Stratégie

Frédéric Gimenez (Total) : « au-delà de la sécurité, notre défi est d'optimiser les coûts et amorcer la transformation numérique »

Frédéric Gimenez (Total) : « au-delà de la sécurité, notre défi est d'optimiser les coûts et amorcer la transformation numérique »
Frédéric Gimenez, le nouveau DSI groupe de Total
Retrouvez cet article dans le CIO FOCUS n°102 !
Le rôle central des DSI même là où on ne l'attend pas

Le rôle central des DSI même là où on ne l'attend pas

Partout, l'informatique est partout ! Et cela a une conséquence souvent négligée : le DSI est de ce fait lui aussi partout impliqué. Même aux endroits les plus inattendus. Ainsi, par exemple, combien de DSI sont conscients de leur rôle central dans un bon déroulement de contrôle fiscal ? Pourtant,...

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Frédéric Gimenez a été nommé DSI groupe de Total le 1er mars 2015 après vingt ans chez le pétrolier et avoir été notamment premier DSI de la branche Raffinage-Chimie après sa réorganisation. Il doit relever des défis en matière d'optimisation des coûts et de sécurité tout en amorçant la révolution numérique.

PublicitéCIO : Comme votre prédécesseur, Patrick Héreng, vous venez de la branche Raffinage. Y-a-t-il une voie royale pour devenir DSI groupe de Total ou est-ce un complet hasard ?

Frédéric Gimenez : Il n'y a pas de voie royale. En effet, le prédécesseur de Patrick Héreng, Philippe Chalon, venait de l'Exploration-Production. Patrick Héreng était issu de la branche Raffinage-Marketing aujourd'hui disparue. Cette branche regroupait une partie industrielle et une partie commerciale.
La réorganisation (à laquelle j'ai pris part) a abouti à la création d'une branche industrielle Raffinage-Chimie et à une branche majoritairement commerciale baptisée Marketing et Services. Les stations-services en sont la partie visible mais la branche distribue aussi du carburant pour les navires et les avions, des lubrifiants, des cartes de paiement, etc. La branche Raffinage-Chimie, quant à elle, s'est construite sur une logique de chaîne industrielle intégrée, les sites industriels « chimie » etant en aval des raffineries et en général très proches géographiquement. Ce rapprochement a été très efficace en matière de synergies. Suite à cette réorganisation Total comprend aujourd'hui une holding groupe et plusieurs branches : EP (Exploration-Production), Gaz, RC (Raffinage-Chimie), M&S (Marketing & Services) et EN (Energies Nouvelles).

CIO : Quels ont donc été vos atouts pour être nommés, selon vous ?

Frédéric Gimenez : J'ai eu un parcours très varié dans l'IT au sein du groupe Total comme vous le savez. J'ai notamment participé à la création de la branche Raffinage-Chimie et donc à la création de sa DSI regroupée.
Or, bien que Raffinage et Chimie soient deux activités industrielles, leurs cultures étaient très différentes. La Chimie était basée à Bruxelles et très mondiale dans son approche, quand le Raffinage était basé à Paris avec une vision plus européenne. Et les solutions et modes de fonctionnement IT étaient là aussi très différents. C'est non seulement le fait d'avoir réussi à faire travailler ensemble ces équipes mais aussi les bons résultats obtenus dans la diminution des coûts lors de la fusion, qui ont du être remarqués au niveau groupe.
La dernière étape a été le lancement de la transformation digitale au sein de cette branche industrielle. Si, aujourd'hui, Marketing et Services, par nature au contact du client final, comprend bien les enjeux, c'est un peu moins évident de faire comprendre l'intérêt de cette transformation digitale pour les métiers plus industriels.

CIO : Justement, entre l'exploration-production et les stations-services avec les cartes de fidélité, il n'y a presque rien de commun en termes de besoins métiers. Quel est aujourd'hui le sens d'une DSI groupe chez Total ?

PublicitéFrédéric Gimenez : La fédération autour des socles communs (télécoms, postes de travail, etc.) a longtemps été le grand combat de la DSI groupe. La taille d'un groupe comme Total est aussi une force pour le sourcing et la négociation avec les fournisseurs. Par exemple, les contrats de licences SAP, Oracle ou Microsoft sont négociés au niveau groupe et les usages optimisés par branches.
De plus, les SI des fonctions supports ou transverses (SIRH, SI financier...) sont de plus en plus construits en commun pour tout le groupe. Fondamentalement, il n'y a pas vraiment de différence entre la gestion d'un salarié d'une branche à l'autre.
Même dans des domaines plus proches des métiers des branches, il y a des synergies possibles. Certaines solutions développées dans une branche peuvent ainsi être réutilisées ailleurs car on retrouve des fonctions industrielles ou commerciales dans chaque branche. Par exemple, aussi bien sur les plates-formes off-shore et que dans les raffineries, on doit gérer la maintenance d'unités composées d'un ensemble de tuyaux, de pompes et de vannes. En fait, il y a plus de points communs que ce que l'on croit souvent. On a pu le voir quand on a fusionné Raffinage et Chimie, notamment. C'est la DSI groupe qui orchestre cette mutualisation.
De même, la révolution digitale est également assez transverse : réseau social d'entreprise (RSE), mobilité... tous ces sujets sont très agnostiques du métier.
Enfin et surtout, par définition, la sécurité IT relève de la responsabilité du Groupe.

CIO : C'est à dire ?

Frédéric Gimenez : Le secteur de l'énergie est une cible fréquente, qu'il s'agisse de cyber terrorisme ou d'intelligence économique. Total est un groupe très visible d'une part, et d'autre part en concurrence dans un domaine startégique avec des acteurs chinois, russes, américains par exemple... Bref, nous sommes une cible évidente.
De plus, il y a désormais un gros enjeu sur la protection des sites industriels : une cyberattaque visant à un sabotage d'installations par la prise en main des équipements pilotés est un risque pris très au sérieux chez Total. L'ANSSI est aussi mobilisé activement sur ce sujet.
La DSI groupe a vocation à mettre en place les référentiels et les outils qui permettent de protéger l'ensemble du groupe.

CIO : Pour concilier sécurité, performance et moindre coût, quels sont les modèles adaptés à Total ?

Frédéric Gimenez : Depuis dix ans, nous avons procédé à beaucoup d'externalisation et de massification des prestations. Nous avons atteint un niveau suffisamment avancé.
La tendance, aujourd'hui, est de recourir à de plus en plus d'applications en mode SaaS en particulier autour des métiers support (RH...) et marketing mais moins pour les métiers industriels où l'offre est plus limitée. Par contre, nous n'avons pratiquement pas recours au IaaS/PaaS externalisé et avons jusqu'ici privilégié le cloud privé interne. Pour l'heure, le IaaS/PaaS externalisé pourrait être envisagé pour garder de la flexibilité en lien avec la variation d'activité ou pour réaliser des pilotes sans avoir à créer une infrastructure dédiée.

CIO : N'y a-t-il pas, avec cette approche, un risque en matière de sécurité ?

Frédéric Gimenez : Oui, sans doute, nous avons à relever un grand défi en matière de sécurité. Historiquement, nous avions une approche plutôt périmétrique en matière de sécurité. Mais, aujourd'hui, nous travaillons sur une sécurité de l'ensemble du système d'information, qu'il soit interne ou externe.
Cette approche doit pouvoir rendre possible, sans risque inutile, le recours à du cloud externe mais aussi l'acceptation de terminaux non-Total pour accéder à notre système d'information.

CIO : Puisque l'on parle de terminaux non-Total, quelle est la place de la mobilité et du BYOD aujourd'hui chez Total ?

Frédéric Gimenez : Pour l'heure, nous n'acceptons pas de BYOD pour des raisons de sécurité, même s'il y a des pilotes en cours pour mieux appréhender les problématiques à traiter, notamment en termes de sécurité et de gestion des terminaux.
Le BYOD n'est d'ailleurs pas nécessairement une solution adéquate. Sous réserve de traiter la question du coût, fournir nous-mêmes des terminaux mobiles plus nombreux serait peut-être préférable. La mobilité en milieu industriel est aussi un vrai sujet. Au delà de la difficulté à fournir de la connectivité sans fil à des terminaux dans un monde de structures métalliques, il existe des normes anti-explosivité ATEX très strictes sur les outils électroniques pouvant pénétrer dans nos sites. Les pilotes mis en oeuvre avec des terminaux coûteux mais adaptés (durcis, étanches, ATEX...) montrent un potentiel de productivité des opérateurs bien supérieure à la méthode actuelle du bloc papier et du stylo.

CIO : En tant que DSI groupe, êtes-vous sollicité pour contribuer à l'amélioration du service rendu au client final, que ce soit en B2B ou en B2C ?

Frédéric Gimenez : Pas au niveau groupe. Pour le B2C et le B2B, les développements sont surtout portés par la branche Marketing et Services.
Il ne faut pas oublier les collaborateurs, qui sont aussi des clients finaux des outils que nous mettons en place. Même si nous restons une entreprise d'ingénieurs où une ergonomie un peu difficile ne fait pas forcément peur, les collaborateurs ont de plus en plus de mal à comprendre que l'IT ne soit pas aussi simple dans l'entreprise qu'au domicile.

CIO : La dispersion géographique de vos collaborateurs incite-t-elle à développer des outils collaboratifs voire un réseau social d'entreprise (RSE) ?

Frédéric Gimenez : Voilà une actualité récente... Nous avons en effet créé WAT (Work at Total). C'est un portail qui regroupe les centaines d'Intranet historiques du groupe associé à un réseau social d'entreprise (RSE). L'ensemble utilise les technologies Microsoft Sharepoint 2013.
Nous avons commencé à déployer ce RSE cette année, pour l'instant auprès de 53 000 collaborateurs, et nous devrions terminer d'ici fin 2016 par les filiales les plus éloignées (exploration-production en particulier).
En six mois, un millier de communautés a été créé. La création est libre (quitte à ce que, dans quelques mois, nous supprimions les communautés inactives) et, de même, il n'y a pas de censure sauf en cas de non-respect de la charte de comportement. Les communautés peuvent être non-professionnelles car, même autour d'un hobby, si un collaborateur en France se rapproche d'un collaborateur d'Afrique, c'est un bénéfice. Nous voulons un outil de décloisonnement et de collaboration. Cela dit, une des communautés les plus actives est celle consacrée à la transformation digitale.

CIO : Quels sont les futurs grands chantiers à mener dans les prochaines années ? La transformation digitale, par exemple ?

Frédéric Gimenez : Effectivement, la transformation digitale en fait partie. Le DG du groupe, Patrick Pouyanné, a d'ailleurs annoncé la nomination d'un CDO pour accélérer la transformation numérique du groupe.
Nous sommes dans un contexte de pression sur les coûts. Nous prenons donc d'abord des initiatives pour répondre aux contraintes économiques. Les coûts IT du groupe ont ainsi pu être réduits de 10% cette année. C'est le résultat de nombreuses initiatives dans l'ensemble des structures SI du Groupe mais aussi d'initiatives transverses comme par exemple, la création en 2014 d'une filiale, Total Global Services, qui s'occupe de tout le socle mutualisé (postes de travail, télécom, etc.). Son directeur général, Dominique Pardo, est rattaché à la DF groupe comme moi. Nous sommes de vrais partenaires, sans relation hiérarchique.
Si l'optimisation des coûts et le renforcement de la sécurité restent la priorité, nous devons aussi faire évoluer le SI existant pour le préparer à la transformation digitale.
Enfin, il y a un enjeu autour de la gestion de la donnée. Marketing et Services exploite déjà les données clients et Exploration-Production a manipule depuis longtemps de très gros volumes de données sismiques. Mais il reste encore beaucoup à faire en particulier dans les entités industrielles, qui par une meilleure prise en compte des données disponibles pourraient optimiser le fonctionnement des usines.
Derrière la question des données, il y a bien entendu des aspects technologiques et de vraies questions de gouvernance. C'est un des grands défis que Total doit relever.

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