souvent favorable !
Sur un produit en logistique, nous avons fait un calcul précis. En ordre de grandeur, le fait-maison avait un coût de 1, un progiciel installé chez nous un coût de 2 et le même progiciel en SaaS de 4. Cela était logique car, à nous seuls, nous étions 17 fois plus grands que la somme des autres clients du SaaS.
CIO : Le fait-maison est-il systématique ?
Hubert Tournier : Nous nous mettons souvent en concurrence avec le marché. Nous prenons le leader avec un intégrateur, un challenger avec un intégrateur et le développement interne. En général, l'éditeur permet d'aller plus vite mais le ROI est nettement meilleur avec une solution interne dès l'année deux ou trois. Certes, nous avons un investissement de départ. Mais nous n'avons pas à payer une maintenance pour un service peu intéressant. Dans le contexte actuel, la maintenance d'un PGI mangerait la totalité de notre marge de manoeuvre.
Pour le domaine marketing, nous avons cependant choisi récemment un progiciel extérieur. Bref, nous n'avons pas de politique idéologique de l'interne ou de l'externe mais une logique de valeur et de coût.
CIO : Pour l'infrastructure, vous êtes bien obligés de recourir à des logiciels extérieurs ?
Hubert Tournier : Oui, bien sûr. Mais nous avons veillé à rationaliser les choix. Auparavant, chaque projet pouvait reposer sur des briques -comme la base de données- différentes. Nous avons réuni toutes les équipes de développement, d'exploitation, etc. et nous avons mis sur la table les contraintes de chacun. Il en est ressorti des « tables de la loi » avec un choix standard et des exceptions prévues dans certains cas.
Par exemple, notre choix standard de base de données est PostgreSQL. Dans certains cas, avec des exigences de haute disponibilité, nous utilisons Oracle.
Nous n'avons pas encore statué sur tout mais c'est en bonne voie.
CIO : Quels sont vos grands chantiers techniques ?
Hubert Tournier : Le premier est l'urbanisation des données car c'est la base de beaucoup de choses. Une source de données de référence réduit la complexité de mise au point des solutions informatiques et donc les coûts.
Ensuite, il nous fait préparer à la montée en puissance du commerce électronique, selon certains analystes, pourrait représenter un jour 20% du chiffre d'affaires.
Notre back-office était jadis prévu pour avoir quelques milliers de clients, nos points de vente qui commandent à nos entrepôts. Si, demain, il y a des millions de clients directs, ce n'est plus du tout la même chose. Chez nous, le commerce électronique est forcément raccroché à un point de vente : le client commence par choisir un magasin, ce qui implique un assortiment et une liste de prix, variables d'un magasin à l'autre. C'est comme si nous avions plusieurs milliers de sites e-commerce !
Et nous réfléchissons aussi beaucoup au digital point de vente, qui nous paraît aussi stratégique que le commerce en ligne.
CIO : Est-ce que des chantiers numériques se mènent comme n'importe quel autre ?
Hubert Tournier : Il est indispensable de rapprocher la production et les études pour améliorer leur collaboration et leur réactivité. S'il y a un problème quelconque sur une app, il doit y avoir une réaction immédiate. Cela implique de réviser nos méthodes et outils de production.
L'agilité est devenue la référence de nos développements et à la charnière des tests et de la production, nous visons une automatisation de bout en bout, même si nous garderons toujours une décision humaine pour les mises en production.
Toutefois, sur les systèmes logistiques, on est dans l'industriel et cela n'a rien à voir avec le développement d'apps mobiles. Là, c'est la logique ceinture-bretelles-fixe-chaussettes. Et nous avons un indicateur simple : le nombre d'heures perdues par les logisticiens à cause de l'informatique. A l'inverse, dans le marketing, l'agile s'impose de lui-même.
CIO : Quels sont les grands problèmes que vous rencontrez ?
Hubert Tournier : Très clairement, ce sont les relations avec nos chers amis les éditeurs. Nous aimerions avoir affaire à de véritables partenaires mais c'est rarement le cas. Ils nous voient comme des vaches à lait et ils pratiquent parfois une politique commerciale qui ressemble plus à celle de la terre brûlée ! Nous ne cherchons pas à les dominer mais nous ne voulons pas non plus qu'ils nous roulent avec des licences illisibles, dont des clauses se contredisent, etc. ce qui fait qu'il est impossible de respecter toutes les dispositions.
Quand un éditeur vient nous dire que, pour satisfaire ses actionnaires, il veut augmenter ses revenus sans aucune valeur supplémentaire pour nous, nous réfléchissons systématiquement à la manière de le sortir de notre système d'information ou de réduire son influence. Je ne suis pas étonné que l'interview de Jean-Pierre Desbenoit sur la sortie d'Oracle du SI de la DGAC ait été parmi vos fortes audiences : nous rencontrons tous le même problème. De la même façon, l'obsolescence programmée des progiciels entraîne un coût considérable en migrations inutiles. Là encore, l'audience record de l'article du Monde Informatique sur la migration forcée vers Windows 10 ne m'étonne pas et montre que les particuliers peuvent être logés à la même enseigne que les entreprises.
CIO : Avez-vous, de ce fait, une stratégie open-source ?
Hubert Tournier : Non, nous n'avons pas de politique open-source systématique, idéologique. Nous partons toujours de l'expression d'un besoin et étudions ensuite les solutions possinles pour l'adresser avec des logiciels propriétaires, des solutions SaaS ou de l'open-source. Il se trouve que nous utilisons beaucoup d'outils open-source (par exemple pour l'automatisation) mais c'est pour leurs qualités propres et parfois en réponse à l'attitude inacceptable de certains éditeurs de logiciels.
Et les outils restent toujours moins importants que les gens, ceux que l'on trouve dans les communautés open-source et que nous essayons de recruter. Non seulement les produits sont moins chers mais les équipes qui proviennent de ces communautés sont plus créatives, plus ouvertes, plus réactives.
Chez nous, les « études » se sont renommées « DevLabs ». Et ce service monte des choses vraiment bien ! Dans la distribution, il n'y a pas d'exubérance salariale. Mais il y a une grande créativité stimulante.
CIO : Et, pour finir, quelle est votre relation avec les métiers ?
Hubert Tournier : La STIME est un outil au service du Groupement et c'est un bon outil, performant et économique. Nous devons cependant le faire mieux comprendre et donc améliorer notre communication auprès de nos métiers.
Article rédigé par

Bertrand Lemaire, Rédacteur en chef de CIO
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